jeudi 8 août 2019

Greguería n° 110

" El filósofo es un caza moscas perpetuo."
" Le philosophe est un tue-mouche perpétuel."

mercredi 7 août 2019

Greguería n° 109

"La mosca en el cristal sueña que vuela en cielos más altos."
" La mouche sur la vitre rêve qu'elle vole haut dans le ciel."
Nietzsche écrivait :
" Si nous pouvions comprendre la mouche, nous nous apercevrions (...) qu'elle sent avec elle voler le centre du monde" (Écrits posthumes, 1870-1873, Gallimard, p.277)

Commentaires

1. Le mercredi 7 août 2019, 20:04 par gerardgrig
En réalité, si l'on continuait l'humanisation de la mouche, on pourrait dire qu'elle est une rêveuse non réalisatrice. Quand on lui ouvre la fenêtre, elle ira partout, animée d'un mouvement brownien, mais elle ne sortira jamais par la fenêtre ouverte. Quant à Nietzsche, il avait une méthode zen contre la transcendance. Il suffit de penser très fort que l'on est une mouche dans le monde.
2. Le mercredi 7 août 2019, 23:35 par Philalèthe
Si la mouche ramonienne n'a pas conscience de rêver, si  en somme elle est dans l'illusion autant que la mouche nietzschéenne, c'est normal qu'elle ne sorte pas ! Par cela même, elle tient du prisonnier de la caverne platonicienne qui ne veut pas monter...

mardi 6 août 2019

Greguería n° 108

"Era tan exquisita y tan poderosa, que se mandaba hacer los sueños a su gusto y medida."
" Elle était si délicieuse et si puissante qu'on lui commandait des rêves selon ses goûts et sur mesure."

lundi 5 août 2019

Greguería n° 107

" Cuando en trenes o barcos nos llaman "pasajeros" sentimos la tristeza de la efemeridad."
" Quand, dans les trains ou les bateaux, on nous appelle des " passagers ", nous ressentons la tristesse de l'éphémère."

Commentaires

1. Le lundi 5 août 2019, 14:05 par gerardgrig
S'il y a effectivement tristesse de l'éphémère, chez Ramón elle est vite remplacée par la joie d'avoir trouvé une belle métaphore existentielle, qui arrive comme le soleil après la pluie. Chacun sait gérer ses affects intuitivement, sans le secours de personne. Et il y a toute une stratégie plus ou moins consciente de l'écrivain afin de provoquer ou repérer, et utiliser, les opportunités fécondes de la vie pour son œuvre.
2. Le mardi 6 août 2019, 08:08 par Philalèthe
Il a aussi le sens du possible, ici les sens possibles du mot en dehors de son contexte d'utilisation. Il y a eu quelque chose de cela dans le cynisme ancien : ne pas accepter l'usage avait pour conséquence entre autres de vouloir ne pas comprendre dans un mot ce que tout le monde comprend. 

dimanche 4 août 2019

Greguería n° 106

" La esposa de Hércules es la plisadora de los cierres metálicos."
" L'épouse d'Hercule est la plisseuse des rideaux de fer."

Commentaires

1. Le dimanche 4 août 2019, 20:28 par gerardgrig
Dans cette gregueria, Ramón manie l'humour potachique et anachronique, peut-être pataphysique, à partir de la mythologie. L'inventrice de la persienne, ou jalousie, qui permet de voir sans être vue, mais qui était plutôt composée de roseaux dans l'Antiquité, ne pouvait être que Déjanire, la femme d'Hercule qui est le parangon de... la jalousie féminine ! Ramón a une vision écologique, selon laquelle il ne faut jamais rien perdre et tout recycler : la citation découpée dans un bout de journal, la blague de comptoir (le coup de fil du masochiste dans la gregueria 44) ou de pensionnat, comme ici.
2. Le mardi 6 août 2019, 08:18 par Philalèthe
Ramón aime bien introduire les personnages mythologiques dans le monde d'aujourd'hui. Ainsi dans cette greguería où la science, loin de désenchanter le monde, permet d'observer de plus près les populations imaginaires de l'Antiquité :
" Los astrónomos ven cómo se peina Venus y cómo tal lucero se hace el lazo de la corbata."
" Les astronautes voient comment se peigne Vénus et comment telle étoile fait son noeud de cravate."

samedi 3 août 2019

Greguería n° 105

" Debía de haber unos gemelos de oler para percibir el perfume de los jardines lejanos."
" Il devrait y avoir des jumelles d'odorat pour percevoir le parfum des jardins lointains."

vendredi 2 août 2019

Greguería n° 104

" La mano femenina enguantada con guante de malla o de encaje se ofrece hipotéticamente como pescada en su propia red."
" La main de la femme, gantée dans un gant de tricot ou de dentelle, s'offre éventuellement comme pêchée dans son propre filet."

jeudi 1 août 2019

Greguería n° 103

" La salsera para vinagretas y mayonesas es el único recuerdo que queda de las lámparas antiguas que mantuvieron encendidas las vírgenes sabias."
" La saucière pour vinaigrettes et mayonnaises est le seul souvenir qui reste des lampes antiques que les vierges sages maintenaient allumées."

Remplacer l'amateur par le connaisseur.

Lisant le dernier ouvrage de Claude Romano, Les repères éblouissants. Renouveler la phénoménologie (2019), j'y trouve quelques lignes de Max Scheler, tirées de Vom Ewigen im Menschen qui vont me permettre d'exposer en peu de mots le traitement que le stoïcisme réserve à la perception :
" Partout, l´"amateur" (der "Liebhaber") précède le "connaisseur" (der "Kenner") et il n'y a pas de domaine ontologique (qu'il s'agisse des nombres, des astres, des plantes, des rapports d'effectivité historique, des choses divines) dont l'exploration ne présente pas une phase empathique, avant d'entrer dans la phase d'une analyse libre de toute valeur (wertfreie Analyse). " (p. 258)
C'est par cette phase empathique que le disciple du stoïcisme ne veut plus passer. Marc-Aurèle, par exemple, aime les rapports sexuels et les signes du pouvoir. Aussi s'entraîne-t-il à les connaître dans leur stricte matérialité et dans leur totale neutralité axiologique. L'école a certes reconnu ne pas pouvoir faire disparaître un premier mouvement affectif et réactif, s'étalant dans ce que Scheler appelle ici la phase empathique. L'important est que la connaissance reprenne vite le dessus sur cet amour irraisonné des choses et des êtres et que ce premier instant de folie ne fasse pas tache.
Précisons que dans le stoïcisme, l'analyse libre de toute valeur libère telle ou telle partie de la réalité de ses valeurs imaginaires (positives ou négatives) mais que la motivation de cette libération est la reconnaissance prétendument sue de la valeur absolue de la Réalité dans son ensemble.
C'est, on l'a souvent dit, cette reconnaissance-là qui rend difficile aujourd'hui la mise à jour du stoïcisme à la lumière des sciences, dont la neutralité axiologique de l'univers est, depuis Galilée au moins, un principe basique.

mercredi 31 juillet 2019

Greguería n° 102

" En el desperezo del gato está la displicencia del hombre sin destino."
" Dans les étirements du chat, il y a la nonchalance de l'homme sans destin."

Commentaires

1. Le jeudi 1 août 2019, 16:37 par gella pensac
Comme vous nous avez habitués à labourer les territoires stoïciens,
on pourrait se demander s'il y a des liens de Ramon avec le stoïcisme.
Ses greguerias sonnent plutôt sceptique, ou tragique.
2. Le vendredi 2 août 2019, 00:13 par Philalèthe
Écrire des greguerías ou, à défaut, en lire, pourrait-il être vu comme un entraînement au stoïcisme ? Dans quelques cas, c'est possible. Par exemple, voyez la 102 : un objet sacré est réduit à un ustensile de cuisine, à moins que ce ne soit la saucière qui soit élévée à la dignité d'objet rituel. Dérision, la greguería pourrait aussi bien être un divertissement cynique. La perception qu'elle encourage certes n'est pas celle de l'essence de la chose mais, à multiplier les apparences, elle pousse à ne pas prendre les choses trop au sérieux. Elle rabaisse les choses nobles et élève les riens. Aussi peut-elle aider l'apprenant stoïcien à mettre le monde à distance, à n'y adhérer qu'avec une modération ironique.
3. Le dimanche 4 août 2019, 12:27 par gerardgrig
Pour Ramón, tout était fiction, texte, citation. La littérature peut-elle et doit-elle délivrer une vérité et une réalité en dehors d'elle-même ? La maxime morale peut aussi se retourner comme un gant, dans un véritable jeu formel de salon. Ramón recherche toujours la singularité qui révèle un paradoxe, qu'il semble cultiver pour lui-même et qui a un statut de vérité a priori. En bon surréaliste, il répondra à l'injonction célèbre du directeur des Ballets Russes au poète : "Étonne -moi !".
Dans cette gregueria, Ramón reprend ses observations naturelles. Il humanise toujours l'animal. Cela semble fantaisiste et inspiré d'une forme de science "populaire". Neanmoins, dans les années 1940, l'éthologie a montré la continuité existant entre espèces animales et espèce humaine.
4. Le dimanche 4 août 2019, 17:58 par Philalèthe
Je suis plutôt porté à penser que c'est un observateur très fin autant de la société que de la nature. Si beaucoup de greguerías m'étonnent, c'est parce qu' à leur façon elles sont vraies...
Imagine-t-on par exemple un stoïcien s'étirer paresseusement comme un chat ? Il a bien trop conscience de son destin.