samedi 31 mai 2008

Sénèque (28): du problème posé par la nécessité d'un changement identique dans deux personnes différentes.

Dans les premières lignes de la sixième lettre, Sénèque transmet à Lucilius le fait qu’il s’est réformé. Une telle transmission est rendue possible et nécessaire par l’amitié qui le lie à Lucilius, l’amitié excluant en effet le secret.
On est donc surpris à première vue quand Sénèque ajoute :
« Cuperem itaque tecum communicare tam subitam mutationem mei » = aussi je désirerais partager avec toi ce soudain changement de moi-même
N’est-ce pas déjà chose faite ? Pourquoi donc employer le conditionnel ?
Le sens de ce désir s’éclaire cependant à la lumière des effets que Sénèque en attend :
« Tunc amicitiae nostrae certiorem fiduciam habere coepissem, illius verae, quam non spes, non timor, non utilitatis suae cura divellit, illius, cum qua homines moriuntur, pro qua moriuntur » = alors j’aurais une plus grande confiance en notre amitié, dans cette vraie amitié que ne brisent ni l’espoir, ni la crainte, ni le souci de son intérêt personnel, de cette amitié avec laquelle les hommes meurent, pour laquelle ils meurent.
On retrouve ici la tension présente déjà dans la 3ème lettre entre deux conceptions de l’ami : l’ami est la condition de l’amitié, l’amitié est la condition de l’ami.
Ce à quoi Sénèque aspire, mais qu’il ne peut atteindre par la simple communication écrite (ou même orale) de sa transformation, c’est la présence en Lucilius de la même transformation ; or, elle est bien évidemment requise par la conception de l’amitié comme confiance placée dans un autre qui le mérite.
On découvre ainsi une autre figure négative de l’ami : il ne s’agit plus, comme le porteur de la missive évoqué dans la troisième lettre, d’un autre qui ne mérite pas du tout la confiance qu’on lui accorde ; il est désormais question d’un autre qui certes justifie la confiance qu’on met en lui mais ne se perfectionne pas autant que ne le fait son ami. L’alter ego ne serait donné une fois pour toutes que si le temps et le changement n’existaient pas ; mais, si dans le temps qu’ on vit a lieu un processus d’amélioration, rien n’assure que l’ami soit à la hauteur de l’alter ego qu’il était initialement :
« Multos tibi dabo, qui non amico, sed amicitia caruerunt » : je t’en citerai beaucoup qui n’ont pas manqué d’un ami mais de l’amitié.
L’amitié en question n’est pas conditionnée par le partage des mêmes passions, mais par celui d’une même volonté : l’égale volonté de désirer les choses honnêtes (honesta cupiendi par voluntas). Il est pourtant usuel d’opposer cupire (désirer) à velle (= vouloir). Or, ce qui caractérise ici le stoïcien, c’est la volonté de ressentir du désir pour les choses dignes d’être désirées. Il est alors bien certain qu’il ne suffit pas de transmettre à l’ami l’idée que cette volonté en nous est plus forte pour que du même coup la sienne le soit.
Il ne faut cependant pas penser que l’identité des deux amis soit exclusivement psychologique :
«  Sciunt enim ipsos omnia habere communia, et quidem magis adversa » = ils savent en effet qu’ils ont tout en commun, et même en plus les adversités.
Le monde pèse donc d’un poids égal sur les amis et le savoir empêche d’éprouver des passions qui risqueraient de disjoindre le couple, comme l’envie, la jalousie, l’orgueil.
Dans la suite de cette sixième lettre, Sénèque va présenter les moyens de réduire la distance entre l’ami qui s’est réformé et l’ami qui sait seulement que cette réforme a eu lieu.

vendredi 30 mai 2008

Dennett et Wittgenstein: les causes et les raisons.

Daniel C. Dennett dans le livre extraordinairement intéressant qu’il vient de consacrer à l’ étude de la religion à partir du darwinisme (Breaking the spell. Religion as a natural phenomenon 2006) fait jouer Wittgenstein à contre-emploi :
« The philosopher Ludwig Wittgenstein famously said that explanation has to stop somewhere, but this indeniable truth misleads us if it discourages us from asking (…) questions, prematurely terminating our curiosity” (p.75 Penguin)
“ Le philosophe Ludwig Wittgenstein est célèbre pour avoir dit que l’explication doit s’arrêter quelque part, mais cette vérité indéniable nous égare si elle nous décourage de poser des questions en mettant fin prématurément à notre curiosité » (trad. personnelle)
Ecrivant cela, Dennett a beau jeu de se présenter alors comme celui qui n’abrège pas l’explication.
Mais Wittgenstein n’est pas la bonne cible. En effet, de son point de vue, ce sont les raisons qui ont une fin, mais il va de soi que les causes n’en ont pas et qu’ une enquête naturaliste comme celle de Dennett n’a donc pas à reconnaître dans l’ordre qui est le sien une limite pertinente seulement pour qui cherche des raisons d’agir.

mercredi 28 mai 2008

Le stoïcien ou l'inenflammable par excellence.

Paul Valéry écrit dans Tel quel:
" Les guerres, les troubles, sont dûs au nombre des faibles d'esprit, des crédules, des inflammables, qui sont la matière des actions et fermentations humaines d'ensemble.
Peut-on même concevoir des individus assez spirituels pour négliger totalement, laisser s'amortir sans les renforcer et les transmettre, annuler systématiquement tous les premiers termes, tous les premiers mouvements et retentissements des faits et des mots ?" (Moralités La Pléiade II p. 517).
Oui, le stoïcisme a fait d'un tel individu son modèle d'homme.

lundi 26 mai 2008

Énigme

Qu'ont en commun
a) l'absence de passion des Stoïciens
b) l'absence de volonté du Zen
c) la Gelassenheit de Heidegger
d) la physique en tant que conception absolue de la réalité ?
Réponse:
" Pour nous, l'absence de passion des Stoïques, l'absence de volonté du Zen, la Gelassenheit d'Heidegger, la physique en tant que conception-absolue-de-la-réalité ne sont, dans cette optique, que des variations sur un même projet qui est d'échapper au temps et au hasard" (L'espoir au lieu du savoir Richard Rorty 1995 Albin Michel)

Commentaires

1. Le lundi 26 mai 2008, 21:16 par Nicotinamide
d'être une fantaisie ou une illusion ?
2. Le mardi 27 mai 2008, 08:36 par Weiyangsheng
Je driais l'absence de toute intrusion de l'artificel dans le monde. La pleine et entière restititution de la naturalité du naturel dans la nature, sans gauchissement ni torsion du cours admirable de l'ordre de l'univers.
Le sage stoïcien exprime par sa conduite l'harmonie du monde sans fausse note.
La doctrine taoïste ou chan du wuwei est un laisser-advenir de l'ordre du monde, une participation discrète à celui-ci, sans apport d'une intention extérieure au flux de cet ordre.
La Gelassenheit est une attitude contemplative de laisser-être qui n'impose pas de contrainte au monde.
La physique comme conception absolue postule que rien n'échappe à la loi inexorable du cours des choses, toute hétéronomie étant oblitérée.
WYS
3. Le lundi 6 avril 2009, 12:35 par OUIMAISNON
La physique qui échappe au temps(trois petits points)

jeudi 22 mai 2008

Sénèque (25): le corps est-il la meilleure image de l'âme humaine (Wittgenstein) ?

Si Lucilius ne doit surtout pas prendre une certaine excentricité cynique comme modèle, comment doit-il alors se conduire ?
Il doit avoir pour règle les conventions ordinaires et ne pas se soustraire aux habitudes des hommes (hominum consuetudini excerpere). Sénèque le souligne dans cette lettre V :
« Frons populo nostra conveniat » = que notre apparence s’accorde avec le peuple.
Le respect des usages (mores publicos) conditionne la vie du philosophe. Mais en quoi consiste l’usage ?
Il est voie moyenne, juste milieu. Le premier exemple concret pris par Sénèque pour illustrer son conseil va clairement dans cette direction :
« Non splendeat toga, ne sordeat quidem, non habeamus argentum, in quod solidi auri caelatura descenderit » = que la toge ne soit pas éclatante, mais qu’elle ne soit pas sale ; qu’on n’ait pas de l’argent dans lequel ait pénétré la ciselure en or massif.
De la même manière Sénèque oppose la torture du corps (torquere corpus suum) pratiquée par le cynique au goût pour les choses délicates (delicatas res) en recommandant les choses usuelles et faciles à se procurer (usitatas et non magno parabiles).
On doit noter que cette référence au juste milieu dans les soins du corps sert autant à Sénèque à faire saisir en quoi réside l’accord avec le peuple qu’à exemplifier ce que veut dire vivre selon la nature (secundam naturam vivere). Certes cela ne revient pas à dire que toujours l’usage courant indique la bonne voie, mais cela permet certainement de penser qu’entre la vie philosophique et la vie courante, il n’y a pas nécessairement incompatibilité.
Cependant s’il est raisonnable de vivre selon les usages, cette conformité avec les mœurs du temps ne suffirait pas à qualifier de philosophe celui qui la pratique si elle ne s’associait pas en lui avec une différence radicale par rapport au vulgaire, aux gens ordinaires (vulgum) :
« Intus omnia dissimilia sint » = qu’à l’intérieur toutes les choses soient dissemblables.
En effet, à Lucilius auquel il prête l'inquiétude de n’être rien de plus qu’un homme comme tous les autres, Sénèque précise que ce qui distingue le philosophe, c’est ce qui se cache dans son intériorité. Si l’extériorité est associée aux usages publics (mores publicos), l’intériorité elle est identifiée aux usages conformes au bien (mores bonos).
Mais une telle intériorité n’est pas impénétrable, le philosophe n’est pas le seul à savoir qu’il est au fond de lui-même différent de la masse des hommes. En effet, si on le regarde de près (qui inspexerit propius), on réalise la plus grande dissemblance entre lui et l’homme courant. Mais qui est ce « on » en mesure de repérer sous les mœurs publics les mœurs philosophiques ? On serait porté à l’identifier à l’ami mais Sénèque évoque plus largement la figure de l’hôte :
« Qui domum intraverit, nos potius miretur quam supellectilem nostram » = celui qui est entré chez nous, qu’il regarde nous-même plutôt que notre vaisselle.
On se demandera s’il n’y a pas contradiction entre ces deux modes d’approche de l’intériorité : cette dernière est-elle perceptible dès qu’on franchit le seuil du philosophe (mirare) ou exige-t-elle un effort de pénétration psychologique (inspicere) ?
La situation que prend Sénèque pour éclairer la dernière ligne citée ne lève pas l’ambiguïté :
« Magnus ille est, qui fictilibus sic utitur quemadmodum argento, nec ille minor est, qui sic argento utitur quemadmodum fictilibus » = grand est celui qui utilise des vases en terre comme si c’était de l’argent et il n’est pas moins grand celui qui utilise l’argent comme si c’était des vases en terre.
Notons d’abord que deux usages conformes au bien (mores bonos) sont ici explicitement distingués. Le premier revient à donner du prix à ce qui socialement n’a pas de valeur, le second, inversement, consiste à enlever du prix à ce qui socialement est précieux. Mais dans les deux cas le prix de l’ustensile est le même : ce qui est en argile vaut autant que ce qui est en argent dans la mesure où les deux ne valent qu’en tant qu’ils permettent de satisfaire un besoin justifié.
Reste cependant une énigme : en quoi consiste donc un tel usage ?
On peut en effet le comprendre de deux manières :
a) la conduite philosophique est la conduite ordinaire + une intention privée philosophique (de l’extérieur je me conduis comme n’importe quel quidam mais j’ai une motivation tout à fait singulière)
b) la conduite philosophique est la conduite dans laquelle s’exprime l’intention philosophique (par exemple, je prends soin du vase en terre comme si c’était de l’argent ou je manipule l’argenterie avec aussi peu de précautions que si c’était de la poterie).
Si a) est vrai, alors l’hôte devra user de pénétration psychologique pour réaliser que celui qui est en face de lui vit mieux que le vulgaire (meliorem vitam sequi quam vulgus) ; si b) est vrai, la conduite philosophique saute aux yeux.

Commentaires

1. Le vendredi 23 mai 2008, 00:27 par Nicotinamide
Si vous en avez la patience, pourriez-vous expliquer pourquoi vous avez choisi ce titre pour ce billet ?
2. Le vendredi 23 mai 2008, 07:47 par philalèthe
W. a critiqué le mythe de l'intériorité (Bouveresse). Une des formes que prend cette critique est la phrase tirée des Recherches que je cite en titre. Or, Sénèque en séparant l'intériorité de l'extériorité tombe peut-être dans le mythe. Mais ce n'est pas certain à cause justement de l'ambiguïté de la conduite. Si la conduite philosophique est la conduite humaine dans laquelle s'expriment les idées philosophiques, alors le corps du stoïcien est la meilleure image de l'âme stoïcienne.

dimanche 18 mai 2008

Sénèque (24) : ne pas confondre l’effort avec l’excès.

Le premier mot de la lettre IV était « Persévère » (persevera) ; dès les premières lignes de la lettre V, il fait à nouveau son apparition :
« Quod pertinaciter studes et omnibus omissis hoc unum agis, ut te meliorem cotidie facias, et probo et gaudeo, nec tantum hortor, ut perseveres, sed etiam rogo » = Que tu étudies opiniâtrement et que toutes affaires cessantes tu te consacres uniquement à te rendre meilleur chaque jour, je l’approuve et je m’en réjouis et non seulement je t’exhorte à persévérer mais encore plus je te le demande.
La suite de la lettre est une mise en garde contre ce qu’on pourrait appeler la conception cynique de l’effort. Lucilius doit éviter les notabilia, c'est-à-dire chercher à se faire remarquer en manifestant les propriétés des philosophes cyniques :
« Asperum cultum et intonsum caput et neglegentiorem barbam et indictum argento odium et cubile humi positum, et quicquid aliud ambitionem perversa via sequitur, evita » = Soins grossiers, tête chevelue, barbe très négligée, haine affichée de l’argent, couche à même le sol et tout ce qui accompagne de manière vicieuse le désir de plaire, évite-le.
Mais quelles raisons Sénèque donne-t-il de sa condamnation du mode de vie cynique ? Les voici dans leur ordre d’apparition :
1) c’est un moyen d’être regardé (conspici), de provoquer l’admiration (admirationem parare)
2) le nom de la philosophie éveille déjà assez l’hostilité (« satis ipsum nomen philosophiae (…)invidiosum est »)
3) la modération ne se manifeste par le rejet des choses luxueuses (« non putemus frugalitatis indicium auro argentoque caruisse »)
4) on fait fuir ceux qu’on veut redresser (« alioquin quos emendari volumus, fugamus a nobis et avertimus »)
5) la philosophie est engagée en faveur du sens commun, des sentiments humains, de la vie en commun (« hoc primum philosophia promittit, sensum communem, humanitatem et congregationem »)
6) la modération est un juste milieu entre la dementia cynique et l’amour des voluptés (luxuria).
Epictète dans les Entretiens prendra une voie toute différente en présentant au stoïcien le cynique comme un modèle .

Commentaires

1. Le mercredi 21 mai 2008, 15:40 par Weiyangsheng
Si vous me le permettez, une petite remarque: j'ai souvenir que le portrait du "véritable cynique" par Epictète (la traduction de ce chapitre ainsi que de celui sur la liberté par Emile Bréhier a été republiée récemment dans la collection Folio 2€) propose en fait un portrait du sage stoïcien, sans les excès cyniques, ou seulement très modérément. Mais je parle d'un texte que je devrais relire avant d'en dire davantage...
Mes respects, par ailleurs, pour votre blog si riche et si instructif. Un réel bonheur!
WYS

vendredi 16 mai 2008

Sénèque (23): Lucilius, victime d'un double bind ?

Alors que pour familiariser Lucilius avec l’idée de sa mort, Sénèque n’a pas cessé de mobiliser des situations relatives à la vie d’un Romain libre et engagé dans la vie publique, politique et militaire, il va terminer cette quatrième lettre par une maxime épicurienne, portant sur la pauvreté, identique en cela à celle qui clôt la lettre II, et engageant son disciple à se convertir à une vie radicalement différente.
Il y a cependant une différence dans la désignation de l’espace d’où est tiré le passage cité. Dans la lettre II, la métaphore est militaire car c’est en éclaireur (explorator) traversant le camp (castra) épicurien que Sénèque a prélevé le texte cité ; en revanche dans la lettre IV, l’appellation est plus conventionnelle : certes il ne s’agit pas du jardin d’Epicure (Epicuri hortus selon l’expression de Cicéron dans De natura deorum I 93 ; Gaffiot m'apprend d'ailleurs que Cicéron avait utilisé déjà l’expression Epicuri castra dans les Epistulae 9, 20, 1) mais de jardinets ne lui appartenant pas (ex alienis hortulis). De ces petits jardins Sénèque se saisit de, prend pour soi (sumere) cette phrase :
« Magnae divitiae sunt lege naturae composita paupertas » = une pauvreté réglée sur la loi de la nature constitue de grandes richesses.
Pour élucider le sens de ce qu’il vient de citer, Sénèque présente la théorie épicurienne sous une forme simplifiée dans le sens de l’austérité:
« Lex autem illa naturae scis quos nobis terminos statuat ? Non esurire, non sitire, non algere »= Mais sais-tu quelles limites nous fixe la loi de la nature ? Ne pas avoir faim, ne pas avoir soif, ne pas avoir froid
S’ensuit alors une condamnation de toutes les activités propres au statut social de Lucilius :
« Ut famem sitimque depellas, non est necesse superbis adsidere liminibus, nec supercilium grave et contumeliosam etiam humanitatem perpeti, non est necesse maria temptare nec sequi castra. Parabile est, quod natura desiderat, et adpositum : ad supervacua sudatur. Illa sunt quae togam conterunt, quae nos senescere sub tentorio cogunt, quae in aliena litora inpingunt : ad manum est quod sat est » = pour que tu chasses la faim et la soif, il n’est pas nécessaire d’assiéger les superbes entrées ni d’endurer le sourcil accablant et même la bienveillance blessante ; il n’est pas nécessaire de tenter les mers ni de suivre les camps. Ce que la nature réclame est à notre disposition et tout près: on sue pour des choses inutiles. Ce sont elles qui usent la toge, qui nous contraignent à vieillir sous la tente, qui nous jettent vers des rives étrangères. Ce qui suffit est à portée de main. »
Reste que ce texte contient une ambiguïté : en effet la référence à ce qui suffit (quod sat est) rappelle la distinction entre le nécessaire et le suffisant sur laquelle se terminait II (cf le billet du 23-02-08). Or, il va de soi que si cette distinction continue de valoir, vu le début du passage, sa terminaison logique aurait dû être quod necesse est
Résumons : pour persuader Lucilius, Sénèque s’appuie sur des situations propres à une vie avec laquelle il exhorte son disciple à rompre !
Lucilius ne peut donc pas à la fois se représenter son avenir sous la forme de celle d’un chevalier, ce qui, vu sous un certain jour, l’aide à se défaire de la peur de la mort et s’imaginer sa vie future sous les traits de la satisfaction minimale de ses besoins vitaux.
Comme l’a expliqué Pierre Hadot, ce qui compte dans ces textes antiques est quelquefois moins leur cohérence interne que leur capacité de convertir. A cette fin, ils font feu de tout bois.

mercredi 14 mai 2008

Sénèque (22) : la mort comme idée fixe mais sans le côté pathologique.

Quel usage Lucilius doit-il donc faire de ce que Sénèque vient de lui représenter à propos de la mort ?
« Haec et ejusmodi versanda in animo sunt, si volumus ultimam illam horam placidi expectare, cuius metus omnes alias inquietas facit “ = et les choses de cette sorte doivent être tournées et retournées dans l’esprit, si nous voulons attendre paisibles cette dernière heure, dont la crainte rend toutes les autres agitées
Je note que le maître se recommande à lui-même comme à son disciple l’examen permanent de ce qu’il vient de transmettre. Le mépris de la vie (contemptio animae) n’est donc jamais définitivement conquis : la peur de la mort menace constamment car on ne s’immunise pas une fois pour toutes contre elle ; en un sens, les idées que Sénèque vient d’avancer sont des boucliers ; comme eux, elles ne protègent que si elles sont mises en avant.
Aussi la direction de conscience que Sénèque entreprend avec Lucilius est-elle l’occasion, par le fait de les apprendre à Lucilius, de se les répéter à lui-même. Tout se passe au fond comme si ces jugements ne convainquaient que pendant le temps où ils sont proférés et compris. On ne sait jamais définitivement ce qu’il en est de la mort, il faut toujours et toujours se le remémorer. En effet la répétition des idées en question n'est pas le moyen de les mieux comprendre - comme si leur profondeur en faisait des thèmes de méditations infinies - mais celui de leur faire jouer, sur le devant de la scène de la conscience, leur rôle salvateur. Il n'est pas question d'approfondir mais de mobiliser.
Je relève aussi que la visée de cette leçon n’est pas de détourner Lucilius de la pensée de la mort en réglant par la réflexion la question de son identité mais de transformer une attente anxieuse en attente sereine. La mort reste donc au centre de l’attention mais débarrassée des idées fausses qui perturbaient la vie. Centrale mais rendue banale et familière par l’évocation incessante du risque permanent de mourir.
C’est bien connu que Montaigne reprend cet héritage quand, à 39 ans en 1572, il écrit :
« Apprenons à le (l’ennemi qu’est la mort) soutenir de pied ferme, et à le combattre. Et pour commencer à luy oster son plus grand advantage contre nous, prenons voye toute contraire à la commune. Ostons luy l’estrangeté, pratiquons le, accoustumons le. N’ayons rien si souvent en la teste que la mort. » (Essais I XX)
Le chapitre dont ces lignes sont extraites porte pour titre : Que philosopher c’est apprendre à mourir. Peut-il aider ? Je ne poserais pas la question si je n’avais pas lu cette note de Villey dans son édition des Essais :
« Un correspondant m’informe que, pendant l’incinération d’un ami, pour adoucir la peine des assistants il a donné lecture de l’essai « Que philosopher c’est apprendre à mourir » et il demande une traduction de Montaigne en français moderne pour de semblables circonstances » (p.1125 Quadrige PUF)
C’est clair en tout cas que ce n’est pas afin de surmonter la douleur de la mort d’autrui que Sénèque a écrit ces lignes mais dans le but de rendre supportable l’idée de sa propre mort.

mardi 13 mai 2008

Sénèque (21) : aller à la mort ou y être conduit ?

Il est étrange pour nous, mais révélateur peut-être du monde dans lequel Sénèque vivait, que ce dernier ait seulement fait appel au risque de l’assassinat, de la mort violente pour familiariser Lucilius avec la réalité de sa propre mort. On peut s’étonner en effet que d'autres morts accidentelles, par maladie par exemple, ne viennent pas renforcer l’exhortation à comprendre que la mort est à chaque instant possible. (cf note 1)
La dernière situation choisie va dans le même sens car c’est la mort à laquelle le prisonnier de guerre est condamné qui est évoquée. Il est mené à la mort, littéralement il est mené: duci (forme passive de ducere) euphémisme qui évoque notre « il est parti », sauf qu’ici la passivité est marquée, passivité par rapport au vainqueur (qui condamne à mort) autant que par rapport à la vie (qui également condamne à mort). La décision du vainqueur va paradoxalement dans le sens de la vie, le premier ne faisant que réaliser le cours des choses. Le latin rend bien cela :
« Victor te duci jubebit : eo nempe quo duceris » = le vainqueur ordonnera que tu sois mené (à la mort) : là n’est-ce pas ? où tu seras mené.
Noblot éprouve le besoin d’expliciter (« le vainqueur t’envoie à la mort – Il t’envoie où ton destin te conduit »).
Quelques lignes plus loin, Sénèque le répète :
« Ita dico : ex quo natus es, duceris » = oui je le dis : du jour où tu es né, tu seras mené (à la mort).
Dans le Manuel, Epictète associe d’une autre manière la mort à la passivité :
« Comme, au cours d’une traversée, quand le navire a jeté l’ancre dans un port, si tu en descends pour aller chercher de l’eau fraîche, tu peux ramasser une chose accessoire au bord du chemin, un coquillage, une petite racine, il te faut pourtant avoir l’esprit tendu vers le bateau et te retourner constamment, de peur, que peut-être le pilote ne t’appelle, et que, s’il t’appelle, tu doives abandonner toutes ces choses, afin que tu ne sois pas embarqué dans le navire, ficelé comme un mouton (…) » ( 7 trad. Hadot)
Ici la passivité caractérise seulement celui qui n’a pas écouté la leçon philosophique et qui se révolte contre sa mort imminente: dans ce cas mourir en stoïcien ce n’est pas être mené mais rejoindre de son plein gré le navire. En revanche ce que Sénèque veut éveiller chez Lucilius, c’est la conscience d’avoir toujours été mené à la mort.
« Quid te ipse decipis et hoc nunc primum, quod olim patiebaris, intelligis ? » = pourquoi te trompes-tu toi-même et comprends-tu maintenant pour la première fois ce que tu subissais depuis longtemps ? (encore une fois Noblot se sent tenu d’expliciter en personnifiant en un certain sens cette passivité : « la fatalité que depuis si longtemps tu subissais »).
Aux yeux de Sénèque c’est parce qu’on sait qu’on a toujours été et qu’on sera toujours un mouton ficelé - en ce sens vivre c'est essentiellement pâtir - qu’on peut se décharger de son souci comme on se défait d’un fardeau (sollicitudinem deponere).
note 1: On trouve en revanche chez Montaigne une énumération plus diversifiée des morts inattendues et non exemplaires:
" Combien a la mort de façons de surprise ?
Quid quisque vitet, nunquam homini satis%% Cautum est in horas ("L'homme ne peut jamais bien prévoir les dangers de chaque heure à éviter" Horace Odes, II, XIII, 13)
Je laisse à part les fiebvres et les pleuresies. Qui eut jamais pensé qu'un Duc de Bretaigne deut estre estouffé de la presse, comme fut celuy-là à l'entrée du Pape Clément, mon voisin, à Lyon ? N'as tu pas veu tuer un de nos roys en se jouant ? Et un de ses ancestres mourut-il pas choqué par un pourceau ? Aeschilus, menacé de la cheute d'une maison, a beau se tenir à l'airte, le voylà assommé d'un toict de tortue, qui eschappa des pates d'un' Aigle en l'air. L'autre mourut d'un grein de raisin; un Empereur, de l'esgrafigneure d'un peigne, en se testonnant; Aemilius Lepidus, pour avoir hurté du pied contre le seuil de son huis; et Aufidius, pour avoir choqué en entrant contre la porte de la chambre du conseil; et entre les cuisses des femmes, Cornelius Gallus preteur, Tigillinus, Capitaine du guet à Rome, Ludovic, fils de Guy de Gonsague, Marquis de Mantoüe, et, d'un encore pire exemple, Speusippus, Philosophe Platoncicien, et l'un de nos Papes. Le pauvre Bebius, juge, cependant qu'il donne delay de huictaine à une partie, le voylà saisi, le sien de vivre estant expiré. Et Caius Julius, medecin, gressant les yeux d'un patient, voilà la mort qui clost les siens. Et s'il m'y faut mesler: un mien frere, le capitaine S.Marin, aagé de vingt et trois ans, qui avoit desja faict assez bonne rpeuve de sa valeur, jouant à la paume, receut un coup d'esteuf qui l'assena un peu au-dessus de l'oreille droite, sans aucune apparence de contusion, ny de blessure. Il ne s'en assit, ny reposa, mais cinq ou six heures apres il mourut d'une Apoplexie que ce coup lui causa." (Essais I XX)

dimanche 4 mai 2008

In memoriam canium (3) : Alcidamas, cynique fictif, ou comment il est finalement difficile pour un satiriste de caricaturer un cynique !

Dans le Banquet ou les Lapithes, Lucien se moque des philosophes. Toutes les sectes y sont réunies à l’occasion d’un mariage. Chacun a à cœur de montrer que ceux des autres camps ne mettent pas leur conduite en accord avec leur doctrine et les choses s’enveniment au point que le repas dégénère en rixe avec coups et blessures.
Le premier à rompre les conventions est le cynique Alcidamas :
« 12. C'est au moment où Cléodème parlait que notre cynique Alcidamas fit irruption dans la salle : Il n'avait pas été convié, et il s'exclama, d'un air tout à fait décontracté : « Ménélas arrive de son propre chef ! ». Les invités trouvèrent qu'il avait un sacré culot et il lui lancèrent quelques flèches bien aiguisées du genre : « Ménélas, fou que tu es ! » ou « Agamemnon n'est point en son cœur satisfait ! ». D'autres grommelèrent quelques petits mots d'esprit du même acabit. En fait, nul n'osa critiquer vraiment l'importun de service ; Alcidamas était redouté : avec sa voix de stentor, c'était le plus gouailleur des cyniques, et il dépassait tout le monde dans le genre, ce qui fait qu'il inspirait une certaine méfiance.
13. Finalement, Aristénète le complimenta, le priant de s'asseoir entre Histiaios et Dionysodore. « Peuh ! répondit le cynique, vous me prenez pour une femmelette ou quoi ? Me prélasser comme ça sur des coussins pour bouffer ? Sûrement pas ! Je vais manger debout, en me baladant de–ci de–là, à mon gré. Quand j'en aurai assez, je poserai ma pelisse par terre et je reposerai ma tête sur mon coude, comme on le voit sur les peintures qui représentent Héraclès. » - Comme tu veux, répliqua Aristénète. Et Alcidamas se mit à circuler dans la salle en grignotant et, comme les Scythes qui émigrent vers des terres grasses, lui s'aventurait du côté des serviteurs qui apportaient les plats…
14. Bref, il mangeait, mais son esprit restait vif puisqu'il nous fit un petit speech sur le vice et la vertu en se moquant de l'or et de l'argent, si bien qu'il demanda à Aristénète l'utilité de ces coupes brillantes et foisonnantes alors que, selon lui, les coupes d'argile étaient tout aussi pratiques. Aristénète interrompit brusquement ses commentaires tout à fait déplacés ; il ordonna à son échanson de lui tendre un énorme skyphos et d'y verser un vin très pur. Il croyait lui avoir ainsi cloué le bec. Or il ne se doutait pas que cette coupe allait être le point de départ de gros pépins. En effet, dès qu'il eut pris le skyphos, Alcidamas fit silence, puis, d'un seul coup, il se jeta sur le sol à moitié nu, s'allongeant de tout son long comme il avait menacé de le faire auparavant ; la tête appuyée sur son coude, il tendait son verre de la main droite comme l'Héraclès chez Pholos revu par les les artistes." (traduction de Philippe Renault avec des notes très éclairantes sur http://bcs.fltr.ucl.ac.be/LUCIEN/Banquet.html)
En fait rien de plus conventionnellement cynique que cette rupture de conventions : s’inviter là ou on n’est pas invité, manger debout et en mouvement quand tous le font assis et en repos, dédaigner les lits, s’allonger à même le sol, prendre Hercule comme modèle, tout cela, c’est le déroulement prévisible du programme contestataire.
Mais que penser de son appétit ? A vrai dire en recherchant avec avidité la nourriture, Alcidamas ne se contredit pas car il dénonce ici seulement l’inutile sophistication des médiations entre l’appétit naturel et sa satisfaction : ce n’est pas contre le vin qu’il en a mais contre la coupe précieuse qui le contient. Et puis s’il y avait vraiment goinfrerie, elle pourrait toujours être rationalisée comme dérision de la décence ordinaire…
Mais va-t-on dans la suite du récit assister au dérèglement du rituel cynique ?
"16. Après l'incident, Alcidamas le cynique, déjà passablement éméché, ayant appris le nom du jeune marié, se mit à rugir pour exiger le silence en dirigeant son regard vers le clan des femmes : « Eh bien ! Je bois à ta santé, Cléanthis, au nom sacré d'Héraclès ! ». À ces mots, tout le monde s'esclaffa et le cynique s'écria : « Bande d'abrutis, vous riez parce je porte un toast à la mariée en invoquant Héraclès, mon patron ? Eh bien ! Apprenez, mes lascars, que si elle ne saisit pas la coupe que je lui tends, elle sera incapable de fabriquer un vrai mâle comme moi, vigoureux et instruit dans toutes les matières ! ». Tout en s'époumonant, il dégrafa ses vêtements et montra délibérément son membre à toute l'assemblée ! Les invités se mirent à rire jusqu'à l'hystérie ! De plus en plus en colère, Alcidamas nous lança un regard acéré comme un poignard, et l'on comprit qu'il n'était pas prêt de se calmer, loin s'en faut : je crois même qu'il aurait fini par blesser l'un de nous avec son bâton. Mais une galette onctueuse fit son entrée au bon moment pour apaiser ses velléités agressives, et il s'empressa dès lors de se goinfrer."
Inventer un rituel – en ayant sans doute bien garde qu’il ne se diffuse -, se dénuder intimement là où chacun est paré : Lucien ne force pas encore le trait et j’ai le sentiment que, le style aristophanesque en moins, je pourrais lire ces lignes dans Diogène Laërce. Certes la satire pointe son nez avec la neutralisation patissière…
"18. Comme d'habitude, il y eut une pause dans l'arrivage des plats, au cours de laquelle Aristénète, imbattable quand il s'agit de meubler les temps morts, donna l'ordre à un bouffon d'entrer en scène et de faire un numéro de fantaisiste pour divertir les invités. Un petit homme plutôt laid pointa alors son museau, la tête rasée, mais avec quelques malheureux poils au sommet du crâne. Il exécuta une danse qui tenait plus de la contorsion que d'autre chose, se disloquant à qui mieux mieux jusqu'au grotesque, maugréant quelques anapestes dans un douteux accent égyptien. Pour couronner le tout, il se paya la tête des spectateurs.
19. Ceux qui en prenaient pour leur grade riaient quand même de bon cœur. Mais quand vint le tour d'Alcidamas d'être charrié, et qu'il s'entendit traiter de « petit clébard de Malte » par le bouffon, son sang se mit à bouillonner – il était certainement jaloux du comique qui monopolisait les applaudissements des convives – il posa sa pelisse à terre et intima l'ordre à son concurrent de le provoquer au pancrace : en cas de refus, il recevrait des coups de bâton ! Pauvre Satyrion – c'était le nom du mime ! Il dut s'exécuter et se mettre en position de combat. Soyons francs : c'était vraiment excitant de voir l'austère philosophe rentrer dans la bedaine d'un histrion ou se faire étriper à son tour. Certains invités étaient choqués, d'autres au contraire se trémoussaient d'aise. Bref, Alcidamas, roué de coups, finit par capituler : l'avorton se révélait un véritable paquet de muscles et tout s'acheva dans un rire général et frénétique."
A bouffon, bouffon et demi. Désormais il semble que la satire opère à découvert. Les cyniques historiques me semblent avoir fait un usage plus parcimonieux d’un bâton tout symbolique. Mais en même temps railler le railleur institué, quoi de plus authentiquement cynique ?
Finalement arrive le dérèglement général: alors tous les vernis philosophiques (épicurien, stoïcien, platonicien, aristotélicien…) craquent :
"35. En fait, tout était sens dessus dessous ! Les gens ordinaires mangeaient avec un tact exemplaire, sans boire un verre de trop ; ils se comportaient le plus raisonnablement du monde, se contentant de faire honte aux autres, objets pourtant de leur vénération quelques instants auparavant, lorsqu'ils les considéraient comme des modèles de vertu. En revanche, les sages, eux, n'avaient aucune tenue, criaient comme des fous, se gavaient comme des porcs et se donnaient des coups !."
Dans ce foutoir, le cynique semble pourtant chanter encore une de ses mélodies traditionnelles :
"Alcidamas l'admirable, lui, pissait sans vergogne au milieu de la pièce, se fichant éperdument des femmes qui se trouvaient là."
C’est on ne peut plus orthodoxe. Quant à sa place dans la bataille, on pourrait même l’interpréter en termes de filiations et de querelles d'écoles!
« À noter qu'Alcidamas fit sensation en défendant Zénothémis (stoïcien). De son bâton, il assomma Cléodème (aristotélicien), mit en morceaux la mâchoire d'Hermon (épicurien)et amocha de nombreux esclaves qui leur portaient secours.»
Certes le comportement perd à la fin de sa cohérence :
«il y avait Alcidamas qui venait de mettre KO la meute adverse et continuait à s'en prendre à tous ceux qui s'aventuraient jusqu'à lui. C'eût été une véritable hécatombe s'il n'avait pas cassé son bâton »
Et la philosophie paraît désormais ne plus rien régler :
«47. Le banquet s'acheva sur cette note. Aux cris et aux larmes succédèrent les rires contre Alcidamas, Dionysodore et Ion. Les blessés furent évacués sur des civières : ils n'étaient pas jolis, surtout ce vieux croûton de Zénothémis qui, une main sur l'œil et l'autre sur son nez, hurlait de douleur ; Hermon, qui n'était pas mieux loti avec ses dents déglinguées, lui lança avec toujours le même esprit de contradiction : « En ce moment, mon cher, tu ne places point la douleur dans la catégorie des choses indifférentes. » Le marié fut recousu par les soins diligents de Dionicos et, la tête couronnée de bandelettes, on le hissa dans le char où il devait emmener sa femme. Quelles noces mouvementées pour ce pauvre garçon ! Quant aux autres convives, ils furent couchés, vomissant de temps à autre sur le chemin qui les menait au lit. Seul Alcidamas resta dans la salle. Impossible de l'en déloger ! Comme il était affalé en travers d'une couchette, on ne pouvait rien faire."
Cette fin de banquet évoque bien sûr par opposition celle du Banquet de Platon. Le philosophe en la personne de Socrate y a une toute autre allure. Alors qu’Alcidamas a été finalement vaincu par sa corporéité, Socrate y manifeste son indestructible spiritualité :
« Là-dessus, Socrate, les ayant endormis comme des enfants, se leva et partit ; comme à son habitude, Aristodème le suivit. Il se dirigea vers le Lycée, et, après s’être débarbouillé, il passa, comme n’importe quelle autre fois, le reste de la journée, et, quand il l’eut ainsi passée, vers le soir il alla chez lui se reposer » (223 d trad. Robin La Pléiade p. 764)