dimanche 10 avril 2011

Spinoza a intitulé De Deo (De Dieu) la première partie de l' Éthique. Wittgenstein ne voulait et ne pouvait donner ni recevoir des leçons sur Dieu. Cependant il a désiré passionnément maintenir un lien avec Lui mais l'a-t-il pu ? " Bach a écrit sur la page de titre de son Orgelbüchlein : " À la gloire du Très-Haut, et que mon voisin puisse en bénéficier." C'est ce que j'aurais aimé dire de mon travail." C'est ce qu'il écrit à Drury dans une lettre citée par Ray Monk (p.531). Pour Wittgenstein, la gloire de Dieu et l'utilité pour l'humanité ne semblent pas être clairement séparables. L'un et l'autre sauvent de la vanité et traduisent le fait que le problème de la vie ne se pose pas ou ne se pose plus. " Je me sens un étranger dans ce monde. Si rien ne vous relie à l'humanité ou à Dieu, alors vous êtes un étranger." (28-7-1947)

Spinoza a intitulé De Deo (De Dieu) la première partie de l' Éthique.
Wittgenstein ne voulait et ne pouvait donner ni recevoir des leçons sur Dieu. Cependant il a désiré passionnément maintenir un lien avec Lui mais l'a-t-il pu ?
" Bach a écrit sur la page de titre de son Orgelbüchlein : " À la gloire du Très-Haut, et que mon voisin puisse en bénéficier." C'est ce que j'aurais aimé dire de mon travail."
C'est ce qu'il écrit à Drury dans une lettre citée par Ray Monk (p.531).
Pour Wittgenstein, la gloire de Dieu et l'utilité pour l'humanité ne semblent pas être clairement séparables. L'un et l'autre sauvent de la vanité et traduisent le fait que le problème de la vie ne se pose pas ou ne se pose plus.
" Je me sens un étranger dans ce monde. Si rien ne vous relie à l'humanité ou à Dieu, alors vous êtes un étranger." (28-7-1947)

vendredi 8 avril 2011

Platon, Wittgenstein et le soleil.

Dans La République VII, Platon présente allégoriquement l'accès à la connaissance comme la sortie en dehors d'une caverne et, en ultime étape, la vue directe du soleil :
" - Alors, je pense que c'est seulement au terme de cela qu'il serait enfin capable de discerner le soleil, non pas dans ses manifestations sur les eaux ou dans un lieu qui lui est étranger, mais lui-même en lui-même, dans son espace propre, et de le contempler tel qu'il est ". (516b éd. Brisson)
" Ensuite, nous avons roulé jusqu'au sommet de la colline près de la bibliothèque et avons regardé la ville. La lune était dans le ciel. "Si j'avais dessiné les plans, je n'aurais jamais fait le soleil. Regardez ! Comme c'est beau ! Le soleil est trop brillant et trop chaud." Il a dit, peu après . " Et s'il n'y avait que la lune, il n'y aurait ni lecture, ni écriture." (Bouwsma Conversations avec Wittgenstein, 5 août 1949)

Commentaires

1. Le mardi 12 avril 2011, 11:35 par Juan Antonio
Novalis a dit:
Welcher Lebendige,
Sinnbegabte,
Liebt nicht vor allen
Wunderescheinungen
Des verbreiteten Raums um ihn
Das allerfreuliche Licht -
[...]
Abwärts wend ich mich
Zu der heiligen, unaussprechlichen
Geheimnissvollen Nacht -
(Novalis <i>Himnen an die Nacht, I</i>)
L'époque moderne n' est pas l'époque des lumières, mais du deus absconditus.
2. Le mardi 12 avril 2011, 14:27 par Philalèthe
Merci beaucoup Juan Antonio pour ce post.
Aucune des sources que je connaisse ne mentionne le fait que Wittgenstein ait lu Novalis.
Je n'ai pas les moyens de commenter adéquatement ces vers, mais de manière très libre et donc bien risquée, je dirais que Wittgenstein aurait aussi préféré la lumière réjouissante de l'espace autour de lui aux miracles. Vers 1944, il écrit :

" Un miracle est pour ainsi dire un geste de Dieu. Comme un homme tranquillement assis fait tout à coup un geste spectaculaire, Dieu laisse le monde suivre paisiblement son train, et tout à coup accompagne les paroles d'un saint d'un geste symbolique, un geste de la nature. Un exemple en serait qu'après qu'un saint a parlé, les arbres autour de lui s'inclinent, comme par révérence. Cela dit, est-ce que je crois qu'une telle chose se produise ? Non.
La seule chose qui me ferait croire au miracle ainsi compris serait que je sois impressionné par un événement qui se produirait de cette façon particulière. En sorte que je dirais, par exemple : "Il 'etait impossible de voir ces arbres sans avoir le sentiment qu’ils répondaient aux paroles de ce saint.” Tout à fait comme je dirais : «  Il est impossible de voir la face de ce chien sans voir aussi qu’il est en alerte et qu’il suit attentivement tout ce que fait son maître. » Et j’imagine aisément que le simple récit des paroles et de la vie d’un saint puisse mener quelqu’un à croire également l’histoire des arbres qui s’inclinent. Mais je ne suis pas impressionnable de cette façon. »
Mais pour voir dans le monde qui nous entoure une lumière réjouissante, ne faut-il pas déjà croire en Dieu. Comme le suggèrent ces lignes de Bouwsma en accord, je crois, avec la pensée de Wittgenstein sur ce point :
«  Quelle différence y a-t-il dans les sentiments et l’attitude à l’égard du monde de l’athée et du croyant ? Je reprends ici un passage de John Wisdom. L’atmosphère ! L’espoir ! La promesse ! Davantage ! La gloire ! Et maintenant, tout est donné, vous voyez ce qu’il y a, c’est tout, rien de merveilleux, rien de terrible ! Pas fameux. » ( 20 Août 1949)
3. Le mardi 12 avril 2011, 19:34 par Juan Antonio
Merci beaucoup pour votre réponse. C'est très éclaircissant.

jeudi 7 avril 2011

Wittgenstein, Freud et l'ivresse des cours.

" Avant, sur le banc, il avait dit aussi que toutes les années durant lesquelles il avait enseigné avaient fait plus de mal que de bien. Et il les a comparées à l'enseignement de Freud. Les cours, comme le vin, avaient enivré les gens. Ils ne savaient pas comment les utiliser sobrement. Est-ce que je comprenais ? Oh oui, ils avaient trouvé une formule. Exactement " (Conversations avec Wittgenstein, 5 Août 1949)

mercredi 6 avril 2011

À quoi donc servaient les cours de Wittgenstein ?

" Mes cours se passent bien, ils ne se passeront jamais mieux. Mais quels effets laissent-ils derrière eux ? Cela aide-t-il quelqu'un ? Pas plus certainement que si j'étais un grand acteur interprétant pour eux de grands rôles tragiques. Ce qu'ils apprennent ne vaut pas la peine d'être appris ; et l'impression que je fais sur eux ne leur sert à rien. Cela vaut pour tous, à une ou deux exceptions près, peut-être" (19-11-1946)

dimanche 3 avril 2011

Seul un miracle...

À Norman Malcolm, qui, malgré les avertissements de Wittgenstein, commençait une carrière philosophique à Princeton :
Seul un miracle vous permettra d'enseigner honnêtement la philosophie" (lettre du 3-10-1940)

Commentaires

1. Le dimanche 3 avril 2011, 21:56 par herve
On peut entendre cette phrase de deux façons :
- soit Wittgenstein estimait que Malcolm était tellement nul et non avenu en philosophie que seul un miracle lui permettrait de l'enseigner correctement,
- soit Wittgenstein pensait que, quel que soit l'individu, s'il enseigne correctement la philosophie, ce n'est que par miracle, par un "effet essentiellement secondaire" selon l'expression de Jon Elster.
"Certains états mentaux et sociaux semblent avoir pour propriété de ne pouvoir se réaliser qu'en tant qu'effets secondaires d'actions entreprises à d'autres fins." (Jon Elster, Le laboureur et ses enfants, p. 17)
Il s'agirait de miracle, car ces effets sont inattendus et _donnés_. Par qui ? Ne nous hâtons pas de trouver un complément d'agent du passif à ce qu'il convient d'appeler une grâce...
"On dit que les bonnes choses de la vie sont gratuites : en fait, on pourrait dire que les bonnes choses de la vie sont des effets essentiellement secondaires. Comme le suggère Albert Hirschman dans ses travaux récents, cela pourrait être dû au fait que les effets secondaires n'ont pas de "potentiel de désillusion", puisque nous n'en attendons rien pour commencer." (Jon Elster, op. cit. p. 98)
2. Le lundi 4 avril 2011, 11:40 par Philalèthe
Bonjour Hervé !
Certes logiquement on peut comprendre la phrase comme adressée au seul Norman, mais vue l'habitude qu'avait Wittgenstein de dissuader ses élèves de se lancer dans des carrières philosophiques, on peut à bon droit donner à cet avertissement une portée générale.
Quant à honnêtement, vous le remplacez par correctement, ce qui ne va pas de soi : on peut faire x correctement (efficacement) mais pas honnêtement et inversement.
Correctement suggère que le miracle est dans la réception (l'élève comprend ce qu'est la philosophie grâce à l'enseignement).
Honnêtement laisse penser que le miracle est dans l'émission (on reste intègre, honnête en enseignant la philosophie).
On peut alors se demander s'il est vraiment requis d'éclairer le passage par le concept d'effets qui ne deviennent réels que s'ils ne sont pas intentionnels. Cela voudrait donc dire qu'on ne parvient vraiment à enseigner la philosophie que si on ne veut pas l'enseigner. Mais dans ce cas, ne devrait-on pas soutenir que c'est strictement impossible d'enseigner la philosophie correctement (si on accepte votre substitution) ? Je crois que ça se défend si on pense à la morale : c'est impossible d'enseigner la morale en la disant, on la montre par notre manière d'être.
Ceci dit et si on remplace correctement par honnêtement, l'idée - une parmi d'autres bien sûr - ne pourrait-elle pas être qu'à enseigner la philosophie comme il est habituel de le faire (exposé des systèmes contradictoires) on n'est pas en mesure d'avoir l'intégrité morale qui va de pair chez Wittgenstein avec l'élucidation théorique des problèmes philosophiques ?
Je le répète : c'est une hypothèse que je pourrai faire dans une conversation mais qui dans nos conversations écrites court le risque de passer pour beaucoup plus assurée qu'elle n'est

jeudi 31 mars 2011

L'enseignement de la philosophie, entre non-sens et exhortation ?

Oets Kolk Bouwsma dans ses Conversations avec Wittgenstein (1949-1951) (Agone) :
" J' en suis venu à voir la nature d'une partie de mon travail, et à l'admettre : essayer de comprendre ce qu'ont dit certains de ces philosophes -Épicure, Zénon, etc. -, et le faire connaître aux étudiants. Mais je prêche également. Le premier travail serait, dans l'ensemble, futile, sans intérêt ; le second, risqué. Peut-être ne devrait-on pas du tout l'entreprendre.
Pendant tout ce temps-là, W. parlait. Il a remarqué que certaines personnes trouvent de l'intérêt dans un système, d'autres à prêcher. Il rend claire la distinction entre le discours des philosophes, construits sur du vent - il balaye l'air de ses mains -, et quelqu'un qui dit : " Ne sois pas vindicatif ; ne laisse pas le soleil se coucher sur ta colère ". Voilà la distinction entre le non-sens et l'exhortation" (p.34-35)

mercredi 30 mars 2011

Pommes pourries : Descartes, puis Wittgenstein.

Descartes dans sa réponse aux objections du P. Bourdin :
" Si d'aventure il avait une corbeille pleine de pommes, et qu'il appréhendât que quelques-uns ne fussent pourries, et qu' il voulût les ôter, de peur qu'elles ne corrompissent le reste, comment s'y prendrait-il pour le faire ? Ne commencerait-il pas tout d'abord à vider sa corbeille ; et après cela, regardant toutes ces pommes les unes après les autres, ne choisirait-il pas celles-là seules qu'il verrait n'être point gâtées ; et, laissant là les autres, ne les remettrait-il pas dans son panier ?" (Oeuvres philosophiques T.II p. 982)
Wittgenstein (1937) :
" Je venais de prendre des pommes dans un sac en papier, où elles avaient séjourné longtemps ; j'avais dû en couper beaucoup par la moitié , et jeter la partie pourrie. Comme je recopiais, un instant plus tard une phrase que j'avais décrite, dont la dernière moitié était mauvaise, je la regardai aussitôt comme une pomme à demi pourrie (zur Hälfte faulen Apfel) (Remarques mêlées , p.89-90 GF)
Une différence entre Descartes et Wittgenstein : il arrive à ce dernier de se juger lui-même comme étant aussi corrompu qu'une pomme. Ainsi, dans cette entrée de son journal, datée du 1er octobre 1937 :
" Les cinq derniers jours ont été plaisants : il (Francis Skinner) s'est installé dans la vie ici et a tout fait avec amour et gentillesse, et je n'étais pas, Dieu merci, impatient, et vraiment je n'avais aucune raison de l'être, sauf ma propre nature pourrie (rotten) " ( Monk, Wittgenstein, p.374)

samedi 26 mars 2011

Wittgenstein, Russell, les guêpes et les abeilles.

En 1922, Russell et sa femme rencontrent Wittgenstein à Innsbrück. C'est dur de trouver un hôtel à cause de l'invasion des touristes profitant de l'inflation.
" Ils finirent par trouver une chambre pour trois ; les Russell prendraient le lit et Wittgenstein dormirait sur le canapé. "Heureusement , l'hôtel avait une terrasse agréable où nous pouvions nous installer pour discuter de la meilleure manière de faire venir Wittgenstein en Angleterre." Elle (Dora Russell) nie farouchement qu'il y ait eu une dispute : " Wittgenstein n'a jamais été quelqu'un de facile, mais je pense que leurs différends portaient seulement sur des questions philosophiques."
Russell, par contre, dirait plus tard que le différend était d'ordre religieux. Selon lui, Wittgenstein, alors "au sommet de son ardeur mystique", était très peiné parce que je n'étais pas chrétien". Il "m'assura avec beaucoup de sincérité qu'il valait mieux être bon qu'intelligent". Mais cela ne l'empêcha pas (et Russell semble percevoir ici un paradoxe amusant) d' être terrorisé par les guêpes, et, en raison des insectes, incapable de passer une nuit de plus dans le logement que nous avions trouvé". ( Ray Monk Wittgenstein p.211)
Pourquoi Russell juge-t-il paradoxal le comportement de Wittgenstein ?
Parce que si on est au sommet de l'ardeur mystique on ne prête pas attention à ce qui se passe sur terre, particulièrement si cela ne représente qu'un faible danger pour notre corps ?
On pourrait aussi s'étonner du fait que Wittgenstein, qui s'est engagé en 14-18 et a demandé à intégrer une unité combattante en vue de se mettre à l'épreuve de la mort, se laisse déranger par de simples guêpes, lui dont le courage au front a été remarquable.
Mais ces guêpes me font penser aux abeilles auxquelles il se réfère dans les Remarques mêlées:
" Je puis dire : " Remercie ces abeilles pour leur miel, comme si elles étaient des hommes qui l'auraient préparé pour toi par bonté" ; cela est compréhensible et décrit la façon dont je souhaite que tu te conduises. Mais je ne puis dire : " Remercie-les car vois comme elles sont bonnes pour toi !" - elles peuvent te piquer l'instant d'après". (1937)
La religion de Wittgenstein ne l'a pas conduit à ne pas identifier les dangers possibles ; elle consistait à trouver l'attitude juste par rapport à eux. Il n'avait pas à supporter sereinement des guêpes ou des abeilles menaçantes. En revanche il devait être en mesure de faire face à un destin qu'il aurait été lâche de fuir. La religion de Wittgenstein n'a jamais été une fuite du monde, mais une manière de rester serein dans le monde, aussi horrible qu'il puisse devenir. La gratitude par rapport à la réalité pourtant non intentionnellement généreuse qu'exprime cette parabole des abeilles est le complément de cette acceptation de la réalité, quand il se trouve que celle-ci, pour des raisons qui ne dépendent pas des hommes, leur sourit.

lundi 21 mars 2011

Recension d'un livre sur Spinoza.

J'ai écrit pour Nonfiction.fr une recension d'un ouvrage de philosophie sur Spinoza (Vivre ici : Spinoza, éthique locale 2010) qui cherche à produire une théorie éthique à partir de Spinoza relu à la lumière de Riemann. Sont particulièrement intéressants les passages où l'auteur, David Rabouin, explique ce qui ne colle pas dans le système de Spinoza à la lumière de nos connaissances scientifiques actuelles.

lundi 7 mars 2011

Par amour ne pas savoir qu'on aime : une réflexion sur la distinction cause / raison à partir d'un passage de Stendhal.

On ne sait pas ce qu'on ressent tant que les autres ne nous ont pas appris à l'identifier. On ne peut même pas dire qu'on a conscience d'un sentiment mais que manque le nom car les sentiments sans nom on apprend aussi à les reconnaître en soi. C' est du moins ce qui me vient à l'esprit en lisant ces quelques lignes de La Chartreuse de Parme de Stendhal :
" Il (Fabrice) résolut de ne jamais dire de mensonges à la duchesse, et c'est parce qu'il l'aimait à l'adoration en ce moment, qu'il se jura de ne jamais lui dire qu' il l'aimait ; jamais il ne prononcerait auprès d'elle le mot d'amour, puisque la passion que l'on appelle ainsi était étrangère à son coeur " (chap. 8)
" c'est parce qu'il l'aimait à l'adoration en ce moment " : Stendhal donne la cause de la résolution de ne jamais mentir à la Sanseverina.
" jamais il ne prononcerait auprès d'elle le mot d'amour, puisque la passion que l'on appelle ainsi était étrangère à son coeur" : c'est la raison que Fabrice se donne. Il n'a pas tort car il ne ressent pas ce qu'on appelle d'habitude "amour", il est juste encore insuffisamment instruit car "amour" veut dire plusieurs choses. Autre possibilité : ce qu'il ressent est bien l'amour qui correspond à ce qu'on appelle l'amour, mais on ne lui a pas appris à le reconnaître en lui, il est juste accoutumé à l'identifier dans les autres.