samedi 30 novembre 2013

L'homme, son cerveau, son esprit...

Aristote écrit dans De l'âme :
" Soutenir que c'est l'âme qui s'indigne, revient à peu près à dire que c'est l'âme qui tisse une toile, ou qui bâtit une maison. Il vaudrait peut-être mieux dire, non pas que c'est l'âme qui a pitié, qui apprend ou qui pense, mais plutôt que c'est l'homme qui fait tout cela par son âme." (408b 12, trad. Saint-Hilaire)
Remplacez le mot âme par le mot cerveau et vous avez une réflexion très pertinente à offrir à quiconque croit résoudre le problème du rapport cerveau / esprit en attribuant au cerveau lui-même toutes les propriétés de l'homme.
Il y aurait alors deux défigurations de l'homme, l'une matérialiste (le mot homme est remplacé par le mot cerveau) et l'autre spiritualiste (le mot homme est remplacé par le mot esprit).
C'est la première en ce moment qui fait des siennes.

Créationnisme et dualisme substantiel en philosophie de l'esprit.

Dans Mind and cosmos. Why the materialist neo-darwinian conception of nature is almost certainly false (2012), Thomas Nagel écrit :
" A creationist explanation of life is the biological analogue of dualism in the philosophy of mind." (p.94)
Or, dans De l'origine radicale des choses (1697), Leibniz introduit précisément la preuve cosmologique par une analogie confirmant le point de vue de Nagel :
" Outre le monde ou agrégat des choses finies, il existe quelque Unité dominante qui est à ce monde non seulement ce que l'âme est à moi-même ou plutôt ce que moi-même suis à mon corps, mais qui entretient avec ce monde une relation beaucoup plus élevée. Car cette unité dominante dans l'univers ne régit pas seulement le monde, mais elle le construit, elle le fait ; elle est supérieure au monde et pour ainsi dire au-delà du monde, et par conséquent elle est la raison dernière des choses. "
Certes Leibniz fait bien voir que l'analogie reste approximative car, si mon esprit gouverne mon corps, il ne l'a pas créé.

Les désastres scolaires du relativisme.

Le relativisme me semble être la position spontanée de nombreux lycéens : il est aléthique (est vrai ce qui paraît vrai), éthique (est bien ce qui paraît bien), esthétique (est beau ce qui paraît beau).
Des trois c'est le relativisme esthétique qui semble le plus justifié (par exemple par l'étendue des désaccords concernant la valeur esthétique des oeuvres d'art). Aussi est-il utile de lire La beauté des choses (2013) de Sébastien Réhault. L'auteur y défend une forme prudente de réalisme esthétique : les propriétés esthétiques surviennent sur les propriétés physiques, elles existent à l'état de dispositions qui se manifestent si les choses qui les ont sont perçues dans les conditions adéquates, ce qui veut dire, entre autres, absence de préjugés, sensibilité fine, connaissance du type auquel appartient la chose, qu'il s'agisse d'une chose naturelle (une montagne) ou d'une chose artificielle (une peinture).
Mais lucide, à la fin de son ouvrage, Sébastien Réhault reconnaît que la position qu'il vient de défendre n'est pas forte au point de laisser sans voix les anti-réalistes et donc les promoteurs du relativisme esthétique. Dans la note 4 de la p.315, il va même jusqu'à reconnaître très honnêtement l'égalité de valeur des deux positions :
" Autrement dit, je fais la supposition que la probabilité du réalisme et celle de l'antiréalisme en esthétique sont toutes deux égales à 0,5 ."
C'est la raison pour laquelle le dernier chapitre de l'ouvrage est consacré à une défense pragmatique en faveur du réalisme. Il poursuit par là le but suivant : convaincre le lecteur qu'adopter le réalisme esthétique peut contribuer à " rendre notre vie esthétique, voire notre vie tout entière, meilleure ". Je retiens alors de ce qu'il écrit deux arguments ; le premier est celui de la culture humaniste :
" (...) Ce qu' il est convenu d'appeler la culture humaniste inclut notamment la connaissance de certaines oeuvres considérées comme des classiques ou des chefs-d'oeuvre, et qui se caractérisent principalement par leur degré d'achèvement esthétique. La capacité à apprécier la beauté joue un rôle majeur dans cette culture : elle est considérée comme un bien humain essentiel. Elle implique d'avoir un sens de la hiérarchie esthétique, dans la mesure où elle reconnaìt l'existence de faits esthétiques objectifs, dont la connaissance est nécessaire à l'accomplissement de "l'honnête homme" " (p. 318-319)
Repensons aux lycéens : pourquoi donc faire l'effort de connaître les chefs-d'oeuvre si être un chef-d'oeuvre, ce n'est que paraître un chef-d'oeuvre ?
Le second argument, que Réhault appelle l'argument de l'apprentissage. est le suivant :
" L'enseignement de disciplines telles que la littérature, la musique, les arts plastiques ou encore l'histoire de l'art, présuppose au moins implicitement l'acceptation d'une forme de réalisme esthétique. Sans cela, en effet, l'apprentissage parfois difficile de méthodes, de savoir-faire et de connaissances, que requièrent ces disciplines ne serait tout simplement pas possible. Cette hypothèse rejoint les remarques faites précédemment : dans le domaine esthétique, l'antiréalisme encourage plus sûrement le laxisme et le désintérêt. Dans le cas de de l'éducation artistique, cela devient carrément un obstacle." (p. 322)
Généralisons encore : l'enseignement des sciences comme de la philosophie présuppose l'acceptation du réalisme aléthique (il existe une vérité objective). Si plus aucune différence n'est faite entre ce qui vaut et semble valoir, ce qui est et ce qui semble être, alors on vit dans un monde où on apprend l'escalade à des jeunes gens persuadés que n'existent au fond nulle part des vrais murs sur lesquels grimper.

Commentaires

1. Le dimanche 1 décembre 2013, 08:38 par angie
Mais les relativistes vous diront qu'ils savent aussi faire la différence entre ce qui a de la valeur ou pas , et qu'ils ont aussi leurs chefs-d'oeuvre ( sans quoi l'art pourrait-il s'acheter et se vendre aussi bien ? ). Ils répondront qu'ils ne nient pas la beauté, mais en ont une conception moins mythologique. Ils diront " Wow ! Si cela marche pour vous, c'est génial" ( cf. Simon Blackburn , Being Good, OUP)
2. Le dimanche 1 décembre 2013, 13:23 par Jean-no
Je ne suis décidément pas fait pour la philosophie. Déjà, je comprends mal l'usage qui est fait du mot "réalisme".
Une analogie : les lois sont le fait de décisions circonstancielles qui évoluent, chaque société produit ses lois et les modifie avec ses propres évolutions. Donc les lois ne sont pas universelles, même si certaines portent sur des questions communes à tout être humain ("ne pas tuer" est un tabou répandu).
Pour autant, si j'enfreins la loi, le "mur" n'est pas imaginaire, la justice s'appliquera à mon activité, ça me coûtera du temps et/ou de l'argent, ça aura une influence véritable sur mon existence.
Il en va à mon avis de la même manière du beau : on a méprisé Vermeer et adulé Le Brun, aujourd'hui on fait le contraire, parce que le regard évolue et que ce qui touchait les gens chez Le Brun ne nous touche plus tandis que nous avons plus de facilités à relier Vermeer à notre monde. Mais plus loin que ça, un dix-septièmiste enragé, qui connait très bien la pensée et les goûts sous Louis XIV aura plus de facilité à entrer dans une peinture de Le Brun que vous ou moi. Et plus loin encore, il existe des beautés nées de malentendus, comme quand Léonard voit de beaux paysages dans les moisissures, que les cubistes inventent l'art moderne en s'inspirant de masques dogons, ou que des gamins des cités parisiennes s'inventent leur culture à base de rap californien et de bandes dessinées japonaises...
3. Le mardi 3 décembre 2013, 13:16 par Philalèthe
à Angie : certes ils peuvent jouir du chef-d'oeuvre mais pas l'explorer, le découvrir, faire apparaître ses propriétés rarement perçues etc. ou du moins ils donnent à ces verbes un sens subjectif qui les défigure.
4. Le mardi 3 décembre 2013, 13:31 par Philalethe
à jean-no : Le réalisme esthétique signifie la croyance dans l'existence de propriétés esthétiques indépendantes des hommes et présentes dans les choses naturelles et artificielles (même si l'humanité disparaissait, le Mont-Blanc resterait beau et la Joconde aussi).
Une conception réaliste du Droit signifie que les lois sont justes non si on les tient pour justes mais si elles ont comme propriété réelle la justice.
Certes même si les Droits sont pensés comme des normes appelées justes, leur transgression a des effets réels ; mais les législateurs n'ont pas eu à s'élever à la hauteur de la justice pour les faire ; ils ont par exemple appeler justes des accords utiles à la majorité.
Le réalisme esthétique est tout à fait compatible avec l'idée que la sensibilité au beau évolue, individuellement et collectivement, et qu'elle est conditionnée par des connaissances, je ne peux pas porter un jugement esthétique éclairé si je n'ai aucune idée des canons de la peinture ou d'un style de peinture. Le réalisme esthétique n'implique pas l'empirisme esthétique, c'est-à-dire la thèse que les propriétés esthétiques sont identifiées par la perception directe et rien de plus.
Quant aux moisissures, ce n'est pas donné à tous de voir la beauté de certaines au moins, avec le risque de se tromper... Et les masques dogons ne livrent leur beauté que sous certaines conditions (il ne suffit pas que quelqu'un dise c'est beau pour qu'il perçoive la beauté...)

jeudi 21 novembre 2013

Magistrat, vérificateur et super-vérificateur : un beau rêve pour le kantien !

On connaît sans doute ce passage de l' Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique où Kant pose le problème suivant : les hommes, en tant qu'animaux égoïstes, ont besoin d'un maître juste, or tout maître juste est nécessairement un homme, donc tout maître juste, en tant qu'animal d'égoïste, a besoin à son tour d'un maître. Kant en conclut que la solution parfaite du problème est impossible.
Or, Platon règle le problème dans le livre XII des Lois ; certes, en tant que kantien, on jugera la solution naïve (on peut même à bon droit penser qu'elle est une des cibles visées par Kant). Mais le texte, moins lu, je crois, que celui de Kant, vaut tout de même d'être rappelé.
Faisant parler l'Étranger d' Athènes, Platon, à la fin de son énorme dialogue, s'intéresse aux " vérificateurs qui vérifieront la gestion des (...) magistrats " ( 945 b). Il voit le problème : " Il n'est vraiment pas facile de trouver un magistrat qui soit d'une vertu supérieure ", ce qui veut dire que la moralité du magistrat, que j'appellerai de base, est déjà un bien rare . Sur ce point, kantiens et platoniciens s'entendront et en gros, ils seront d'accord pour trouver dans l'égoïsme général la cause d'une telle rareté (certes ils commenceraient à ne plus s'entendre s'il s'agissait pour les uns et les autres de déterminer les causes d'un tel égoïsme).
À ce stade de l'argumentation, influencé par Kant, on pensera que la recherche du bien rare est vaine et qu'il faudra faire avec l'imperfection humaine. Pas question, dit l' Étranger :
" Pourtant, il faut s'efforcer de trouver des vérificateurs divins."
Et l'Étranger d'exposer la procédure compliquée rendant possible l'identification sûre des vérificateurs : " il faut absolument que les vérificateurs soient admirables en ce qui concerne la vertu dans son ensemble " (945 e). Mais, entre l'homme pensé comme divin et l'homme réellement divin, il y a un monde. C'est pourquoi l'Étranger ne s'en tient pas là et, en vue de rendre possibles " les vérifications que subiront les vérificateurs eux-mêmes ", il expose une seconde procédure.
Mais où va-t-il donc s'arrêter ? Va-t-il friser le ridicule philosophique en envisageant ce que j'oserais appeler le méga-vérificateur ?
Non, à première vue, l'Étranger s'en tient là et met fin à l'escalade institutionnelle par la voie juridique :
" (...) S'il arrive que l'un d'eux, se fiant au choix que l'on a fait de lui, manifeste son humaine nature en se comportant mal après son élection, la loi devra prescrire que celui qui le souhaitera pourra le poursuivre."
La solution est étrange car, si la fonction hiérarchique de méga-vérificateur n'est pas instituée de jure , de facto elle peut être exercée par n'importe quel citoyen. Pourquoi alors ne pas avoir fait l'économie des deux degrés supérieurs (vérificateurs et super-vérificateurs) ? Si le citoyen lambda est capable de percer à jour les fraudes du super-vérificateur, pourquoi ne peut-il pas le faire aussi bien à propos des magistrats ? N'est-ce pas au prix de la cohérence que l'Étranger évite la régression à l'infini ?
En tout cas, l'Étranger, fort lucide au fond, réalise bien le côté humain, trop humain de la solution car quelques lignes plus loin, il attribue au Juste par excellence, Rhadamante, le fils de Zeus l'idée qu'il ne faut " conférer le droit de juger à aucun homme, mais le réserver aux dieux ".
En fait le problème serait réglé s'il existait des hommes divins, réellement et non supposément. Mais qu'en pense au juste Platon ?
À lire la suite de ce douzième livre, on en sort avec l'idée que l'homme divin existe bel et bien mais qu'il est distribué aléatoirement, pour ainsi dire :
" Le fait est que, dans la masse des hommes, on en trouve toujours quelques-uns, pas beaucoup, qui sont des hommes divins, et qui méritent d'être fréquentés à tout prix. Ils poussent indifféremment dans les cités régies par de bonnes lois et dans celles qui ne le sont pas." (951 b)
La vulgate platonicienne doit prendre au sérieux ces lignes qui ne font pas de l'excellence de la cité la condition de l'excellence personnelle. Foin de l'éducation rationnelle ! Un homme divin, ça pousse tout seul ! Mais le hic est qu'il ne pousse pas nécessairement là ou on a besoin, je veux dire dans la cité bien réglée que l'Étranger d' Athènes construit méticuleusement au fil des pages. C'est la raison pour laquelle la bonne cité doit promouvoir ce que j'appellerais des voyages d'études civiques :
" Aux citoyens qui souhaiteraient observer avec plus de loisir les façons de faire des autres hommes, aucune loi ne doit constituer un obstacle. Aucune cité, si elle est privée de toute expérience des hommes, bons et mauvais, ne pourrait jamais, ainsi privée de toute relation sociale, parvenir à un niveau de convenable de civilisation et atteindre la perfection, pas plus qu'elle ne saurait sauvegarder durablement ses lois si, au lieu d'en rendre compte par la raison, elle s'en remettait à l'habitude."
C'est pour déjouer l'habitude et rester fidèle à la raison que ces hommes divins, extérieurs à la cité, vont être utiles :
" C'est sur leur piste qu'il faut toujours partir lorsqu'on habite dans une cité pourvue de bonnes lois, en courant par mer et par terre à leur recherche pour être en mesure, à condition de se garder de toute corruption, de raffermir chez soi ce que les usages établis y ont de bon, et pour corriger ce qu'ils ont de défectueux. Sans cette observation et sans cette enquête, jamais une cité ne se maintiendra dans un état de perfection, et pas davantage si les observations sont mal conduites."
Comme on est loin ici de l'idée reçue selon laquelle la cité platonicienne est fermée sur elle ! C'est bien plutôt la relation avec les meilleurs des étrangers qui garantit la rationalité de la cité.
Certes on jugera sans doute bien illusoire de croire que la nature fait pousser ici et là des hommes divins et alors on retournera, un peu triste cependant, lire l'opuscule kantien...

dimanche 17 novembre 2013

Ânerie !

" Antisthène, marquant son dédain à l'endroit de ces Athéniens qui se vantaient d'être des indigènes, disait que leur noblesse ne dépassait en rien celle des limaçons et des sauterelles." (Diogène Laërce Vies et doctrines des philosophes illustres VI 1 )
" Quand on célèbre les lignées, chantant qu'un tel est de bonne race parce qu'il peut déclarer sept ascendants riches, le philosophe tient cet éloge pour celui de gens à la vue tout à fait trouble et courte, incapables, par manque d'éducation, de porter le regard sur tout et de calculer que chacun a des dizaines de milliers d'ascendants et d'ancêtres, qu'on ne peut dénombrer, et que, dans ce nombre, des riches et des mendiants, des rois et des esclaves, barbares aussi bien que Grecs, tout un chacun en a eu souvent par dizaine de milliers ; au contraire, quand on s'enorgueillit d'une liste d'ancêtres allant jusqu'à vingt-cinq et qu'on remonte jusqu'à Héraclès, fils d' Amphitryon, à lui cela paraît aberrant d'insignifiance, puisque le vingt-cinquième en remontant à partir d'Amphytrion était tel que la chance lui en était échue, et aussi le cinquantième à partir de lui : il rit de gens incapables de faire ce calcul, comme de délivrer de son enflure leur âme sans intelligence." écrit Platon dans le Théétète ( 174e-175ab)

Commentaires

1. Le jeudi 21 novembre 2013, 04:24 par angie
LE MULET SE VANTANT DE SA GÉNÉALOGIE
Le Mulet d'un prélat se piquait de noblesse,
Et ne parlait incessamment
Que de sa Mère la Jument,
Dont il contait mainte prouesse.
Elle avait fait ceci, puis avait été là.
Son Fils prétendait pour cela
Qu'on le dût mettre dans l'Histoire.
Il eût cru s'abaisser servant (1) un Médecin.
Étant devenu vieux on le mit au moulin.
Son Père l'Âne alors lui revint en mémoire.
Quand le malheur ne serait bon
Qu'à mettre un sot à la raison,
Toujours serait-ce à juste cause
Qu'on le dit bon à quelque chose.
2. Le jeudi 21 novembre 2013, 15:27 par Philalèthe
Bien sûr ! Merci beaucoup !

jeudi 14 novembre 2013

Une cité de professionnels...

En écho à mon billet du 31 Octobre, ce passage du Second Alcibiade de Platon ( en toute rigueur il y a des doutes concernant la paternité du texte mais peu m'importe ici : je ne cherche pas à reconstituer le platonisme authentique mais à cibler " la mouvance platonicienne", comme dit Luc Brisson ) :
" SOCRATE : Quel jugement porterais-tu sur une cité composée de bons archers et de bons flûtistes, et aussi d'athlètes et de techniciens, mêlés à ces gens (...) qui savent comment faire la guerre, c'est-à-dire donner la mort, ou encore à ces rhéteurs tout boursouflés d'enflure politique, gens cependant qui, tous sans exception, sont dépourvus de la science de ce qui vaut le mieux, et qui sont incapables de savoir quand il vaut le mieux se servir de chacune de ces techniques et vis-à-vis de qui ?
ALCIBIADE : Je jugerais que cette cité est mauvaise, Socrate.
SOCRATE : Cela, tu le dirais surtout, j'imagine, quand tu verrais chacun de ces hommes, pleins d'ambition, et " donnant la meilleure part " de sa gestion politique " à ce soin de se surpasser lui-même " ( Socrate cite ici un vers d' Antiope d' Euripide ), je veux dire devenir le meilleur dans la technique qui est la sienne, alors même que, en ce qui concerne ce qui vaut le mieux pour la cité et pour lui-même, il se trompe le plus souvent, parce que, j'imagine, il se fie à l'opinion sans tenir compte de l'intellect. Dans ces conditions, ne serait-on pas en droit de dire d'une telle cité qu'elle est pleine d'un trouble et d'une illégalité extrêmes ?
ALCIBIADE : On le serait, par Zeus. " ( 145e-146a, p. 55, éd. Brisson )

mercredi 13 novembre 2013

Voir ses vieux parents comme des statues.

À la fin du livre XI des Lois, l'Étranger d' Athènes, qu'on tient à bon droit pour le porte-parole de la pensée platonicienne, examine comment les lois doivent régler les relations entre les parents et les enfants. À cette occasion, il distingue deux types de culte rendu aux dieux ; j'appellerai le premier le culte direct :
" Parmi les dieux en effet, il en est que nous honorons parce qu'ils sont clairement visibles " (931 a)
Le second est indirect, parce qu' en l'absence du dieu, il passe alors par la médiation d'une chose, la statue du dieu honoré :
" Il en est d'autres auxquels nous dressons des statues qui sont à leur ressemblance, auxquelles nous rendons honneur, même si ce sont là des objets inertes "'
Cependant l' Étranger n'établit pas une hiérarchie entre les deux cultes : le dernier vaut autant que le premier du point de vue de sa fonction, obtenir la bienveillance des dieux concernés. Ce qui d'ailleurs justifie l'iinterprétation suivante : le platonisme n'a pas tant condamné l'icône (pour parler comme Peirce) que l'erreur consistant à prendre l'icône pour l'original ( si les prisonniers de la caverne avaient vu dans les ombres non des réalités originales mais des ombres de copies de réalités originales, alors ils n'auraient pas eu besoin d'être délivrés de leur ignorance ). Mais cette remarque est, dans mon propos, secondaire.
En effet, ce qui retient mon attention est la suite de ce texte car Platon va justifier les soins apportés au vieux parent par l'identification de ce dernier à une statue animée. Honorer la statue animée qu'est le vieux parent reviendra ainsi à se concilier la bienveillance des dieux :
" Abriter en sa maison ce trésor que représentent un père ou une mère, ou le père ou la mère de ces derniers, que l'âge réduit à l'impuissance, c'est avoir, que personne n'en doute, se dressant au coeur même de son foyer, une statue que nulle autre ne surpasse en puissance, à la condition en tout cas que son possesseur lui rend correctement le culte qui lui est dû."
On lit donc que la statue qu'on appellera parentale a une efficacité supérieure à la statue ordinaire du point de vue du gain attendu des dieux. La comparaison a sans doute quelque chose d'étrange car le parent ainsi statufié n'est en réalité l'icône de rien ( Platon en effet ne soutient pas que le vieillard impuissant est à l'adulte qu'il fut ce que la statue inerte du dieu est au dieu vivant ). Mais voici comment l'Étranger se justifie : quand un père appelle sur son enfant la malédiction des dieux, ces derniers obtempèrent ; il est donc logique que, si un père demande pour son enfant la bienveillance des dieux, ces derniers la lui accorderont tout autant qu'ils ont manifesté leur malveillance. L'argumentation revient donc à donner à la statue parentale un pouvoir d'intercession. On peut à partir de là justifier l'idée que la statue animée a un pouvoir supérieur à la statue inerte :
" Concevons donc, comme nous l'affirmions tout à l'heure, que nous ne saurions posséder de statue plus précieuse au regard des dieux qu'un père ou un grand-père accablé de vieillesse, qu'une mère ou une grand-mère dans les mêmes conditions, et que leur rendre honneur, c'est plaire au dieu, car autrement il n'exaucerait pas leurs prières. Sans aucun doute, quand la statue qui se dresse est celle de nos ancêtres, elle est incomparablement plus admirable que les statues inanimées ( "admirable" écrit Platon : on note que la statue parentale est irréductible à un simple moyen de mettre les dieux de son côté ). Toutes ces statues animées qui sont l'objet de notre culte prient en effet en toute occasion d'un même coeur avec nous, et si nous leur manquons de respect, elles appellent sur nous la malédiction ; en revanche les statues qui ne sont pas animées ne font ni l'un ni l'autre. Dès lors, traiter correctement un père, un grand-père et ses vieux parents dans leur ensemble, c'est posséder en eux les objets de culte qui permettent plus efficacement que toutes les autres statues d'obtenir les faveurs divines." ( 931 d-e, éd. Brisson, p. 973-974 )
Ainsi honorer une statue animée revient à plaire simplement au dieu statufié ; en revanche honorer le parent revient à plaire triplement : directement aux dieux qui prescrivent d'honorer ses parents, au parent concerné et, enfin, par la médiation des prières du parent, indirectement aux dieux qui récompensent l'enfant pour ce qu'il fait et pour ce que le premier bénéficiaire, le parent honoré, leur dit qu'il fait.
Le texte reste cependant ambigu sur le problème suivant : la faveur des dieux à l' égard de l'enfant est-elle un effet essentiellement secondaire au sens que Jon Elster a donné à cette expression ? Dit autrement, si l'enfant vise les bienfaits des dieux en soignant ses parents, les obtiendra-t-il ou doit-il viser le bonheur de ses parents pour obtenir en plus les bienfaits divins ?

Commentaires

1. Le dimanche 17 novembre 2013, 09:43 par angie
Est ce sans lien avec le dilemme de l'Euthyphron? Honore-t-on ses parents pieusement parce qu'on les aime ( ou plutôt parce que les dieux les aiment) ou bien est ce qu'on les honore ( ou les dieux) parce qu'ils sont aimables ?
2. Le dimanche 17 novembre 2013, 12:13 par Philalethe
Intéressant !
On peut reprendre le texte de l'Euthyphron :
" Est-ce que le pieux est aimé par les dieux parce qu'il est pieux ou est-ce parce qu'il est aimé d'eux qu'il est pieux ?"
Ce qui donne : honorer ses parents a-t-il une valeur intrinsèque ou est-ce seulement ce que les dieux ont décrété ?
Dans le premier cas, les dieux m'aiment parce que j'aime ce qui est aimable en soi ; dans le deuxième, ils m'aiment parce que je fais ce qu'ils ont décidé que je fasse.
En fait le problème se pose à deux niveaux : est-ce parce qu'il est aimé que le parent est aimable ou est-ce parce qu'il est aimable que le parent est aimé ? idem pour le dieu ?
Ceci dit, le texte ne pose pas le problème mais on peut se demander s'il permet de le régler. Je serais porté à paraphraser le texte ainsi : les parents et les dieux sont aimables et il faut aimer les parents aimables pour être aimé des dieux aimables.
La question de l'effet secondaire me paraît indépendante du problème de l'Eutyphron : car viser primairement à plaire aux dieux (et donc pour cela plaire aux parents ) ou viser primairement à plaire aux parents (et donc pour cela plaire aux dieux ) est un problème qui se pose identiquement, qu'on fasse de la valeur une raison justifiant l'amour (alors éclairé) ou un effet de l'amour (alors aveugle). Les dieux peuvent avoir décrété arbitrairement que pour leur plaire il faut viser à honorer ses parents (dans ce cas le bienfait est un effet essentiellement secondaire) mais ils peuvent aussi avoir décrété que pour leur plaire, il faut les viser à travers les parents comme statues ordinaires (alors le bienfait n'est pas un effet secondaire ). Mais aussi bien les dieux peuvent avoir commandé l'un ou l'autre parce que la conduite privilégiée a une valeur intrinsèque qu' ils découvrent.

mercredi 6 novembre 2013

Le smartphone: élément d' une version contemporaine de la caverne platonicienne. Nous sommes devenus des araignées.

On augmente sa lucidité, je crois, à lire L'obsolescence de l'homme. Sur l'âme à l'époque de la révolution industrielle, publié en 1956 par Günther Anders et réédité en 2002 aux éditions Ivrea.
En voici quelques lignes, concluant la quatrième partie, intitulée La matrice, du deuxième essai composant l'ouvrage, Le monde comme fantôme et comme matrice, considérations philosophiques sur la radio et la télévision :
" Nous sommes donc assis là, aujourd'hui, comme autant de Lyncées "nés pour voir, faits pour regarder", et nous regardons. Mais notre saint patron, notre modèle, ne semble plus être Lyncée. Nous ne regardons plus comme il regardait. Puisque nous ne quittons pas notre maison, puisque nous guettons le moment où une proie va tomber dans notre toile, c'est comme une araignée que nous regardons. Notre maison est devenue un piège. Ce qu'il capture constitue pour nous le monde. Rien d'autre.
Nous sommes donc assis. Un morceau de monde vient se prendre dans notre toile. Il est à nous.
Mais ce qui est venu se prendre dans notre toile n'y est pas arrivé par hasard. On nous l'a jeté. Et ce qu'on nous a jeté n'était pas un morceau de monde mais un fantôme. Ce fantôme, pour sa part, n'était pas une copie du monde, mais ce qu'avait imprimé une matrice. Cette impression, à son tour, n'est nôtre que parce qu'elle doit maintenant nous servir de matrice, parce que nous devons nous refaire à son image. Si nous devons nous refaire, c'est pour ne plus appeler "nôtre" que cette matrice et pour ne plus avoir aucun autre monde qu'elle.
Nous sommes donc maintenant assis devant une impression qui affirme être un fantôme, lequel affirme être un reflet, lequel affirme être le monde. Et nous l'assimilons. Nous devenons comme elle.
Si l'un d'entre nous était resté lyncéen - "né pour voir, fait pour regarder" - et, cherchant à s'arracher à cette tromperie, sortait pour "regarder au loin" et "voir de près", il abandonnerait rapidement sa quête et s'en retournerait définitivement trompé. Dehors, il ne trouverait désormais plus rien d'autre que les modèles de ces images stéréótypées qui ont conditionné son âme ; rien d'autre que des modèles copiés sur ces images ; rien d'autre que les matrices nécessaires à la production des matrices. Et si on lui demandait ce qu'il en est du réel maintenant, il répondrait que son destin est désormais d'accéder réellement à la réalité grâce à l'irréalité de ses copies." ( p.220-221 ).

jeudi 31 octobre 2013

Y a-t-il eu des héros nazis, moralement parlant ? ou la perfection du mal...

Une action surérogatoire est une action éthique qui diffère d'un devoir en ce qu'elle pourrait ne pas être accomplie sans qu'il y ait faute morale. Dans le catholicisme, cela revient à faire en somme plus que Dieu n'en demande (par exemple, Dieu exige la chasteté, mais pas l'abstinence, qui peut donc être vue comme surérogatoire).
Les actes surérogatoires n'impliquent pourtant pas la religion et on peut envisager leur existence dans le cadre d'une morale laïque. Reste que le surérogatoire est mieux que le bien.
Pourtant, lisant Les exécuteurs. Des hommes normaux aux meurtriers de masse (2005) de Harald Welzer, me vient à l'esprit que le surérogatoire pourrait être pire que le mal quand les hommes croient être moraux alors qu'ils ne le sont pas. Il en irait ainsi d'un certain type de nazis. Objectivement ils font le mal mais, s'imaginant qu'ils font le bien et réalisant qu'ils vont au-delà de ce qui correspond aux devoirs correspondant à ce prétendu bien, ils ont pu se penser comme réalisant des actes surérogatoires :
" " À partir du moment où l'on procéda à l'extermination de masse ", note le commandant d'Auschwitz, Rudolf Höss, " je ne me sentis pas heureux à Auschwitz. J'étais mécontent de moi-même, harassé de travail, je ne pouvais me fier à mes subordonnés et je n'étais ni compris ni même écouté par mes chefs hiérarchiques ". Auschwitz et bonheur, pour le commandant au moins cela aurait pu ne pas être en contradiction, s'il n'y avait pas eu la frustration causée par des demi-succès, l'épuisement dû au travail, l'incompétence du personnel, les ennuis du service. L'extermination massive donne tellement de travail que le bonheur du commandant s'en trouve gâché.
S'il se plaint de n'avoir plus été heureux dès lors que débuta l'extermination massive, ce n'est nullement à cause des implications morales de sa tâche, cela tient aux problèmes techniques afférents et à l'incapacité de ses collaborateurs, qui lui compliquèrent l'accomplissement de cette tâche. Si, en lisant les témoignages autobiographiques d'exécuteurs comme Höss ou comme von dem Bach-Zelevski, l'on se force momentanément à oublier à quoi ils travaillèrent sans relâche jusqu'à l'épuisement, on se rend compte que des acteurs de cette trempe n'agissaient pas seulement dans le cadre d'un devoir à accomplir, mais que leur définition du devoir consistait à outrepasser largement la mesure exigée, à en faire plus qu'on ne pouvait attendre d'eux. Dans la mobilisation d'une telle motivation, sans doute très liées à une éthique traditionnelle du devoir et à la fierté du travail et de la production, réside l'une des forces désastreuses du système national-socialiste ; et cette mobilisation ne fut possible que parce que les acteurs étaient profondément convaincus du sens de leur tâche éreintante et par conséquent prêts à y donner le meilleur d'eux-mêmes." ( p.61-62, Gallimard )
Lues par un relativiste moral, pour qui n'existe aucune définition objective du bien et du mal, ces lignes pourraient entraîner à penser que ces hommes étaient aussi respectables moralement que ceux qui, dans le cadre d'éthiques religieuses ou laïques, vont par leurs actes au-delà de qui est exigé d'eux.
J'ajoute pour conclure que Welzer est loin de défendre que tous les nazis ont eu ces motivations pseudo-morales...

Commentaires

1. Le vendredi 1 novembre 2013, 08:39 par Versus
J' ose une question naïve.
L' expression " être un bourreau de travail" provient-elle de cette histoire récente de la dernière guerre européenne?
Heureux aussi de savoir qu' une personne taxée d' être un bourreau de travail ne soit pas forcément convaincue d' idéologie nazi!
2. Le vendredi 1 novembre 2013, 09:32 par Philalèthe
Bourreau de travail veut dire homme qui se torture par le travail. Voyez à ce sujet 
À part ça, je n'ai pas écrit que tous les bourreaux de travail ne sont pas des nazis mais que tous les nazis n'étaient pas ce que vous appelez des bourreaux de travail, ce qui ne revient pas au même ! Ceci dit, pas de souci ! Vous avez le bon sens pour vous.
Plus sérieusement, pour qu'un bourreau de travail fasse des actes surérogatoires, il faut que son travail ait des motivations morales.
3. Le vendredi 1 novembre 2013, 16:12 par angie
Certes ils en faisaient plus que requis, ces bourreaux. Mais concevaient-ils pour autant leur tâche comme *morale*, ce qui est la définition de la surérogation.
Le juge de Sophie et Hans Scholl , Roland Freisler, justifiait ses actes et son jugement par l'accusation de "démoralisation de l'armée" contre la Weisse Rose, mais ne prétendait pas agir au nom de la morale.
Eichmann , Barbie et tous les autres parlaient de devoir, mais leur kantisme était quand même un peu limité ! A
Même en termes kantiens ils ne firent jamais des choses suréogatoires, mais plutôt sous-régoratoires.
4. Le vendredi 1 novembre 2013, 17:20 par Philalethe
Il semble bien que certains nazis, sans aucun doute minoritaires, aient conçu dans l'aveugement leur tâche comme morale. Himmler par exemple semble avoir présenté ses convictions intimes quand il disait dans le discours de Posen adressé aux généraux SS en 1943 : 
" Nous avions le droit moral, nous avions le devoir envers notre peuple, de tuer ce peuple qui voulait nous tuer. Mais nous n'avons pas le droit de nous enrichir en nous appropriant ne serait-ce qu'une fourrure, une montre, un mark ou une cigarette ou quoi que ce soit d'autre. Nous ne voulons pas, parce que nous éradiquons un bacille, finir par être contaminé par ce bacille et par en mourir. Je ne tolérerai jamais de voir ici le plus petit point de pourriture naître ou s'installer. Où qu'il se forme, nous le brûlerons ensemble. Mais au total nous pouvons dire que cette mission, la plus rude de toutes, dans l'amour de notre peuple nous l'avons accomplie. Et nous m'en avons pas subi de dommage au-dedans de nous, dans notre âme, dans notre caractère."
L'éthique en question est tout à fait sui generis et n'a rien à voir avec le kantisme ; si on devait absolument la qualifier philosophiquement, elle m'apparaît plus comme un mélange confus d'éthique médicale (il faut soigner l'humanité de manière chirurgicale ), de nationalisme (il faut sauver son peuple), d'eugénisme (il faut sauver les races pures) et d'utilitarisme (il est légitime de sacrifier une minorité pour le bonheur de tous).
Invoquant (sincèrement ou non) Kant, Eichmann n'entre donc pas dans la catégorie de ceux que le billet visait puisqu'il a cherché ridiculement à se justifier par l'éthique kantienne (en effet s'il était sincère, son kantisme était complètement limité !).
Certes Welzer insiste beaucoup dans son ouvrage sur l'idée d'une morale comme raison d'agir de certains criminels. Mais je reconnais que Hilberg dans Exécuteurs, victimes, témoins (1992) appelle "agents zélés" ceux que je visais et réserve l'expression "gens de devoir" pour ceux qui ont été empêchés par leurs scrupules moraux de se livrer à ces horreurs. Pour les premiers, il parle de "perfectionnistes" (p.90) et d'"idéalistes" (p.91) mais se contente de les dépeindre comme des bureaucrates ambitieux et ne leur reconnaît donc si on peut dire qu'une conscience professionnelle.
Ceci dit, qu'il y ait eu des nazis qui s'imaginaient moraux ou pas, comme l'écrit Putnam dans Raison, vérité et histoire, " nous voulons pouvoir dire que les objectifs des nazis étaient profondément mauvais et que la thèse selon laquelle cela serait vrai par rapport à nos intérêts et faux par rapport à ceux des nazis est précisément le type de relativisme qui nous répugne" (p.188).
J'imagine que sur ce point on est d'accord.
5. Le samedi 2 novembre 2013, 21:15 par angie
Il me semble qu'il faut distinguer le bien qu'on veut faire ( du point de vue de l'agent) et celui qu'on fait ( objectivement) . L'ours peut vouloir , pour votre bien, vous ôter la mouche du nez, mais se planter sur le résultat escompté en vous balançant le pavé. J'ai toujours compris la surégogation comme une qualification d'un acte a parte objecti , pas a parte subjectif. Les nazis avaient surement du point de vue subjectif l'impression d'en faire déjà trop, ou pas assez. Mais faisaient ils en ce sens de la surégogation ?
Je lis récemment que dans le dernier film
de Claude Lanzmann, le Dernier des Injustes, le doyen des juifs de Theresienstadt conteste la conception arendtienne des motifs d'Eichmann.
Hilberg a certainement a peu près tout dit, à mon sens .
6. Le jeudi 7 novembre 2013, 11:33 par Philalethe
Dans le cadre dans lequel nous discutons, il conviendrait de penser à un ours tuant un homme pour sauver une mouche qu'il croit avoir vue mais qui n'existe que comme hallucination...
Oui, sauf à tomber dans le relativisme moral le plus consternant, on devra appeler surérogatoire un acte réellement moral qui excède ce que le devoir moral commande de faire.
Oui, il semble qu'Arendt ait fait une théorie philosophique du mal à partir de la défense d'Eichmann dans son procès et non à partir des raisons réelles qu'il a eues de participer au génocide.
Oui, alors Hilberg a raison et Welzer est en revanche très ambigu sur la question de la morale nazie (ce qui n'enlève rien au fait que certains nazis se sont imaginés moraux).

lundi 28 octobre 2013

À quelles conditions puis-je rendre l'esclave dont je ne veux plus ?

Platon, Lois, XI, 916a-916c :
" Voici selon quelles dispositions la loi permet de demander ou de refuser ce retour. Si quelqu'un a vendu un esclave atteint de la phtisie, de la pierre, d'une maladie de la vessie ou de ce qu'on appelle le mal sacré, ou encore de quelque autre maladie qui échappe aux yeux de la plupart des gens mais qui, touchant le corps ou la pensée, est grave et difficile à guérir, l'acheteur ne pourra obtenir le retour s'il est médecin ou gymnaste ; il ne l'obtiendra pas non plus si le vendeur l'a prévenu et lui a dit la vérité. Mais si pareille vente a été faite à un simple particulier par un homme du métier, l'acheteur aura le droit de retourner l'esclave pendant une période de six mois, à moins qu'il ne s'agisse du mal sacré, maladie pour laquelle le retour est possible durant une période d'une année entière. Que l'affaire soit débattue devant trois médecins qui auront été choisis par entente entre les deux parties. Si le vendeur est reconnu coupable à la suite du procès, il paiera le double du prix de vente. Par ailleurs, dans le cas où le vendeur et l'acheteur n'ont ni l'un ni l'autre de compétence, il y aura retour dans les conditions que l'on vient de dire et à la suite aussi d'un jugement, mais le vendeur qui sera condamné ne paiera que le prix simple. Si encore quelqu'un vend sciemment à quelqu'un qui le sait un esclave qui a commis un meurtre, il sera impossible de retourner un esclave vendu dans ses conditions. Mais si la vente a été faite par quelqu'un qui n'était pas au courant, il y aura possibilité de retour du moment où l'un des acheteurs se sera aperçu de la chose, et le cas sera tranché par les cinq plus jeunes gardiens des lois. Si le tribunal juge que le vendeur n'ignorait pas la vérité, celui-ci devra purifier la maison de l'acheteur suivant la loi établie par les exégètes, et verser à l'acheteur le triple du prix." ( éd. Brisson, p. 958-959 )