Le journal espagnol El Pais a publié le 29 Mars un entretien avec Bruno Latour. J'en extrais un passage :
" P. ¿Los hechos no existen independientemente de estos mundos ?
R. Los hechos hay que sostenerlos, no viven solos. Un hecho solo es un cordero frente a los lobos.
P. ¿Quiénes son los lobos?
R. Los que devoran los hechos. Un hecho debe estar instalado en un paisaje, sostenido por costumbres de pensamiento, hacen falta instrumentos e instituciones."
Selon ma traduction, au risque de ne pas rendre exactement la formulation originale :
" Question : les faits n'existent-ils pas indépendamment de ces mondes (Latour a dit avant que désormais les gens vivent sur des planètes différentes et que le monde commun, réel est perdu) ?
Réponse : les faits, il faut les soutenir, ils ne vivent pas seuls. Un fait seul est un agneau face aux loups.
Q. : qui sont les loups ?
R. : ceux qui dévorent les faits. Un fait doit être installé dans un paysage, soutenu par des habitudes de pensée, il faut des instruments et des institutions."
On se rappelle que dans La généalogie de la morale (I, 13), Nietzsche prend l'agneau comme symbole de l'homme du ressentiment. Ce sont les oiseaux de proie qui y tiennent le rôle du loup. Certes dans le texte nietzschéen l'agneau va gagner mais au mépris de la vérité, séparant la force de ses manifestations, inventant le libre-arbitre et la culpabilité imaginaire des oiseaux de proie. Le fait a donc tout à craindre pour sa force à lui de se retrouver, dans la bouche de Latour, incarné dans la peau de l'agneau...
En effet comparer le fait à un vivant fragile pousse à le voir, sinon comme une création, du moins comme le produit d'une culture. Manifestement Latour regrette la disparition d'une culture commune (à mon avis il a bien contribué à cette disparition en jetant le doute sur la réalité de la réalité...), mais les hommes peuvent-ils parvenir à reconnaître des vérités factuelles objectives si les faits ont réellement la fragilité du vivant ? S'il faut choisir une métaphore, alors je prendrai plutôt le rocher, car les faits résistent au temps, on se heurte à eux, etc. Ce qui dépend de la culture n'est pas le fait, mais la connaissance du fait. Si la culture ne donne pas de bonnes habitudes épistémiques, on peut passer à côté des faits, ne pas les comprendre, les défigurer etc.
En effet comparer le fait à un vivant fragile pousse à le voir, sinon comme une création, du moins comme le produit d'une culture. Manifestement Latour regrette la disparition d'une culture commune (à mon avis il a bien contribué à cette disparition en jetant le doute sur la réalité de la réalité...), mais les hommes peuvent-ils parvenir à reconnaître des vérités factuelles objectives si les faits ont réellement la fragilité du vivant ? S'il faut choisir une métaphore, alors je prendrai plutôt le rocher, car les faits résistent au temps, on se heurte à eux, etc. Ce qui dépend de la culture n'est pas le fait, mais la connaissance du fait. Si la culture ne donne pas de bonnes habitudes épistémiques, on peut passer à côté des faits, ne pas les comprendre, les défigurer etc.
C'est un fait que Bruno Latour a eu un entretien avec un journaliste de El Pais. Je ne sais pas si c'est un fait important ; certes on pourra l'oublier, mais le faire disparaître est absolument impossible.
Commentaires
de l'an 2017. On ne lit pas les dossiers
car on sait d'avance ce qu'il y a dedans.
sauf le jour où il y a un truc inédit, et où on approuve, ou donne son paraphe, à ses dépends, car la presse n'attend, comme Lendl face à McEnroe (pardon pour la ringardise des souvenirs tennistiques), que la faute pour faire un revers.