Dans le premier dialogue des Nouveaux dialogues des morts, Fontenelle met face à face une hétaïre grecque, Phryné, et Alexandre le Grand.
On le comprend vite, c'est Phriné qui porte la parole de Fontenelle.
Elle rappelle d'abord ce qu'on apprend en lisant Les Deipnosophistes d' Athénée (XIII, 59) :
" Vous pouvez le savoir de tous les Thébains qui ont vécu de mon temps. lls vous diront que je leur offris de rebâtir à mes dépens les murailles de Thèbes, que vous aviez ruinées, pourvu que l'on y mît cette inscription : Alexandre le Grand avoit abattu ces murailles, mais la Courtisane Phriné les a relevées "
Ce que ne dit pas Phriné mais qu'on apprend d' Athénée, c'est que cette condition épigraphique ne fut pas acceptée. Mais peu importe, Fontenelle va lui donner l'occasion de prendre le dessus en défendant le primat de la beauté sur la valeur.
Argument nº1 :
Première version : la beauté a un pouvoir direct sur les hommes alors que la valeur n'a de pouvoir que par la force.
Seconde version : la belle conquiert seule alors que le valeureux ne peut rien conquérir sans les autres :
" Si je retranchais de votre gloire ce qui ne vous en appartient pas, si je donnais à vos soldats, à vos capitaines, au hasard même, la part qui leur en est dûe, croyez-vous que vous n'y perdissiez guère ? Mais une belle ne partage avec personne l'honneur de ses conquêtes : elle ne doit rien qu'à elle-même. Croyez-moi, c'est une jolie condition que celle d'une jolie femme."
Argument nº2 : la beauté se soumet les orateurs qui, eux, pourtant résistent aux valeureux.
" Votre Père Philippe était bien vaillant, vous l'étiez beaucoup aussi ; cependant vous ne pûtes ni l'un ni l'autre inspirer aucune crainte à l' orateur Démosthène, qui ne fit pendant toute sa vie que haranguer contre vous deux ; et une autre Phriné que moi (car le nom est heureux) étant sur le point de perdre une cause fort importante, son avocat qui avait épuisé vainement toute son éloquence pour elle, s'avisa de luy arracher un grand voile qui la couvrait en partie ; et aussitôt, à la vue des beautés qui parurent, les juges qui étaient prêts à la condamner, changèrent d'avis. C'est ainsi que le bruit de vos armes ne put, pendant un grand nombre d'années, faire taire un orateur, et que les attraits d'une belle personne corrompirent en un moment tout le sévère Aréopage."
Reste que, comme leur nom l'indique, la conquérante et le conquérant ont un point commun : leur accumulation (d'amants, de terres) dépasse la mesure raisonnable. Mais cet excès est la condition de la renommée.
Aussi à partir de ce premier dialogue ne peut-on pas dire que la renommée est un état essentiellement secondaire !
Ajout du 23-01-13 : "Je ne puis dire assez souvant combien j'estime la beauté, qualité puissante et advantageuse. Il (Socrate) l'appeloit une courte tyrannie et Platon le privilège de nature. Nous n'en avons point qui la surpasse en credit. Elle tient le premier rang au commerce des hommes : elle se présente au devant, seduict et preoccupe nostre jugement avec grande authorité et merveilleuse impression. Phryné perdoit sa cause entre les mains d'un excellent advocat si, ouvrant sa robbe, elle n'eust corrompu ses juges par l'esclat de sa beauté." écrit Montaigne (Essais III 12)