Vous pouvez toujours googleïser Barbe Plomberge, vous ne trouverez rien la concernant, mis à part le fait que, morte, Fontenelle la fit discuter avec Lucrèce, plus célèbre elle, mais morte aussi, pour avoir sauvé son honneur par un suicide.
Plus surprenant : Larousse ne dit mot de Barbe Plomberge dans son Dictionnaire universel du 19ème siècle.
Peu importe au fond, car j'ai découvert sa propriété la plus importante à mes yeux. Elle la partage avec Marie Stuart. Toutes deux personnages des enfers fontenelliens, elles ont devancé Jon Elster en attirant l'attention du lecteur de la fin du dix-septième sur les états essentiellement secondaires.
Mais d'abord que je vous mette au fait de ce que Barbe dit de sa vie en s'adressant à Lucrèce :
" Vous ne voulez pas me croire ; cependant il n'y a rien de plus vrai. L'empereur Charles V eut avec la Princesse que je vous ai nommée (le dialogue commençant in medias res, je n'en sais, lecteur, pas plus que vous sur ladite princesse) une intrigue à laquelle je servis de prétexte ; mais la chose alla plus loin. La Princesse me pria de vouloir bien aussi être la mère d'un petit Prince qui vint au jour, et j'y consentis pour lui faire plaisir."
Dit autrement, Barbe est généreuse en prenant sur elle la mauvaise réputation d'une autre. Lucrèce, qui s'est suicidée à cause d'un viol déshonorant, ne comprend pas les raisons de Barbe mais voit bien l'intérêt de la Princesse :
" (...) la Princesse (...) était assez heureuse d'avoir trouvé une mère pour ses enfants. Et ne vous en donna-t-elle qu' un ?"
Commence alors un échange dans lequel Barbe va mettre Lucrèce au courant : la réputation est un état essentiellement secondaire ( transcrivant le dialogue, je me permets de reprendre les curieuses abréviations de nom choisies par les éditeurs chez Fayard lors de l'édition du premier tome des Oeuvres complètes de Fontenelle en 1990, édition d'ailleurs très négligée typographiquement) :
B.PLOM. Non.
LU. Je m'en étonne ; elle devoit profiter davantage de la commodité qu'elle avait, car vous ne vous embarrassiez point du tout de la réputation.
B.PLOM. Je vais vous surprendre. Sachez que l'indifférence que j'ai eue pour la réputation m'a réussi. La vérité s'est fait connoître, malgré tous mes soins ; et on a démêlé à la fin que le Prince qui passoit pour mon fils, ne l'était point. On m'a rendu plus de justice que je n'en demandois, et il me semble qu'on m'ait voulu récompenser par là de ce que je n'avois point fait parade de ma vertu, et de ce que j'avois généreusement dispensé le Public de l'estime qu'il me devoit.
LU. Voilà une belle espèce de générosité ! Il ne faut point là dessus faire de grâce au Public.
B.PLOM. Vous le croyez ? Il est bien bizarre ; il tâche quelquefois à se révolter contre ceux qui prétendent lui imposer d'une manière trop impérieuse la nécessité de les estimer. Vous devriez savoir cela mieux que personne. Il y a eu des gens qui ont été en quelque sorte blessés de votre trop d'ardeur pour la gloire ; ils ont fait ce qu'ils ont pu pour ne vous pas tenir autant de compte de votre mort qu'elle le méritoit.
LU. Et quel moyen ont-ils trouvé d'attaquer une action si héroïque ?
B.PLOM. Que sais-je ? Ils ont dit que vous vous étiez tuée un peu tard ; que votre mort en eût valu mille fois davantage, si vous n'eussiez pas attendu les derniers efforts de Tarquin ; mais qu'apparemment vous n'aviez pas voulu vous tuer à la légère, et sans bien savoir pourquoi. Enfin, il paroît qu'on ne vous a rendu justice qu'à regret, et à moi on me l'a rendue avec plaisir. Peut-être a-ce été parce que vous couriez trop après la gloire, et que moi je la laissois venir, sans souhaiter même qu'elle vînt.
LU. Ajoutez que vous faisiez tout ce qui vous étoit possible pour l'empêcher de venir (Lucrèce, maligne, suggère ici que Barbe a tiré une technique de sa connaissance de la réputation comme effet essentiellement secondaire : elle aurait été modeste en vue qu'on parle élogieusement de sa vertu).
B.PLOM. Mais n'est-ce rien que d'être modeste ? Je l'étois assez pour vouloir bien que ma vertu fût inconnue (Barbe assure Lucrèce de la droiture morale de sa volonté). Vous au contraire, vous mîtes toute la vôtre en étalage et en pompe. Vous ne voulûtes même vous tuer que dans une assemblée de parents. La vertu n'est-elle pas contente du témoignage qu'elle se rend à elle-même ? N'est-il pas d'une grande âme de mépriser cette chimère de gloire ? "
Reste un fait troublant : qu'on ne sache plus du tout qui était Barbe réfute-t-elle ce qu'elle défendait dans cette conversation infernale ?