" Il n'y a point de si petit peintre qui ne porte son jugement du Poussin et de Raphaël. De même, un auteur, tel qu'il soit, se regarde, sans hésiter, comme le juge de tout autre auteur. S'il rencontre dans un ouvrage des opinions qui anéantissent les siennes, il est bien éloigné de convenir qu'il a pu se tromper toute sa vie. Lorsqu'il n'entend pas quelque chose, il dit qu'il est obscur, quoiqu'il ne soit pour d'autres que concis ; il condamne tout un ouvrage sur quelques pensées, dont il n'envisage quelquefois qu'un seul côté. Parce qu'on démêle aujourd'hui les erreurs magnifiques de Descartes, qu'il n'aurait jamais aperçues de lui-même, il ne manque pas de se croire l'esprit plus juste que ce philosophe ; quoiqu'il n'ait aucun sentiment qui lui appartienne, presque point d'idées saines et développées, il est persuadé qu'il sait tout ce qu'on peut savoir ; il se plaint continuellement qu'on ne trouve rien dans les livres de nouveau, il ne peut ni le discerner, ni l'apprécier, ni l'entendre : il est comme un homme à qui on parle un idiome étranger, incapable de sortir de ce cercle de principes connus dans le monde, qu'on apprend, en y entrant, comme sa langue."
Ceci lu, notez que le Critique Honteux ne doit pas davantage être un modèle. Plagiant platement Vauvenargues et le trahissant un peu, j'en fais le portrait qui suit ( pas plus que le Critique Borné, il n'a de nom ):
" Aussi petit que soit le peintre, le Critique Honteux ne porte sur lui aucun jugement. De même, bien qu'auteur, il se regarde sans hésiter comme incapable de juger tout autre auteur. S'il rencontre dans un ouvrage des opinions qui anéantissent les siennes, il est bien proche de convenir qu'il a pu se tromper toute sa vie. Lorsqu'il n'entend pas quelque chose, il dit qu'il est concis, quoiqu'il ne soit pour d'autres qu'obscur ; il approuve tout un ouvrage sur quelques pensées, dont il n'envisage quelquefois qu'un seul côté. Parce qu'on démêle aujourd'hui les erreurs magnifiques de Descartes, qu'il ne prétendrait jamais avoir pu apercevoir de lui-même, il ne manque pas de se croire encore plus incapable du moindre jugement vrai ; quoiqu'il ait quelque sentiment qui lui appartienne et quelques idées saines et développées, il est persuadé qu'il ne sait rien de ce qu'on peut savoir ; il dit continuellement qu'on doit toujours trouver du nouveau dans les livres mais il croit ne pouvoir ni le discerner, ni l' apprécier, ni l'entendre ; il se juge alors comme un homme à qui on parle un idiome étranger, incapable malgré lui de sortir de ce cercle de principes trop connus dans le monde, qu'il regrette d'avoir appris, en y entrant, comme sa langue."