samedi 28 juin 2014

L'idéologie pétainiste, influencée par Durkheim ?

Dans Transformation de la philosophie française (1950), Émile Bréhier écrit un troisième chapitre intitulé Les initiatives spirituelles au début du XXème siècle et étudie d'abord Bergson, puis Durkheim, et enfin, un peu oublié aujourd'hui, Laberthonnière. À la fin de la partie consacrée au sociologue, Émile Bréhier cherche à dégager ce qui chez Durkheim a de la valeur dans le social :
" (...) si l'on cherche dans ses oeuvres la réalité concrète que Durkheim imagine sous le nom de société, on s'apercevra que c'est un groupe assez petit et assez proche de l'individu, pour que la conscience personnelle, éduquée comme il faut, puisse l'embrasser facilement : c'est aux petites sociétés primitives, au clan, à la tribu qu'il s'attache surtout, et, dans nos sociétés évoluées, ce n'est pas aux formations d'ensemble qu'il songe pour remédier à l'"anomie" morale et juridique où se trouve actuellement la vie économique ; c'est au groupe professionnel, à la corporation qui seule permet ( l'État étant trop loin ) de créer une certaine homogénéité intellectuelle et morale entre ses membres ; et il rêve que l'État lui-même soit fait d'un vaste système de corporations nationales."
C'est alors que Bréhier place une note qui éveille ma curiosité :
" Dans la préface de la deuxième édition de La Division du travail social ; on sait quel succès devait rencontrer cette vue chez les ennemis de la démocratie"
Certes le pétainisme et l'État Français ont institué des corporations mais ces pratiques se sont-elles réclamées explicitement des analyses de Durkheim évoquées par Bréhier dans le texte cité ?

Commentaires

1. Le dimanche 29 juin 2014, 15:22 par Elias
Il semble que le corporatisme de l'Etat français a plutôt été inspiré par la tradition catholique. Voir cet article sur les maîtres d'oeuvre du corporatisme de Vichy :
http://www.cairn.info/zen.php?ID_AR...
Mais je ne sais pas dans quel mesure il a pu y avoir mixage dans les années 30 entre le corporatisme d'inspiration catholique (de droite) et le corporatisme d'inspiration durkheimienne (de gauche).
2. Le mardi 1 juillet 2014, 08:27 par Philalèthe
Merci beaucoup pour cette référence.

vendredi 27 juin 2014

Les clercs ont-ils trahi, oui ou non ? Universalisme abstrait, universalisme ardent et romantisme.

Julien Benda n'est pas dans l'index des noms propres à la fin de Transformation de la philosophie française, publié par Émile Bréhier en 1950. Reste qu'une petite note (encore un billet sur une note) lui est consacrée.
Émile Bréhier vient de refuser de reprendre à son compte une interprétation marxiste des trois philosophies qu'il a identifiées à des initiatives spirituelles marquant le début du 20ème siècle : " l'intuition bergsonienne qui était la connaissance de l'esprit comme tel, la mystique sociale de Durkheim, l'"intuition laborieuse" de la charité de Laberthonnière " (p.49). Ce qui a du prix pour Bréhier dans ces ces trois formes de "néospiritualisme" - à dire vrai, ayant lu Durkheim à travers Bourdieu, je peine à identifier l'oeuvre du "fondateur de la sociologie" à un néospiritualisme - est le rattachement de l'homme à des totalités (la vie, la société, Dieu) qui, une fois identifiées, devraient renouveler en l'enrichissant la compréhension que chacun a de soi :
" Mais le genre d'universalisme qui se définit chez eux n'est pas du tout cet universalisme abstrait qui se borne à enregistrer les principes les plus communs de la raison humaine et aboutit à une impartialité toute proche de l'indifférence ou même du dédain." (p. 52)
Il me semble qu'implicitement dans ces lignes Bréhier vise le rationalisme défendu par Julien Benda. L'auteur continue ainsi :
" C'est un universalisme en profondeur, un universalisme ardent pour ainsi dire qui remonta plus haut et plus loin que les catégories dans lesquelles risque de se figer l'activité morale, sociale et politique de l'homme ; bien loin d'une indifférence à la cité et aux maux humains, c'est comme une reprise, à l'origine, de la nature humaine, qui replace l'homme dans le circuit social, dans le circuit divin, d'où risquaient de l'écarter tant un individualisme atomisant que la contrainte d'un groupe social fermé."
Il semble qu'ici Bréhier milite en faveur d'une sorte de rationalisme ouvert, élargi, moderne. Reste à se demander si les nouvelles conclusions auxquelles ce rationalisme aboutit, d'une part sont vraies (par exemple y a-t-il un circuit divin ?) et, plus profondément, d'autre part ne sont pas accessibles en fin de compte que par l' application des règles de la rationalité "étroite", traditionnelle, classique, comme le respect du principe de contradiction, à d'autres objets que ceux auxquels on avait l'habitude de les appliquer.
Mais j'en viens enfin à la note qui est la raison d'être du billet :
" C'est dire que, contrairement à Julien Benda, nous n'admettrons pas que ces "clercs" aient "trahi" et subordonné la recherche de la vérité à des passions politiques ou religieuses."
Il est net qu'au moins sur la valeur de la philosophie bergsonienne, Benda et Bréhier ne se sont pas entendus. Mais lequel donc avait raison ?
Portons au crédit de Bréhier une analyse qui cherche à distinguer les philosophies auxquelles il se réfère des "mouvements d'idées" (un marxiste écrirait sans doute ici "idéologies") qui leur ressemblent mais qui en vérité visent, d'après lui, non le développement de l'intelligence, mais plutôt son humiliation :
" Le trait foncier de ses doctrines (Bréhier vise ici les théories de Bergson, Durkheim et Laberthonnière), le rattachement de l'individu à un tout qui, en le guérissant de son isolement, atténue aussi son égoïsme, se retrouve en effet dans des doctrines qui présentent, avec évidence, cette intention de défense sociale (Bréhier reprend ici l'interprétation marxiste). Mais précisément, toutes ces doctrines connues, celles de Barrès, de Maurras, qui s'achèvent en une politique fort étroite et conservatrice, sont, à certains égards, l'inverse d'une philosophie. Bien loin d'élever l'homme à la conscience claire et distincte par ce retour au sol, à la terre, à la race, à la tradition politique et religieuse qui doit l'arracher à un individualisme mortel, elles veulent que ces forces collectives restent inconscientes ou agissent à la façon des forces physiques ; au fond et malgré l'apparence, leur philosophie reste celle de Taine, le déterminisme des faits spirituels par des conditions physiques et historiques ; comme ils sont hommes d'action, ils font une politique de ce qui, chez Taine, avait d'abord été pure spéculation ; mais cette politique exige qu'ils laissent plus ou moins dans l'obscurité de l'inconscient ces forces souterraines qui font agir l'homme : de là, cette forme littéraire, celle de Barrès par exemple, qui présente d'une manière dramatique et imagée l'affaissement moral qui résulterait chez les hommes, du désir d'échapper à ces forces.
L'honneur de la philosophie française dans ce début du siècle, c'est, à l'inverse de ce romantisme qui résorbait la réflexion et la volonté dans la nature, d'avoir gardé intact et même d'avoir amplifié ce souci d'universalité, de conscience claire, d'humanité qui reste malgré tout notre tradition véritable ; une des critiques les plus ordinaires faites à Bergson à cet époque fut son prétendu naturalisme, qui réduisait, disait-on, l'acte volontaire à la spontanéité sensible, son anti-intellectualisme qui faisait de l'intelligence une simple fonction vitale. Comme si la raison exigeait cette vision abstraite et desséchée des choses, alors si répandue, qui considérait l'esprit humain à part de la vie universelle ! En réalité tout l'effort de Bergson a été, comme celui de Spinoza, de porter la clarté de la conscience et de la réflexion, aidée de toutes les connaissances scientifiques qui lui furent accessibles, en des questions où la conscience ordinaire n'a que des lueurs fugitives et dont elle ne possède que des solutions plus ou moins mythiques. De plus et surtout, ce mouvement de conversion vers l'origine amène si peu à résorber les formes supérieures, humaines de la vie dans les formes arbitraires, qu'elle est au contraire (comme chez Plotin) une montée, une ascension de l'homme vers un destin toujours plus haut ; il est si loin de rendre l'homme prisonnier des sources particulières où il a puisé la vie, de sa race, de ses traditions, qu'il veut au contraire l'en délivrer et qu'il n'envisage jamais que le progrès universel de l'humanité, ce qui fait de sa doctrine un véritable humanisme ; il est si peu hostile à l'intelligence qu'il en fait par excellence la fonction qui affranchit l'homme de l'absorption dans l'objet à laquelle est astreint l'instinct de l'animal, et qui prépare l'universalité de l'intuition."
On peut faire l'hypothèse que l'expérience des années 1940-1944 a passablement aidé Bréhier à voir clair dans les effets réels de certaines doctrines fortement anti-humanistes.
Dans quelle mesure alors quelqu'un comme Benda a-t-il confondu ce que Bergson désigne ici du nom d'universalisme ardent, au fond rationaliste, avec un romantisme anti-rationaliste ? C'est un point qui mérite peut-être d'être discuté.

Commentaires

1. Le samedi 12 juillet 2014, 19:35 par nuncsunt bibenda
Bréhier fait ici l'erreur usuelle sur l'universalisme de Benda, qui consiste à l'interpréter comme apôtre du détachement du monde au nom des valeurs éternelles, et de la réclusion dans la tour d'ivoire, loin de la foule déchaînée des passions politiques.
Or Benda a fait justice de cette lecture dés La fin de l'éternel, 1929. Il n'a jamais quitté le monde, et n'a jamais cessé de dire que le clerc doit intervenir dans le monde. Mais au nom des valeurs universelles, et en distinguant celles ci de leurs pseudo réalisations dans la vie , le concret, etc. Autrement dit Benda est le contraire d'un partisan de l'indifférentisme. Comme le montre sa carrière politique. Qu'il ait mal appliqué ses valeurs universelles est autre chose.
L'indifférentisme est au contraire, selon lui le produit de ces conceptions étroites barrésiennes, nationalistes qui, quand on se rend compte que la politique ne les promeut pas, conduisent à se foutre de tout. Il condamne en ce sens Morand, mais sans doute aussi Céline, qu'on ferait mieux de lire comme un indifférent.
2. Le mercredi 16 juillet 2014, 18:54 par Philalèthe
Certes Benda n'est pas resté isolé dans sa tour d'ivoire mais il est intervenu, sauf à me tromper, à partir d'un ensemble de normes et de valeurs rationnelles qu'il pensait comme éternelles et universelles ; or, il me semble que c'est aussi cette conception de la raison comme ayant fourni une fois pour toutes de quoi orienter l'action et la pensée qui est mise en doute par Bréhier et sur ce point-là il ne me paraît pas manquer sa cible, au sens où pour Benda il n'y a pas une histoire de la raison, tout au plus peut-être une histoire des usages que les hommes en ont faits. Que Bréhier vise juste ici ne veut pas dire qu'il défende une conception vraie de la raison...
En plus reste la question posée à la fin du billet : Benda n'a-t-il pas pratiqué l'amalgame en condamnant également ce que Bréhier semble distinguer en irrationalisme d'une part et d'autre part quelque chose comme un rationalisme en progrès, je veux dire un rationalisme attentif à dépasser les insuffisances des conceptions antérieures de la raison ?
3. Le jeudi 17 juillet 2014, 18:06 par Philalèthe
Je trouve dans L'homme sans qualités quelques lignes qui peut-être conviendraient pour caractériser Benda vu par Bréhier :
" (il) était loin d'idolâtrer le vieil auteur qui avait vécu dans un monde où les "lumières" étaient surestimées parce qu'on n'était encore qu'à demi "éclairé"" (volume 2, 40, p.472)

jeudi 26 juin 2014

Y a-t-il du périmé en philosophie ?

Les philosophes peuvent être embarrassés quand on leur demande si les philosophies sont vraies. Répondre qu'elles sont toutes vraies conduit à une nouvelle interrogation, pas moins perturbante : si elles sont toutes vraies, pourquoi alors se contredisent-elles ? Oser la thèse qu'elles sont toutes fausses provoquerait l'étonnement : mais à quoi bon les étudier ? Soutenir que certaines sont vraies, ou, plus modestement, vraies sur certains points, paraît plus ordinaire mais débouchera sur une question intéressée et pressante : lesquelles sont vraies et dans quels domaines ? Alors, au moment du tri, on découvrira qu'il se réalise en fonction de l'identité philosophique particulière du trieur.
Certes, pour fuir les tracas, on peut préférer qualifier les philosophies d'intéressantes, d'originales, de complexes, de belles, etc. : enfin on prend garde alors à n'utiliser que des adjectifs ne disant rien sur leur rapport avec la réalité.
Émile Bréhier (1876-1952) dans Transformation de la philosophie française(1950), au terme d'une longue carrière d'historien de la philosophie, se refuse, lui, à faire de la philosophie un simple phénomène culturel à comprendre dans son agencement avec d'autres, que ces derniers la conditionnent ou en soient des effets.
Comme la science, la philosophie prétend à la vérité et doit donc être jugée en fonction de sa capacité à l'atteindre :
" Au gré du philosophe, une doctrine philosophique n'est pas faite pour prendre place comme un terme dans une série de causes et d'effets ; on ne lui demande pas de quoi elle est l'explication, mais quelles sont ses raisons, en un mot si elle est vraie. Il y a un point qui touche à la dignité, à l'existence même de la philosophie ; le scepticisme même est une position acceptable, parce qu'il laisse au premier plan la question de la vérité, qu'ignorent entièrement ceux qui voient dans la philosophie un anneau de la chaîne des événements. En un de ses derniers écrits, Husserl l'a rappelé avec force, à un moment et dans un pays où il était courageux de le rappeler. À considérer la philosophie seulement à titre de représentation sociale, liée à un pays, à une race, à une époque, on est bien près de la transformer pratiquement en un thème de propagande, d'en faire un principe d'isolement, d'en retrancher sa prétention à l'universalité, qui est son caractère essentiel. " (Flammarion, p. 7-8)
Dit autrement, Bréhier est hostile à une conception historiciste de la philosophie, pour laquelle la vérité n'est accessible qu'à l'historien de la philosophe et non au philosophe (comme si on se proposait de faire une histoire vraie par exemple des discours délirants). Dans les lignes qui suivent, Bréhier justifie sa position et répond à ceux qui accusent la philosophie d'être trop loin de la (vraie) vie :
" (...) Ne négligeons pas ce qui est le meilleur en elle, l'effort pour aller plus loin que la pensée ordinaire, que la pensée préoccupée par les visées pratiques immédiates et partielles, dans la solution de problèmes essentiels qui intéressent le tout de l'homme. Ne craignons pas trop que l'esprit, ainsi détaché du lest des choses, pense en marge de la vie ; rendons-nous compte au contraire que la spéculation est une sagesse qui n'ignore aucun des grands intérêts humains." (ibidem)
Ceci dit, dans l'ouvrage en question, Bréhier ne se risque pas à disqualifier comme fausse, voire seulement douteuse, une seule des philosophies contemporaines qu'il étudie. En revanche en 1921 dans un ouvrage collectif Du sage antique au citoyen moderne, il jugeait du point de vue de la vérité l'ensemble des philosophies antiques :
« C'est là le défaut profond de la sagesse antique ; partout où elle a vu un principe moral, l'harmonie, l'ordre, la raison, la loi, elle a voulu saisir un principe d'explication physique, comme si le développement moral de l'homme devait révéler à son intelligence les secrets de l'univers. C'est pourquoi, dans son principe, elle est aujourd'hui périmée. Deux traits nous choquent surtout chez ce sage impassible, ce pur qui raille la folie du vulgaire : d'abord sa mauvaise méthode en ce qui concerne l'étude de la nature, méthode qui consiste à transporter les forces morales dans la nature, et ainsi à en altérer le caractère en les rendant plus fixes, plus raides, moins souples qu'elles ne sont ; ensuite un esprit aristocratique, qui vient de la même source, puisque la sagesse morale, tout au moins dans sa manifestation la plus complète, est réservée à ceux dont l'intelligence est assez développée pour comprendre l'univers. »
La sévérité du jugement est tranchante. Est-elle justifiée ? Si on ne prend pas en compte l'épicurisme (et en effet dans les trois chapitres dont il est responsable de cet ouvrage, Émile Bréhier s'est centré sur Platon, Épictète et Plotin), il est vrai que les philosophes anciens ont pensé l'univers comme obéissant à des raisons et ayant une finalité. Quant au deuxième point, la critique de l' aristocratisme des philosophes anciens, je la trouve moins convaincante. À ce propos, je citerai volontiers Pascal Engel :
" La philosophie n'est pas un sujet facile, elle doit être élitiste, non pas au sens où elle devrait être l'affaire des happy few, mais au sens où elle doit passer par des spécialisations. C'est une fausse conception de la démocratie et de la philosophie que de supposer que parce que tout le monde a droit à la parole, tout le monde a même autorité pour parler de n'importe quel sujet et en juger." (Épistémologie pour une marquise, Ithaque, 2011, p.10)
Ceci dit, ça serait un grave contre-sens de penser que Bréhier, en critiquant l'aristocratisme des philosophes grecs, appelle de ses vœux une pop philosophie. Au contraire, déjà en 1950, il avertit le lecteur des risques que ferait courir à la philosophie une popularisation excessive :
" Jamais la philosophe n'a été plus vivante, si on en juge par le nombre des lecteurs d'ouvrages philosophiques, par la variété de ses publications, par l'ardeur des polémiques qu'elle soulève, par la force, obstinée pourrait-on dire, des convictions qu'elle entraîne, par des formes de divulgation et d'exposition qui dépassent l'enseignement officiel ; liée à la littérature, à la politique, au mouvement social, comme elle ne l'avait pas été depuis bien longtemps, observatrice attentive du développement des sciences de la nature, unie intimement à toutes les sciences humaines qui traitent des divers aspects de l'esprit, droit, religion, art, elle déborde de toutes parts les limites d'une discipline spécialisée. Cette fièvre n'est pas sans amener de la confusion : cette ruée vers la philosophie offre le danger de la livrer à des esprits qui n'ont pas une préparation technique suffisante ou qui sont trop étroitement spécialisés ; elle risque ainsi de devenir l'expression d'une réaction personnelle." (ibidem, p.68-69)
Il me semble que la situation depuis 1950 s'est aggravée au sens où s'étalent, sur les présentoirs des rayons "philosophie" de moult grandes librairies, des ouvrages appelés de philosophie mais qui ne semblent être que des "expressions de réactions personnelles", certes joliment présentées car passées au tamis de la communication (il y a peu, arrivé aux tables où la librairie Decitre à Lyon présente les nouveautés philosophiques, j'ai été pris d'un dégoût causé entre autres par la démagogie des titres et qui m'a fait vite quitter le lieu : ça ne m'était jamais arrivé !).
Pour ne pas reprendre l'expression mille fois usée de bullshit, j'évoquerai en mode de conclusion la déjection canine. Musil vient de dauber les Grands-Écrivains et d'évoquer "les historiens-express qui se soulagent sur un grand homme " :
" Révérence parler, les chiens ne préfèrent-ils pas toujours, pour leurs très communs desseins, un coin de rue animé à un rocher isolé ? Comment donc des hommes qui éprouvent ce plus noble désir de laisser leur nom à la postérité choisiraient-ils un rocher notoirement solitaire ?" (L'homme sans qualités, Points, 1985, p.541-542)

Commentaires

1. Le jeudi 26 juin 2014, 21:23 par Gap nelscel
Bravo. Bréhier était un grand, vous avez raison de le remettre au premier plan. Relisez son admirable mise au point sur la philosophie chrétienne

mercredi 25 juin 2014

Stratonice et Didon : a-t-on toujours à choisir entre la beauté immorale et la moralité inesthétique ?

Réjouissant, le troisième des Nouveaux dialogues des morts de Fontenelle !
Un personnage mythologique, Didon, se plaint de ne pas avoir été représenté correctement par un écrivain, Virgile. Enfin le lecteur sait bien que Didon n’a pas plus de réalité que Zeus ou Mars. Mais elle parle à Stratonice comme si elle était, si vous permettez l’expression, une vraie morte, fâchée, elle, la veuve brûlée vive par fidélité à son mari, de se retrouver dans les vers virgiliens sous les traits d’ « une jeune coquette qui se laisse charmer de la bonne mine d’un étranger dès le premier jour qu’elle le voit ».
C’est Stratonice, l’épouse morte, et bel et bien historique, elle, d’ Antiochus, qui va défendre la primauté de la représentation réussie de la beauté sur la fidélité à la vérité et la défense de la vertu.
« Un peintre, qui était à la cour du roi de Syrie mon mari, fut mal content de moi, et pour se venger, il me peignit entre les bras d’un soldat. Il exposa son tableau, et prit aussitôt la fuite. Mes sujets, zélés pour ma gloire, voulaient brûler ce tableau publiquement, mais comme j’y étais peinte admirablement bien, et avec beaucoup de beauté, quoique les attitudes qu’on m’y donnait ne fussent pas avantageuses à ma vertu, je défendis qu’on le brûlât, et fis revenir le peintre à qui je pardonnai. Si vous m’en croyez, vous en userez de même à l’égard de Virgile. »
Résumons : un être fictif est admonesté par un personnage historique pour être trop soucieux de réalité et de morale.
Fontenelle avait-il vu des tableaux représentant Stratonice ? Deux grands artistes, David et Ingres, l’ont peinte, mais il était déjà mort.
David en 1774 :
Ingres en 1840 :
L’histoire représentée dans ces peintures est tirée de Plutarque, précisément de La vie de Démétrius. Voici Stratonice, femme de Séleucus, lui-même père d’ Antiochus, dans la traduction d’ Amyot :
« LII. Il advint que ce jeune prince Antiochus, ainsi que l’amour surprend les hommes, devint amoureux de sa belle-mère Stratonice, qui déjà avait eu un fils de Séleucus ; mais étant jeune et singulièrement belle, il en fut si vivement épris et atteint , que combien qu’il essayât et fît tout ce qui lui était possible pour vaincre sa passion, si se trouvait-il toujours le plus faible, tellement qu’à la parfin se condamnant lui-même à la mort, pour autant qu’il sentait son désir reprochable, sa passion incurable, et sa raison de tout point supplantée, il résolut d’abandonner sa vie, et petit à petit la laisser décliner en s’abstenant de boire et de manger, et ne faisant compte de chercher remède à son mal, feignant avoir quelque maladie intérieure et secrète dans le corps. Si ne put-il feindre si finement, que le médecin Érasistrate ne s’aperçût bien aisément que son mal procédait d’aimer ; mais il était difficile à conjecturer de qui il était amoureux. Ce que voulant découvrir, il demeurait tout le long du jour en la chambre de ce jeune prince, et quand il y entrait quelque beau jeune fils, ou quelque belle jeune femme, il regardait très attentivement au visage d’ Antiochus, et observait soigneusement toutes les parties du corps et les mouvements extérieurs qui ont accoutumé de répondre aux passions et affections secrètes de l’âme. Comme donc il eût plusieurs fois remarqué que quand les autres y venaient pour le voir, qui que ce fût, il demeurait toujours en un même état ; mais quand Stratonice y arrivait ou seule ou en compagnie de son mari Séleucus, il apercevait ordinairement en lui les signes que Sappho décrit des amoureux, à savoir, que la parole et la voix lui faillaient, le visage lui devenait rouge et enflammé, qu’il lui jetait à tous coups des œillades, et puis lui prenait une sueur soudaine, son pouls se hâtait et se haussait, et finalement après que la force et puissance de l’âme était toute prosternée, il demeurait comme personne transportée et ravie en esprit hors de soi, et pâlissait. »
C’est aussi un texte sur le pouvoir de la beauté : les juges de Phryné réagissaient à la beauté par un jugement l’innocentant ; Antiochus, lui, par son désordre physique ( « Antiochus print la fievre de la beauté de Stratonice trop vivement empreinte en son ame » Montaigne Essais X, XXI) exemplifie pour Erasistrate, expérimental et behavioriste, la passion amoureuse.
Aux enfers de Fontenelle, Stratonice était audacieuse : par amour de sa beauté et de la beauté de la peinture, elle courait le risque d’être jugée à tort immorale. Qu’aurait-elle pensé des toiles de David et d' Ingres ? Lui auraient-elles plu, elles qui ne donnent pas à choisir entre la belle représentation immorale et la restitution plate d’une réalité sage ?
En effet Stratonice y est belle et morale à la fois, déchaînant la passion à distance, par le seul pouvoir de sa beauté.

mardi 24 juin 2014

Révision à la baisse conjointe des rois et de la raison.

En Espagne, certains voudraient abolir la monarchie.
Freud dans Une difficulté de la psychanalyse en donnait en tout cas, déjà il y a presque un siècle, une image pitoyable (c'est la psychanalyse en personne qui s'adresse au lecteur) :
" Tu te comportes comme un monarque absolu qui se contente des informations que lui donnent les hauts dignitaires de la cour et qui ne descend pas vers le peuple pour entendre sa voix. Rentre en toi-même profondément et apprends d'abord à te connaître, alors tu comprendras pourquoi tu vas tomber malade, et peut-être éviteras-tu de le devenir. "
Aristote, lui, dans l' Éthique à Nicomaque faisait un usage de cette même métaphore politique tout en l'honneur des rois. Dans son analyse de la délibération (III, 5), il identifie la partie dominante de l'homme, son intellect, au roi et celui qui réalise le choix délibéré au peuple :
" Chacun cesse de rechercher comment il agira quand il a ramené à lui-même le principe de son acte, et à la partie directrice de lui-même, car c'est cette partie qui choisit. Ce que nous disons là s'éclaire encore à la lumière des antiques constitutions qu'Homère nous a dépeintes : les rois annonçaient à leur peuple le parti qu'ils avaient adopté." (113 a)
Avant Aristote, Platon dans La République avait eu l'idée de comprendre la cité juste sur le modèle de l'homme juste, le philosophe-roi de l'une étant la raison de l'autre. Mais je ne sais pas si, antérieurement à lui, cette métaphore a été cultivée.
Ajout du 25-06-14 :
" L'intelligence n'est plus cette reine majestueuse qui, étrangère aux accidents de la vie individuelle, dicte à la pensée des lois souveraines. Elle rentre dans le circuit vital et elle n'est pleinement elle-même intelligible que par là." (Émile Bréhier, Transformation de la philosophie française, Flammarion, 1950, p.88)

lundi 23 juin 2014

Pourquoi le christianisme a-t-il vaincu et les philosophies antiques et les religions concurrentes ?

" Et maintenant, au milieu de tant de religions qui se disputaient le privilège d'apporter à la misère humaine le remède dont, après les philosophes, elle sentait toujours le besoin, pourquoi le Christianisme l'a-t-il emporté ? Que des raisons extérieures aient pu y contribuer, cela n'est guère contestable. Mais, avant que ces raisons soient intervenues pour faire décidément pencher la balance en sa faveur, il avait déjà conquis bien des âmes, et certes ce n'étaient pas seulement des âmes de déshérités ou de pauvres d'esprit. Loin d'ébranler leur foi, les persécutions n'avaient fait que l'étendre et la consolider. C'est sans doute qu'il y avait en lui, comme dans le Judaïsme rénové, des éléments propres à toucher le cœur, à éveiller des aspirations profondes vers un idéal de pureté morale.
Quels furent ces éléments ? Peut-être une conscience nouvelle de la filiation de l'homme à Dieu dont avaient parlé les Stoïciens. Alors Dieu n'est plus le vengeur, ni le législateur ou l'administrateur, ni l'Être le plus réel, ni même cette Providence qui des seuls Sages, unis par la fraternité, faisait les concitoyens du Dieu dans le monde. Cette fraternité s'étend à tous les hommes sans distinction ; pour l'avoir pareillement proclamé, l'Épicurisme a connu des succès comparables, sous nombre de rapports à ceux du Christianisme. Le culte d'un héros fondateur unissait les fidèles du Jardin ; les Chrétiens fraternisent dans l'amour d'un Père qui est lui-même un Dieu d'amour, dont la grâce est secourable et la miséricorde infinie. Cette notion affective d'un amour qui élève l'homme vers son divin Père, pour redescendre de celui-ci vers ses enfants, voilà, semble-t-il, le pôle autour duquel s'est opérée la transfiguration chrétienne de virtualités incluses , et dans le Platonisme et dans l'Épicurisme. Le premier surtout avait compris qu'il est humainement vain de réclamer un état d'amour qui ne devrait espérer aucun retour ; que l'amour du beau et du bon, stimulant de la moralité, doit trouver sa récompense dans ce sentiment, que celui qui aime ainsi est lui-même "aimé de Dieu", et qu'il s'immortalise dans sa personne morale autant que cela est permis à un homme. Mais pour le Christianisme ce Dieu est "notre père à tous", et, ce qu'il n'était pas, au moins ouvertement ni incontestablement, dans le Platonisme, il est une personne morale." (Léon Robin, La morale antique, 1938, P.U.F., 1963, p 69-70)

dimanche 15 juin 2014

La libération des femmes : génitif objectif, puis subjectif.

Dans Hippolyte (-428), Euripide fait parler ainsi le fils de Thésée, effrayé par l'amour ressenti par sa belle-mère, Phèdre, à son égard :
" O Zeus, qu'as-tu mis parmi nous ces êtres frelatés,
les femmes, mal qui offense la lumière ?
Si tu voulais perpétuer la race humaine
il ne fallait pas la faire naître d'elles.
Nous n'avions qu'à déposer dans les temples
de l'or, de l'argent ou du bronze pesant
pour acheter des semences d'enfants, en proportion
du don offert. Ainsi dans les maisons
l'on aurait vécu libéré des femmes. " (La Pléiade, 1962, p.238)
Aujourd'hui, les progrès techno-scientifiques rendent seulement possible de vivre libéré des hommes, en les réduisant à leur semence.

jeudi 12 juin 2014

La croyance comme moteur de l'histoire.

Le dernier paragraphe de La Cité Antique (1864) de Fustel de Coulanges illustre au mieux ce que dans le cadre de la philosophie marxiste on appelle une conception idéaliste de l'histoire :
" Notre étude doit s'arrêter à cette limite qui sépare la politique ancienne de la politique moderne. Nous avons fait l'histoire d'une croyance. Elle s'établit : la société humaine se constitue. Elle se modifie : la société traverse une série de révolutions. Elle disparaît : la société change de face. Telle a été la loi des temps anciens." (Hachette, 1866, p.520)

mardi 10 juin 2014

La philosophie antique vue par un historien ancien.

Quand on étudie la philosophie aujourd'hui, on ne lit guère, je suppose, La cité antique publiée en 1864 sous le Second Empire par l'historien Fustel de Coulanges ; pourtant on y trouve - comme un petit air du passé certes mais assez frais tout de même pour chasser le renfermé de notre vulgate - quelques pages bien écrites qui, malgré le temps écoulé, sont intéressantes, ou du moins suggestives - je n' oserais pas dire vraies -, du point de vue de l'histoire de la philosophie : entre autres, celle où Fustel fait de Socrate un héritier des Sophistes ( qu'il est très loin de juger à la mode platonicienne traditionnelle, même s'il cite Platon en leur faveur ! ) ou bien celle où il note ce que la polis idéale de Platon a en commun avec la cité antique telle qu'il l'a analysée. Voici ces lignes, tirées du livre V intitulé Le régime municipal disparaît et du premier chapitre ayant pour titre Nouvelles croyances ; la philosophie change les règles de la politique :
" Puis la philosophie parut, et elle renversa toutes les règles de la vieille politique. Il était impossible de toucher aux opinions des hommes sans toucher aussi aux principes fondamentaux de leur gouvernement. Pythagore, ayant la conception vague de l'Être suprême, dédaigna les cultes locaux, et c'en fut assez pour qu'il rejetât les vieux modes de gouvernement et essayât de fonder une société nouvelle.
Anaxagore comprit le Dieu-Intelligence qui règne sur tous les hommes et sur tous les êtres. En s'écartant des croyances anciennes, il s'éloigna aussi de l'ancienne politique. Comme il ne croyait pas aux dieux du prytanée, il ne remplissait pas non plus tous ses devoirs de citoyen ; il fuyait les assemblées et ne voulait pas être magistrat. Sa doctrine portait atteinte à la cité ; les Athéniens le frappèrent d'une sentence de mort.
Les Sophistes vinrent ensuite et ils exercèrent plus d'action que ces deux grands esprits. C'étaient des hommes ardents à combattre les vieilles erreurs. Dans la lutte qu'ils engagèrent contre tout ce qui tenait au passé, ils ne ménagèrent pas plus les institutions de la cité que les préjugés de la religion. Ils examinèrent et discutèrent hardiment les lois qui régissaient encore l'État et la famille. Ils allaient de ville en ville, prêchant des principes nouveaux, enseignant non pas précisément l'indifférence au juste et à l'injuste, mais une nouvelle justice, moins étroite et moins exclusive que l'ancienne, plus humaine, plus rationnelle, et dégagée des formules des âges antérieurs. Ce fut une entreprise hardie, qui souleva une tempête de haines et de rancunes. On les accusa de n'avoir ni religion, ni morale, ni patriotisme. La vérité est que sur toutes ces choses ils n'avaient pas une doctrine bien arrêtée, et qu'ils croyaient avoir assez fait quand ils avaient combattu les préjugés. Ils remuaient, comme dit Platon ce qui jusqu'alors avait été immobile. Ils plaçaient la règle du sentiment religieux et celle de la politique dans la conscience humaine, et non pas dans les coutumes des ancêtres, dans l'immuable tradition. Ils enseignaient aux Grecs que, pour gouverner un État, il ne suffisait plus d'invoquer les vieux usages et les lois sacrées, mais qu'il fallait persuader les hommes et agir sur des volontés libres. A la connaissance des antiques coutumes ils substituaient l'art de raisonner et de parler, la dialectique et la rhétorique. Leurs adversaires avaient pour eux la tradition ; eux, ils eurent l'éloquence et l'esprit.
Une fois que la réflexion eut été ainsi éveillée, l'homme ne voulut plus croire sans se rendre compte de ses croyances, ni se laisser gouverner sans discuter ses institutions. Il douta de la justice de ses vieilles lois sociales, et d'autres principes lui apparurent. Platon met dans la bouche d'un sophiste ces belles paroles : " Vous tous qui êtes ici, je vous regarde comme parents entre vous. La nature, à défaut de la loi, vous a faits concitoyens. Mais la loi, ce tyran de l'homme, fait violence à la nature en bien des occasions." Opposer ainsi la nature à la loi et à la coutume, c'était s'attaquer au fondement même de la politique ancienne. En vain les Athéniens chassèrent Protagoras et brûlèrent ses écrits ; le coup était porté ; le résultat de l'enseignement des Sophistes avait été immense. L'autorité des institutions disparaissait avec l'autorité des dieux nationaux, et l'habitude du libre examen s'établissait dans les maisons et sur la place publique.
Socrate, tout en réprouvant l'abus que les Sophistes faisaient du droit de douter, était pourtant de leur école. Comme eux, il repoussait l'empire de la tradition, et croyait que les règles de la conduite étaient gravées dans la conscience humaine. Il ne différait d'eux qu'en ce qu'il étudiait cette conscience religieusement et avec le ferme désir d'y trouver l'obligation d'être juste et de faire le bien. Il mettait la vérité au-dessus de la coutume, la justice au-dessus de la loi. Il dégageait la morale de la religion ; avant lui, on ne concevait le devoir que comme un arrêt des anciens dieux ; il montra que le principe du devoir est dans l'âme de l'homme. En tout cela, qu'il le voulût ou non, il faisait la guerre aux cultes de la cité. En vain prenait-il soin d'assister à toutes les fêtes et de prendre part aux sacrifices ; ses croyances et ses paroles démentaient sa conduite. Il fondait une religion nouvelle, qui était le contraire de la religion de la cité. On l'accusa avec vérité " de ne pas adorer les dieux que l'État adorait." On le fit périr pour avoir attaqué les coutumes et les croyances des ancêtres, ou, comme on disait, pour avoir corrompu la génération présente. L'impopularité de Socrate et les violentes colères de ses concitoyens s'expliquent , si l'on songe aux habitudes religieuses de cette société athénienne, où il y avait tant de prêtres, et où ils étaient si puissants. Mais la révolution que les Sophistes avaient commencée, et que Socrate avait reprise avec plus de mesure, ne fut pas arrêtée par la mort d'un vieillard. La société grecque s'affranchit de jour en jour davantage de l'empire des vieilles croyances et des vieilles institutions.
Après lui, les philosophes discutèrent en toute liberté les principes et les règles de l'association humaine. Platon, Criton, Antisthènes, Speusippe, Aristote, Théophraste et beaucoup d'autres, écrivirent des traités sur la politique. On chercha, on examina ; les grands problèmes de l'organisation de l'État, de l'autorité et de l'obéissance, des obligations et des droits, se posèrent à tous les esprits.
Sans doute la pensée ne peut pas se dégager aisément des liens que lui a faits l'habitude. Platon subit encore, en certains points, l'empire des vieilles idées. L'État qu'il imagine, c'est encore la cité antique ; il ne doit contenir que 5000 membres. Le gouvernement y est encore régi par les anciens principes ; la liberté y est inconnue ; le but que le législateur se propose est moins le perfectionnement de l'homme que la sûreté et la grandeur de l'association. La famille même est presque étouffée, pour qu'elle ne fasse pas concurrence à la cité ; l'État seul est propriétaire ; seul il est libre ; seul il a une volonté ; seul il a une religion et des croyances, et quiconque ne pense pas comme lui doit périr. Pourtant au milieu de tout cela, les idées nouvelles se font jour. Platon proclame, comme Socrate et comme les Sophistes, que la règle de la morale et de la politique est en nous-mêmes, que la tradition n'est rien, que c'est la raison qu'il faut consulter, et que les lois ne sont justes qu'autant qu'elles sont conformes à la nature humaine.
Ces idées sont encore plus précises chez Aristote. " La loi, dit-il, c'est la raison." Il enseigne qu'il faut chercher, non pas ce qui est conforme à la coutume des pères, mais ce qui est bon en soi. Il ajoute qu'à mesure que le temps marche, il faut modifier les institutions. Il met de côté le respect des ancêtres : " Nos premiers pères, dit-il, qu'ils soient du sein de la terre ou qu'ils aient survécu à quelque déluge, ressemblaient suivant toute apparence à ce qu'il y a aujourd'hui de plus vulgaire et de plus ignorant parmi les hommes. Il y aurait une évidente absurdité à s'en tenir à l'opinion de ces gens-là." Aristote, comme tous les philosophes, méconnaissait absolument l'origine religieuse de la société humaine ; il ne parle pas des prytanées ; il ignore que ces cultes locaux aient été le fondement de l'État. " L'État, dit-il, n'est pas autre chose qu'une association d'êtres égaux recherchant en commun une existence heureuse et facile." Ainsi la philosophie rejette les vieux principes des sociétés, et cherche un fondement nouveau sur lequel elle puisse appuyer les lois sociales et l'idée de patrie.
L'école cynique va plus loin. Elle nie la patrie elle-même. Diogène se vantait de n'avoir droit de cité nulle part , et Cratès disait que sa patrie à lui c'était le mépris de l'opinion des autres. Les cyniques ajoutaient cette vérité alors bien nouvelle, que l'homme est citoyen de l'univers et que la patrie n'est pas l'étroite enceinte d'une ville. Ils considéraient le patriotisme municipal comme un préjugé, et supprimaient du nombre des sentiments l'amour de la cité.
Par dégoût ou par dédain, les philosophes s'éloignaient de plus en plus des affaires publiques. Socrate avait encore rempli les devoirs du citoyen ; Platon avait essayé de travailler pour l'État en le réformant. Aristote, déjà plus indifférent, se borna au rôle d'observateur et fit de l'État un objet d'étude scientifique. Les épicuriens laissèrent de côté les affaires publiques ; "n'y mettez pas la main, disait Épicure, à moins que quelque puissance supérieure ne vous y contraigne." Les cyniques ne voulaient même pas être citoyens.
Les stoïciens revinrent à la politique. Zénon, Cléanthe, Chrysippe écrivirent de nombreux traités sur le gouvernement des États. Mais leurs principes étaient fort éloignés de la vieille politique municipale. Voici en quels termes un ancien nous renseigne sur les doctrines que contenaient leurs écrits. " Zénon, dans son traité sur le gouvernement, s'est proposé de nous montrer que nous ne sommes pas les habitants de tel dème ou de telle ville, séparés les uns des autres par un droit particulier et des lois exclusives, mais que nous devons voir dans tous les hommes des concitoyens, comme si nous appartenions tous au même dème et à la même cité." On voit par là quel chemin les idées avaient parcouru de Socrate à Zénon. Socrate se croyait encore tenu d'adorer, autant qu'il pouvait, les dieux de l'État. Platon ne concevait pas encore d'autre gouvernement que celui d'une cité. Zénon passe par-dessus ces étroites limites de l'association humaine. Il dédaigne les divisions que la religion des vieux âges a établies. Comme il conçoit le Dieu de l'univers, il a aussi l'idée d'un État où entrerait le genre humain tout entier.
Mais voici un principe encore plus nouveau. Le stoïcisme, en élargissant l'association humaine, émancipe l'individu. Comme il repousse la religion de la cité, il repousse aussi la servitude du citoyen. Il ne veut plus que la personne humaine soit sacrifiée à l'État. Il distingue et sépare nettement ce qui doit rester libre l'homme, et il affranchit au moins la conscience. Il dit à l'homme qu'il doit se renfermer en lui-même, trouver en lui le devoir, la vertu, la récompense. Il ne lui défend pas de s'occuper des affaires publiques ; il l'y invite même, mais en l'avertissant que son principal travail doit avoir pour objet son amélioration individuelle, et que, quel que soit le gouvernement, sa conscience doit rester indépendante. Grand principe, que la cité antique avait toujours méconnu, mais qui devait un jour devenir l'une des règles les plus saintes de la politique.
On commence alors à comprendre qu'il y a d'autres devoirs que les devoirs envers l'État, d'autres vertus que les vertus civiques. L'âme s'attache à d'autres objets qu'à la patrie. La cité ancienne avait été si puissante et si tyrannique que l'homme en avait fait le but de tout son travail et de toutes ses vertus ; elle avait été la règle du beau et du bien, et il n'y avait eu d'héroïsme que pour elle. Mais voici que Zénon enseigne à l'homme qu'il a une dignité, non de citoyen, mais d'homme. ; qu'outre ses devoirs envers la loi, il en a envers lui-même, et que le suprême mérite n'est pas de vivre ou de mourir pour l'État, mais d'être vertueux et de plaire à la divinité. Vertus un peu égoïstes et qui laissèrent tomber l'indépendance nationale et la liberté, mais par lesquelles l'individu grandit. Les vertus publiques allèrent dépérissant, mais les vertus personnelles se dégagèrent et apparurent dans le monde. Elles eurent d'abord à lutter, soit contre la corruption générale, soit contre le despotisme. Mais elles s'enracinèrent peu à peu dans l'humanité ; à la longue elles devinrent une puissance avec laquelle tout gouvernement dut compter, et il fallut bien que les règles de la politique fussent modifiées pour qu'une place libre leur fût faite." ( Hachette, 1866, p.463-470)
Devais-je citer si longuement ce texte qu'on jugera selon les critères de l'érudition contemporaine démodé, contestable, flou, approximatif ? Sans doute, lisant Fustel de Coulanges, suis-je sensible à ce qu'Henri Berr écrivait de lui dans l' avant-propos à un autre ouvrage classique, La Cité Grecque de G.Glotz :
" Fustel de Coulanges expliquait merveilleusement : il expliquait trop bien, trop simplement, avec une trop parfaite logique (...) Il faudra toujours lire La cité antique (...) parce que c'est une admirable construction, aux lignes sévères et pures." ( La renaissance du livre, 1928, p.VII et p. XXI )

Commentaires

1. Le dimanche 15 juin 2014, 00:26 par clodoweg
Explication bien claire en effet, mais, c'est un peu étrange, Fustel use d'un concept que les grecs ne possédaient pas : celui de "religion".
2. Le mardi 17 juin 2014, 19:08 par Philalèthe
Mais ils avaient des dieux et beaucoup de croyances sur eux et leurs rapports avec les hommes !

mercredi 4 juin 2014

Deux, trois versions de la fin.

Pascal :
" Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste. On jette enfin de la terre sur la tête et en voilà pour jamais." (pensée 154, éd. Le Guern)
Sartre rajoutait dans L'être et le Néant (p.578) qu'on n'a pas l'acte sanglant qu'on veut :
" On a souvent dit que nous étions dans la situation d'un condamné, parmi les condamnés, qui ignore le jour de son exécution, mais qui voit exécuter chaque jour ses compagnons de geôle. Ce n'est pas tout à fait exact : il faudrait plutôt nous comparer à un condamné à mort qui se prépare bravement au dernier supplice, qui met tous ses soins à faire belle figure sur l'échafaud et qui entre-temps, est enlevé par une épidémie de grippe espagnole."
Textes célèbres, certes ; en revanche est moins connue la pensée de Moosbrugger, fou et condamné à mort pour meurtre, lui, un des personnage principaux de Robert Musil :
" L'histoire du dernier repas, songeait-il, de l'aumônier, des bourreaux et du dernier quart d'heure avant que tout soit fini, ça ne sera pas tellement différent ; elle s'avancera elle aussi en dansant sur les roues, on aura tout le temps quelque chose à faire, comme maintenant, pour ne pas être renversé de la banquette par les chocs, on ne verra, on n'entendra pas grand-chose, parce qu'il y aura des tas de gens à vous sauter autour. Finalement, c'est ce qui vaudra le mieux, qu'on vous fiche enfin la paix..." (L'homme sans qualités, I, 53)
En réalité c'est très pascalien : jusqu'au bout il y aura du divertissement.

mardi 3 juin 2014

Musil aux nationalistes.


" Il y a beaucoup de choses incompréhensibles, mais il suffit de chanter son hymne national pour ne plus les sentir." (L'homme sans qualités, I, 109)

lundi 2 juin 2014

Du manque de credo et du désir de rédemption.

En 1930, le lecteur allemand pouvait lire dans le chapitre 109 de L'homme sans qualités de Robert Musil les lignes suivantes :
" La cause de toutes les grandes révolutions, cause plus profonde que leur prétexte, n'est pas dans l'accumulation de circonstances intolérables, mais dans l'usure de la cohésion qui favorisait la satisfaction artificielle des âmes. On pourrait citer à ce propos la formule d'un des plus fameux d'entre les premiers philosophes scolastiques, en latin " Credo ut intelligam ", qui pourrait se traduire, un peu librement, en langage contemporain : " Seigneur mon Dieu ! accorde à mon esprit un crédit à la production ! ". Les credos humains ne sont probablement que des cas particuliers de crédit. En amour comme dans les affaires, dans les sciences comme dans le saut en longueur, on doit croire avant de pouvoir gagner ou atteindre son but : comment cela ne serait-il pas vrai de la vie en général ? Son ordre peut être fondé sur ce qu'on voudra, il n'y en a pas moins toujours, par-dessous, un commencement de croyance en cet ordre, définissant, comme dans une plante, l'endroit où la croissance a commencé. Quand cette croyance est épuisée, pour laquelle il n'y a ni justificatifs, ni couverture, la banqueroute ne tarde pas ; les âges et les empires s'écroulent comme les affaires quand leur crédit est épuisé.
(...) La Cacanie ( Musil désigne ainsi l'Autriche ) était, dans l'actuel chapitre de l'évolution, le premier pays auquel Dieu eût retiré son crédit, le goût de vivre, la foi en soi et la capacité qu'ont tous les États civilisés de propager au loin l'avantageuse illusion qu'ils ont une mission à accomplir. C'était un pays intelligent, qui abritait des hommes civilisés. Comme tous les hommes civilisés de tous les pays du monde, ils erraient, l'âme irrésolue, dans un monstrueux tourbillon de bruit, de vitesse, de nouveautés, de litiges, enfin de tout ce qui fait le paysage optique et acoustique de notre vie. Comme tous les autres hommes, ils lisaient ou entendaient quotidiennement une douzaine de nouvelles qui leur faisaient dresser les cheveux sur la tête ; ils étaient prêts à être troublés, à intervenir même, mais rien ne se passait, parce que quelques instants plus tard le trouble était déjà supplanté dans leur conscience par d'autres troubles. Comme tous les autres, ils se sentaient environnés de meurtres, de passions, de sacrifices, de grandeur, événements qui se déroulaient d'une façon ou d'une autre dans la pelote embrouillée autour d'eux ; mais ils ne pouvaient pas aller jusqu'à ces aventures, enfermés qu'ils étaient dans un bureau ou quelque autre établissement professionnel, et le soir, quand ils se trouvaient libres, la tension dont ils ne savaient plus que faire explosaient en divertissements qui ne les divertissaient pas. À cela venait encore s'ajouter chez les gens cultivés (...) une autre chose : ils n'avaient plus le don du crédit et pas encore celui de la duperie ( il me semble qu'on dispose désormais de cet art ). Ils ne savaient plus où aboutissaient leurs sourires, leurs soupirs, leurs pensées. À quoi avaient-ils souri ou pensé ? Leurs opinions étaient arbitraires, leurs penchants existaient depuis longtemps, pour toutes choses il y avait déjà, flottant dans l'air, un schéma préfabriqué dans lequel on se ruait, et ils ne pouvaient rien faire ou rien omettre de grand coeu, parce qu'il n'y avait pas de loi pour leur donner une unité. Ainsi l'homme cultivé était-il un homme qui sentait on ne sait quelle dette s'accroître sans cesse, qu'il ne pourrait plus jamais acquitter. Il était celui qui voyait venir la faillite inéluctable : ou bien il accusait l'époque dans laquelle il était condamné à vivre, encore qu'il prît autant de plaisir à y vivre que quiconque, ou bien il se jetait , avec le courage de qui n'a rien à perdre, sur la première idée qui lui promettait un changement."
Quelques pages plus haut, Musil avait fait réfléchir un de ses personnages, le général Stumm, sur le verbe "rédimer" que je remplacerais aujourd'hui par "redonner du sens, refonder etc. ". Le texte qui suit caractérise les croyances des intellectuels qui veulent redonner du sens à ce qui n'en a plus :
" On était persuadé que la vie s'arrêterait si un messie n'arrivait pas bientôt. C'était, selon les cas, un messie de la médecine, qui devait "sauver" ( ce mot est ici un synonyme de rédimer ) l'art d'Esculape des recherches de laboratoire pendant lesquelles les hommes souffrent ou meurent sans être soignés ; ou un messie de la poésie qui devait être en mesure d'écrire un drame qui attirerait des millions d'hommes dans les théâtres et qui serait cependant parfaitement original dans sa noblesse spirituelle. En dehors de cette conviction qu'il n'était pas une seule activité humaine qui pût être sauvée sans l'intervention d'un messie particulier, existait encore, bien entendu, le rêve banal et absolument brut d'un messie à la manière forte pour rédimer le tout."

dimanche 1 juin 2014

Le cynique, "un composé bizarre de contradictions absolument incompatibles" ?

Aucune bonne raison de croire que Locke pense aux Cyniques en écrivant les lignes suivantes, mais elles m'y font penser :
" De dix mille hommes il ne s'en trouvera pas un seul qui ait assez de force et d'insensibilité d'esprit, pour pouvoir supporter le blâme et le mépris continuel de sa propre coterie. Et l'homme qui peut être satisfait de vivre constamment décrédité et en disgrâce auprès de ceux-là mêmes avec qui il est en société, doit avoir une disposition d'esprit fort étrange, et bien différente de celle des autres hommes. Il s'est trouvé bien des gens qui ont cherché la solitude, et qui s'y sont accoutumés, mais personne à qui il soit resté quelque sentiment de sa propre nature, ne peut vivre en société, continuellement dédaigné, et méprisé par ses amis et par ceux avec lesquels il converse. Un fardeau si pesant est au-dessus des forces humaines ; et quiconque peut prendre plaisir à la compagnie des hommes, et souffrir pourtant avec insensibilité le mépris et le dédain de ses compagnons, doit être un composé bizarre de contradictions absolument incompatibles." (Essais sur l'entendement humain, II, 28, 12)
Cependant, dans le cadre de l'anthropologie de Locke, on pourrait réduire la bizarrerie du Cynique : il aurait restreint l'humanité à un ensemble presque vide. Ne feraient partie de sa "coterie" que les autres Cyniques. Les hommes ordinaires seraient des détritus, certains approchant de l'humain, comme les Spartiates, tenus pour des enfants.
Mais les Cyniques ne sont pas les Épicuriens, ils ne vivent pas dans l'espace privé d'une communauté, isolée de la polis. Généralement ils sont superbement seuls, chassant le disciple à coup de bâtons. Aussi Suzanne Husson a-t-elle raison d'écrire :
" Il ne s'agit pas pour autant de fonder, au milieu de la société ordinaire, une contre-société au sein de laquelle un groupe s'isolerait du reste des hommes pour vivre selon ses règles propres : le cynique n'est ni ermite, ni membre d'une communauté enclavée de type monastique ou utopique, mais mène une vie entièrement publique. Son mode d'existence est même le plus public qui soit, puisqu' il s'efforce de lever les barrières, élevées par les insensés, entre l'idion et le koinon. Il consiste, non pas à se retirer des autres hommes, mais à vivre au milieu d' eux, soit seul soit à plusieurs, comme si les normes de la vie naturelle, partout données à qui sait les comprendre, n'exigeaient pas de lieu, de temps ni d'organisation sociale spéciale." (La République de Diogène. Une cité en quête de la nature, p. 178, Vrin).
Certes le Cynique n'est pas toujours seul, comme le dit Suzanne Husson (pensons au couple Cratès/Hipparchia), pour autant, il ne fait pas société. Il ne semble donc pas tout à fait incongru de le voir comme "un composé bizarre de contradictions absolument incompatibles".
On peut cependant supprimer son anormalité supposée en identifiant son mépris à quelque chose de feint, ce qui conduit à en faire un comédien.
Nietzsche, lui, paraît avoir été sensible au côté réellement démuni socialement au moins du cynique. Dans un fragment de Humain, trop humain (I, 275), on lit :
" L'épicurien marche comme dans des sentiers à l'abri du vent, bien protégés, à demi obscurs, tandis qu' au-dessus de sa tête, dans le vent, les cimes des arbres bruissent et lui décèlent quelle violente agitation règne là-dehors de par le monde. Le cynique, au contraire, circule comme tout nu, dehors dans le souffle du vent et s'endurcit jusqu'à perdre le sentiment." (trad. Albert, révisée par Lacoste, Laffont, p. 589)
Aux yeux du philosophe allemand, si le Cynique fait la comédie, ce n'est pas en tant qu'il joue le mépris de l'homme mais en tant qu'il simule d' abord le bonheur, avant de le ressentir vraiment par effet de la simulation (tel l'athée qui, conseillé par Pascal, deviendrait croyant à force de prendre toutes les postures du fidèle) :
" Lorsque la philosophie était affaire d'émulation publique, dans la Grèce du troisième siècle, il y avait nombre de philosophes que rendait heureux l'arrière-pensée du dépit que devait exciter leur bonheur, chez ceux qui vivaient selon d'autres principes et y trouvaient leur tourment : ils pensaient réfuter ceux-ci avec le bonheur, mieux qu'avec toute autre chose, et ils croyaient que, pour atteindre ce but, il leur suffisait de paraître toujours heureux ; mais cette attitude devait, à la longue, les rendre véritablement heureux ! Ce fut par exemple le sort des cyniques." (Aurore, IV, 367)
En tout cas comme ce Cynique-là est loin du point de vue psychologique de l'indépendance qu'il affiche !