mercredi 19 janvier 2005

Courir le risque de la mort pour son ami ?

Identifier le bonheur au plaisir durable semble aller de pair avec l’évitement de tout ce qui risque de faire souffrir. De là, à transformer l’épicurien en pantouflard, il n’y a qu’un pas ! Mais Epicure écrit dans la 28ème sentence vaticane :
« Il faut être prêt même à s’exposer hardiment au danger, en faveur de l’amitié. »
Mesurons bien d’abord que ce n’est pas en faveur de l’autre homme qu’il faut risquer sa vie, mais seulement en faveur des amis. Même si ami se met au pluriel dans cette pensée, la communauté des amis ne se confond pas avec la foule, pour laquelle ils n’ont guère d’estime. Ceci dit, comment comprendre que le bien-être personnel ne soit pas le bien suprême ? Soutenons le paradoxe : c’est parce que le bien-être personnel est le bien suprême qu’il faut venir au secours de ses amis. En effet il n’y a pas de bien-être personnel sans la sécurité apportée par les amis. Prendre le risque de la mort pour l’ami, c’est être assuré d’être secouru en cas de danger. On jugera alors les épicuriens très intéressés. Avoir un ami, n’est-ce pas l’aimer pour lui ? Epicure assume :
«Toute amitié a eu son commencement dans l’utilité » (Sentence 23)
L’assistance des amis m’assure que dans le cas (déjà improbable) où le peu dont j’ai besoin me viendrait à manquer, une aide me sera apportée. L’amitié-assurance donc ? Oui, mais pas seulement : Epicure complète la sentence précédente en écrivant :
« Toute amitié est par elle-même désirable »
La maxime 28 renforce :
« De tous les biens que la sagesse procure pour la félicité de la vie tout entière, de beaucoup le plus grand est la possession de l’amitié. »
Pourquoi donc ? Le stoïcien Sénèque dans sa 25ème lettre à Lucilius, plus éclectique que strictement orthodoxe, mobilise la sagesse épicurienne pour rendre plus stoïcien son ami :
" Agis en tout comme si Epicure te regardait. "
À partir de là il faut comprendre la fonction de l’ami ; incarnation d’Epicure, il aide son ami à être épicurien ! L’ami n’est pas l’étranger, il tire son prix d’être le même que l’autre qui l’a pris pour ami : une méthode pour être heureux, faite personne. Comme le dit encore Sénèque dans la 11ème lettre :
« Il nous faut choisir un homme de bien et l’avoir constamment devant nos yeux de manière à vivre comme sous son regard et à régler toutes nos actions comme s’il les voyait. »
Il faut donc courir le risque de mourir pour préserver la vie de celui qui m’aide à bien vivre. On ne peut pas être sage tout seul.

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