J’aimerais bien disposer de textes nombreux pour mieux portraiturer Hipparchia. Mais je n’ai guère plus d’une page à me mettre sous la dent. Comme j’en veux à Laërce d’avoir terminé ainsi le passage qu’il lui consacre :
« Voilà des histoires qu’on raconte, et des centaines d’autres encore, à propos de cette femme philosophe. »
Il a dû être débordé et n’a gardé que l’essentiel ! Je relève d’abord qu’elle s’est habillée comme Cratès, en homme, en cynique. Sur ce sujet, Laërce est vraiment sec :
« La jeune fille fit son choix, et, prenant le même costume que lui, elle se mit à circuler avec Cratès. » (VI, 97)
Heureusement qu’Antipater de Sidon lui fait défendre ses choix vestimentaires à la première personne :
« Je n’ai pas choisi, moi, Hipparchia, les travaux des femmes à l’ample robe, mais la vie forte des Cyniques ; je n’ai pas voulu des tuniques agrafées, ni du socque à haute semelle, ni de la résille luisante, mais la besace, accompagnement du bâton le double manteau assorti et la couverture du lit étendu à terre. » (Anthologie palatine)
Cette jeune femme semble avoir été une raisonneuse prête à tout pour clouer le bec de l’adversaire :
« Elle parut un jour à un banquet chez Lysimaque où elle réfuta Théodore dit l’Athée en proposant le sophisme suivant. Tout geste qui ne serait pas qualifié d’injuste s’il était fait par Théodore, ne saurait non plus être qualifié d’injuste s’il était posé par Hipparchia ( le raisonnement est surprenant mais met bien en évidence la décision cynique de considérer les actes en les coupant des circonstances dans lesquels ils se réalisent ; dans ces conditions, le même acte, quelle que soit la personne qui l’accomplit, a la même signification). Or, Théodore ne fait rien de mal quand il se frappe lui-même (j’imagine qu’il s’agit d’un entraînement à la souffrance) : par conséquent, Hipparchia non plus ne ferait rien de mal si elle frappait Théodore (ici le sophisme est patent : il consiste à identifier une action réfléchie à une action passive pour la seule raison que dans les deux cas l’objet – ici Théodore- est le même). Ce dernier ne sut que répondre à un tel argument (il n’avait sans doute guère pratiqué l’éristique), mais il lui retroussa son vêtement, ce dont Hipparchia ne fut ni effrayée ni troublée comme toute femme l’aurait été (en s’identifiant à Cratès, elle a renoncé à sa féminité : elle n’est qu’un être humain). Théodore lui dit alors : « Est-ce bien celle-là qui sur le métier a laissé la navette ? » (d’où une volonté pesante de ré- identifier Hipparchia à son sexe, via sa prétendue fonction sociale) « C’est bien moi, Théodore, reprit-elle aussitôt, mais ne va pas croire que j’aie mal décidé en ce qui me concerne si, tout le temps que j’allais perdre au métier, je l’ai plutôt consacré à mon éducation (c’est un discours de suffragette) » (VI, 97-98)
J’aurais tout de même préféré que le seul raisonnement que Laërce rapporte d’Hipparchia ne soit pas sophistique : elle n’a finalement pas donné assez de temps à la formation de son esprit !