« Il limita également les honneurs décernés aux athlètes dans les compétitions, fixant pour un vainqueur aux Jeux olympiques la somme de cinq cents drachmes, pour un vainqueur aux Jeux isthmiques cent et pour les autres une somme proportionnelle. » (I, 55).
Solon joue le guerrier contre l’athlète. Voici ses raisons : si l’Etat investit dans les sportifs (en les entraînant et en les récompensant), c’est en pure perte :
« Vainqueurs, ils sont dangereux ; la couronne de leur victoire, ils l’emportent davantage contre leur patrie que contre leurs adversaires ; en vieillissant, selon le vers d’Euripide : Ils s’en vont comme des manteaux qui ont perdu leur fil » (56)
Jolie métaphore : au fil du temps le sportif s’effiloche ; il ne fait plus briller aux Jeux le nom de sa patrie. Mais surtout ils sont virtuellement des traîtres : la formule est énigmatique. En quel sens représentent-ils un danger pour leur patrie ? Honorés et donc recherchés, sont-ils portés à se battre pour d’autres couleurs ? Il s’agit donc de consacrer l’argent aux honneurs rendus aux guerriers et à l’éducation, aux frais de l’Etat, de leurs enfants. Diogène Laërce assure que cette politique de soutien aux militaires a donné ses fruits :
« A la suite de ces mesures, de nombreux citoyens s’efforçaient de devenir de valeureux combattants à la guerre, tels Polyzélos, Cynégyros, Callimaque, et tous les combattants de Marathon. Ce fut également le cas d’Harmodios et Aristogiton, de Miltiade et de milliers d’autres. » (56)
Ils ne sont pas n’importe qui, Harmodios et Aristogiton. Diogène le cynique les vénérera * :
« Un tyran lui ayant un jour demandé quel bronze il vaut mieux utiliser pour une statue, il répondit : « Celui dans lequel ont été coulés Harmodios et Aristogiton ». » (VI, 50)
Pour savourer cette réponse, il faut savoir que les deux hommes ont voulu mettre fin à la tyrannie des Pisistratides en s’attaquant aux deux fils de l’ennemi de Solon, Hipparque et Hippias. Mais ce dernier échappa à l’attentat et fit mourir Aristogiton sous la torture. J’imagine donc que si Solon défend le guerrier aux dépens de l’athlète, c’est aussi qu’il l’identifie à un homme dont le courage est une vertu civique qui préserve de l’usurpation des tyrans. Par sa condamnation des athlètes, Solon ne règle donc pas seulement des problèmes budgétaires, il inaugure une tradition durable de mépris philosophique vis-à-vis de la course aux honneurs à laquelle se livrent les sportifs. Certes on se souvient que Chrysippe le stoïcien « s’exerçait à la course de fond » (VII, 179) et que son maître Cléanthe était pugiliste, mais qu’on ne s’y trompe pas ! D’abord ils cessent ces pratiques quand ils se convertissent à la philosophie mais surtout elles sont l’indice de leur endurance, de leur ténacité, de leur persévérance et non de leur vanité ! Le sportif en eux, c’est déjà le philosophe qu’ils ne se savent pas encore être. Sous les traits de l’athlète, c’est Hercule qui perce et, à travers ce symbole, l’énergie de se convertir à la vie philosophique.
* Comme le fait remarquer Suzanne Husson dans La République de Diogène(Vrin, 2010), cette anecdote est douteuse : " Le couple d'amants athéniens Harmodios et Aristogiton devint une grande figure de la propagande en faveur de la démocratie, alors que, comme nous le verrons par la suite, le cynique ne manifeste guère d'indulgence à l'égard de ce régime." (p.168, note 1)
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