mercredi 18 mai 2005

Thalès, ni maître, ni disciple.

Bien sûr le premier des sages n’a pas de maître. On ne dérive pas un principe. Une fondation ne repose pas sur autre chose que sur elle-même. Mais ce fondateur grec s’est tout de même frotté aux Egyptiens, précisément aux prêtres. Jamblique au 4ème siècle après JC explicite la relation :
« Thalès conseilla à Pythagore de se rendre en Egypte et de s’entretenir le plus souvent possible avec les prêtres de Memphis et de Diospolis : c’est d’eux qu’il avait tiré toutes ses connaissances qui le font passer pour sage et savant aux yeux de la foule. » (Vie pythagorique, 12).
Je suppose que Jamblique le néoplatonicicien paraphrase Laërce mais c’est amusant d’entendre Thalès se démystifier et faire l’aveu d’un héritage, comme si la première sagesse grecque n’était rien de plus que de l’importation égyptienne ! A dire vrai, la piste égyptienne est déjà repérée par Hérodote neuf siècles plus tôt:
« C’est en Egypte à mon avis, que la géométrie fut inventée, et c’est de là qu’elle vint en Grèce. » (Enquête, II, 109)
Pamphile, selon Diogène, dit clairement que Thalès a étudié en Egypte la géométrie et présente une rencontre inattendue entre l’ordre religieux et l’ordre géométrique, quand la science et la religion ne se sont pas encore désunies:
« Il fut le premier à avoir circonscrit un triangle rectangle dans un cercle et il offrit un bœuf en sacrifice. » (I, 25)
Remercier les dieux pour une découverte géométrique : comme on est loin des mathématiques pures ! (1) Une autre association étrange (2) : un monument religieux, concrétisation d’une figure et donc point d’appui d’une démonstration.
« Hiéronymos dit qu’il mesura les pyramides à partir de leur ombre, en faisant ses observations au moment où elles ont la même grandeur que nous. » (I, 27)
Avant Diogène Laërce, Plutarque dans Le Banquet des Sept Sages explicite la démonstration :
« Dressant seulement à plomb un bâton au bout de l’ombre de la pyramide, et se faisant deux triangles avec la ligne que fait le rayon du Soleil touchant aux deux extrémités, tu montras qu’il y avait telle proportion de la hauteur de la pyramide à celle du bâton, comme il y a de la longueur de l’ombre de l’un à l’ombre de l’autre. »
La traduction est d’Amyot ; en lisant celle de Jean-Paul Dumont, on mesure précisément ce qu’est une « belle infidèle » :
« Le triangle formé par la pyramide et son ombre est semblable à celui formé par le bâton et son ombre. Dans ces deux triangles, la longueur de l’ombre est proportionnelle à la hauteur de l’objet. »
Certes on perd ce que Dumont appelle lui-même « la saveur du texte » mais, en homme du 20ème siècle, je comprends mieux la « laide fidèle ». Ce Thalès, Grec mâtiné d’Egyptien, dont l’instruction autodidacte est donc théologico-géométrique, n’a pas de disciple connu. Mais c’est le propre des sages. Quand Diogène termine lleur vie, à la différence de ce qu’il fait généralement quand il se consacre à un philosophe, il passe directement aux homonymes, ce qui me permet d’apprendre que Thalès le Sage a éclipsé (sic) « un rhéteur de mauvais goût » (I, 38) et quatre peintres, dont un de grand talent. Mais pourquoi donc les sages n’ont-ils pas de disciples ?
(1) Ajout du 21-10-14 : discutable car les mathématiques pures ont, par leur nécessité, quelque chose d'éternel.
(2) Ajout du 21-10-14 : mathématiques appliquées, cette fois.

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