mardi 14 juin 2005

Pittacos, confiant dans le temps ?

Pittacos est un insulaire. Je peux donc comprendre pourquoi il répond « la mer » quand on l’interroge sur ce qui n’est pas sûr et « la terre » quand la même question porte sur ce qui est sûr. Si on lui demande ce qui est invisible, c’est à l’avenir qu’il pense. Ce qui me surprend un peu : certes chez lui aucune pratique ni aucune défense de la divination, à la différence de Chilôn mais tout de même ces lignes :
« Il disait aussi que c’est la marque des hommes intelligents, avant que ne surviennent les difficultés, de faire en sorte qu’elles ne surviennent pas » (I,78)
Ce qui suggère une visibilité partielle de l’avenir. Mais la difficulté augmente à prendre connaissance de sa conception du temps :
« A ceux qui voulaient connaître ce qui est reconnaissant, il dit : « Le temps » » (I, 77).
Genaille avait traduit par « agréable » le mot grec que Goulet choisit de rendre par « reconnaissant ». Mis à part que je ne fais pas confiance à cette ancienne traduction qui n’a pas résisté au ... temps, le choix de Genaille ne rendait pas plus intelligible l’énoncé. Si la reconnaissance consiste à ne pas oublier ce qui a eu lieu, la phrase veut-elle dire que tout ce qui a lieu dans le présent porte les marques de ce qui a eu lieu ? Le temps n’oublie pas, ce qui serait une des manières de dire que les choix qu’on fera détermineront irréversiblement l’avenir. Je vois bien ce qu’a de limité mon explication, elle ne prend pas en compte que la reconnaissance est seulement la mémoire d’un passé digne d’être retenu pour sa bonté. Pittacos veut-il dire que si je fais aujourd’hui un bon choix, je peux être assuré demain de jouir de ses fruits ? Est-ce juste une manière un peu compliquée de dire que le temps récompense celui qui agit bien ? Ce qui me permettrait de comprendre pourquoi, quand on lui demande ce qui est le meilleur, il dit :
« Bien faire le travail du moment » (I, 77).
Puisque le temps est reconnaissant, bien faire le travail du moment, c’est penser à l’avenir. Les premières lignes que Diogène lui consacre plaident en faveur de cette thèse. Si le premier paragraphe le décrit en tyrannicide, le deuxième le dépeint en tyrannicide comblé :
« Les Mytiléniens rendirent à Pittacos les plus grands honneurs et mirent le pouvoir entre ses mains. » (75)
Le temps est reconnaissant en effet : il est élu tyran. Si, à la différence de Solon, il accepte, il sait néanmoins déposer le pouvoir après avoir mis en ordre les affaires publiques (il avait dû en mesurer le danger puisqu’ il dit aussi : « Le pouvoir montre l’homme » (77)). Il semble cependant qu’il ne suffise pas de bien faire le travail du moment pour que le temps soit reconnaissant :
« Son apophtegme est : « Connais le bon moment » » (79)
C’est seulement quand on fait bien le travail au bon moment que le temps est reconnaissant. N’est-ce donc pas uniquementt pour l’homme ordinaire que l’avenir est invisible ? Finalement Pittacos aurait compté sur le temps. Je me demande si le stoïcisme et l’épicurisme ne vont pas se constituer à partir du moment où le philosophe pensera qu’il ne peut compter que sur lui-même.

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