jeudi 23 février 2006

Les épigrammes amoureuses de Platon (2)

Dans le récit de Diogène, Dion était jusqu’à présent un personnage public, maillon essentiel dans la relation entre Denys le Jeune et Platon. Subitement il se métamorphose en être aimé par Platon. Ainsi l’entreprise politico-philosophique se teinte d’une couleur sentimentale et passionnelle qu’elle n’avait pas jusqu’alors, suggérant au lecteur que c’est par amour pour Dion que Platon se laisse entraîner dans ses aventures siciliennes. On est alors porté à penser que, si Platon s’est retrouvé esclave, c’est d’abord parce qu’il s’est soumis, comme tout amant, à la volonté de l’aimé.
« Les larmes d’Hécube (femme de Priam, elle représente la Souffrance Maternelle, pour avoir eu cinquante enfants tous morts pendant la guerre de Troie) et des femmes d’Ilion (Troie)
furent par les Moires filées dès l’heure de leur naissance.
Mais à toi, Dion, qui dressas un trophée de belles actions,
les divinités t’avaient versé largement l’espérance.
Et voilà que tu gis dans ta vaste patrie, honoré par tes concitoyens
toi qui as rendu mon coeur fou d’amour, Dion. » (III 30)
Platon rapporte en effet dans la Lettre VII que Dion périt assassiné à Syracuse alors qu’il avait pris le pouvoir en chassant manu militari son neveu, Denys II. Tout se passe comme si, les tentatives diplomatico-philosophiques ayant échoué, il n’était plus resté que la solution militaire. Ainsi la mort de Dion a dans la description platonicienne un air de famille avec la fin de Socrate. Platon peut ainsi être caractérisé comme le philosophe dont le maître et le disciple payent de leur vie leur volonté de prendre la philosophie au sérieux.
Reste un trait surprenant dans l’image que l’épigramme donne de Dion. Alors que le Destin (personnifié par les trois Moires) fixe fatalement et sans exception la vie de chacun, il se serait trouvé, concernant Dion, face à un pouvoir supérieur. Or, une telle force n’existe pas dans la mythologie grecque puisque même les dieux sont soumis aux décisions des Moires.
La figure de Dion, vue ainsi, est donc absolument inédite puisque sa vie se déroule d’une manière telle qu’elle est radicalement inintelligible dans le cadre des croyances partagées. Dion est l’homme soutenu par le Destin et défait par un x qui n’a pas d’existence reconnue.
On me rétorquera : ce n’est qu’une manière de dire que Dion avait tout pour réussir et que l’amour de Platon était donc excellemment placé. Il n’en reste pas moins que la métaphore qui exprime l’idée est, sauf erreur de ma part, mythologiquement impossible.

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