samedi 25 mars 2006

Ce que Platon a vraiment voulu dire...

Laërce a lu Platon dans une édition on ne peut plus savante dont il donne très précisément le mode d’emploi :
« Et puisqu’il y a des signes dans les marges de ses livres, il nous faut bien en dire quelques mots. La lettre khi est utilisée pour indiquer les expressions, les figures et de façon générale les tournures propres à Platon. La diplè, pour appeler l’attention sur les doctrines et les opinions propres à Platon. Le khi pointé, pour attirer l’attention sur les passages de choix et les beautés de style. La diplè pointée pour signaler les corrections dues à certains critiques. L’obèle pointé pour dénoncer les athétèses sans fondement (l’athétèse est le rejet par l’éditeur d’un passage jugé apocryphe, rejet qui ne va tout de même pas jusqu’à la suppression pure et simple). L’antisigma pointé, pour indiquer les répétitions et les transpositions. Le kéraunion pour les questions philosophiques. L’astérisque, pour indiquer l’harmonie entre les doctrines. L’obèle signale l’athétèse. » (III 65)
Lire Platon ainsi revient à suivre pas à pas l’interprétation qu’en fait l’éditeur. Certes l’édition que Laërce a de Platon a des points communs avec celle que j’ai de Laërce lui-même, je pense particulièrement à l’usage de la diplè pointée et de l’obèle. Mais ce qui me frappe, c’est que l’éditeur antique détermine au plus près la compréhension proprement philosophique du texte (par la diplè, le kéraunion et l’astérisque) autant que l’appréciation esthétique (par le khi pointé). L’essence du platonisme est ainsi dégagée et livrée au lecteur. Comment celui-ci, coincé entre le texte philosophique et l’exégèse serrée, était-il en mesure de formuler sa propre interprétation ?
Ecrivant cela, je ne veux bien sûr pas militer en faveur de l’idée que le texte philosophique doit être présenté dans son plus simple appareil (je veux dire, sans appareil critique). L’intelligence des thèses ne naît certainement pas de la relation entre un texte sans notes et un lecteur naïf. Mais le défaut de l’édition que Laërce a peut-être eue entre les mains était de prétendre en finir avec le platonisme en l’identifiant à une doctrine définitivement déterminable.
Une telle édition me fait penser aux premières lignes de Kant écrivant la Réponse à la question : qu’est-ce que les Lumières ?
« Il est si commode d’être sous tutelle. Si j’ai un livre qui a de l’entendement à ma place, un directeur de conscience qui a de la conscience à ma place, un médecin qui juge à ma place de mon régime alimentaire, etc., je n’ai alors pas moi-même à fournir d’efforts. » ( trad. Jean-François Poirier et Françoise Proust GF p.44)
D’où une définition possible de l’excellence en édition savante : donner au lecteur toutes les connaissances nécessaires pour lui permettre de se livrer à son propre travail d’interprétation. Faire voir le corps du texte sans le mettre à nu ni le corseter.

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