Il est courant de dire qu’on se fait un ami ; on peut comprendre l’expression de plusieurs manières dont celle-ci : c’est la relation amicale qui donne à autrui son identité d’ami. On ne naît pas ami, on le devient.
Sénèque infirme ce point de vue, mais en partie seulement.
On a vu qu’il identifie l’ami à quelqu’un avec lequel on se sent en totale confiance, mais la question reste de savoir en qui placer sa confiance.
Or, à ce propos, Sénèque soutient deux positions qui pourraient être contradictoires.
Sénèque infirme ce point de vue, mais en partie seulement.
On a vu qu’il identifie l’ami à quelqu’un avec lequel on se sent en totale confiance, mais la question reste de savoir en qui placer sa confiance.
Or, à ce propos, Sénèque soutient deux positions qui pourraient être contradictoires.
La première, qu’il développe le plus longuement, affirme qu’il faut juger qui est digne de confiance avant de se confier. Mais Sénèque ne donne aucun critère permettant de déterminer à quoi reconnaître la capacité de l’homme à devenir un ami. Il reste en effet très vague, conseillant à Lucilius de délibérer avec lui-même, de juger (judicare utilisé intransitivement), de réfléchir longtemps (diu cogitare).
Cette position suppose en tout cas que la valeur de l’homme est identifiable avant et en dehors de la relation qu’on établira peut-être avec lui (elle ne lui est pas attribuée après identification de son intériorité secrète). Sénèque écarte donc clairement la possibilité qui consisterait à se confier avant de juger. Plus précisément la relation est établie entre aimer (amare) et juger : il faut donc juger et éventuellement aimer et non aimer puis juger avec pour conséquence éventuelle la fin de l’amitié (le texte latin offre à vrai dire une ambiguité: Sénèque ayant écrit : « qui contra praecepta Theophrasti, cum amaverunt, judicant, et non amant, cum judicaverunt », Noblot a traduit: « à l’encontre des préceptes de Théophraste, ils attendent d’avoir donné leur affection pour se faire juges, et la retirent quand ils ont jugé » mais je crois qu’on pourrait aussi rendre le texte ainsi : « ils jugent quand ils ont aimé et non aiment quand ils ont jugé »; si on fait ce choix, disparaît l’idée d’un retrait de l’affection et apparaît alors plus gravement l’éventualité d’une affection définitivement mal placée)
Cette position suppose en tout cas que la valeur de l’homme est identifiable avant et en dehors de la relation qu’on établira peut-être avec lui (elle ne lui est pas attribuée après identification de son intériorité secrète). Sénèque écarte donc clairement la possibilité qui consisterait à se confier avant de juger. Plus précisément la relation est établie entre aimer (amare) et juger : il faut donc juger et éventuellement aimer et non aimer puis juger avec pour conséquence éventuelle la fin de l’amitié (le texte latin offre à vrai dire une ambiguité: Sénèque ayant écrit : « qui contra praecepta Theophrasti, cum amaverunt, judicant, et non amant, cum judicaverunt », Noblot a traduit: « à l’encontre des préceptes de Théophraste, ils attendent d’avoir donné leur affection pour se faire juges, et la retirent quand ils ont jugé » mais je crois qu’on pourrait aussi rendre le texte ainsi : « ils jugent quand ils ont aimé et non aiment quand ils ont jugé »; si on fait ce choix, disparaît l’idée d’un retrait de l’affection et apparaît alors plus gravement l’éventualité d’une affection définitivement mal placée)
Mais cette position essentialiste, substantialiste entre en tension avec une autre qu’on pourrait appeler relationnaliste, Sénèque écrivant :
« Crois à sa fidélité, tu le rendras fidèle. On sait des gens qui ont enseigné la trahison en montrant la crainte d’être trahis, et qui ont justifié le manquement par leurs soupçons » (trad. Noblot)
On réalise ici que la qualité de l’ami ne précède pas l’amitié, mais naît d’elle, la confiance engendrant la confiance. Le jugement théorique n’éclaire plus une fois pour toutes sur la qualité de l’homme, c’est la pratique qui contribue à fixer son identité.
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