Freud craignait que la psychanalyse ne pâtit de l’origine juive de son fondateur, mais, à ma connaissance, il n’a pas vu dans le judaïsme une source de la psychanalyse. Etienne Gilson, lui, en 1960, dans Le philosophe et la théologie, fait de la sociologie en un certain sens une science d'origine juive; en effet la judéité de son fondateur n’est pas vue par lui comme contingente :
« Il est dommage que Durkheim n’ait pas fait de sa propre sociologie l’objet d’une enquête , car si la doctrine est vraie, elle-même doit être un fait sociologique. Un peu de réflexion suffit d’ailleurs pour en discerner l’origine et l’esprit. La doctrine de Durkheim est la sociologie du Lévitique : « Tu n’accoupleras pas dans ton bétail deux bêtes d’espèces différentes, tu ne sèmeras pas dans ton champ deux espèces différentes de graines, tu ne porteras pas sur toi un vêtement de deux espèces de tissu » (Lév,,19,19). Ainsi, pas de tricot laine et coton ni de tissu laine et soie. Pourquoi ? On ne sait pas, on sait seulement que c’est défendu. « Vous n’arrondirez pas le bord de votre chevelure et tu ne couperas pas le bord de ta barbe » ; la raison est la même : « Je suis Yahvé » (Lév, 19, 27). Reconnaissons qu’elle suffit, mais observons aussi qu’un homme élevé dans une religion où prescriptions, interdits, sanctions jouent manifestement un rôle prépondérant, inclinera naturellement à concevoir le social comme un système de contraintes imposées du dehors et acceptées comme telles. Il est sans importance réelle qu’elles puissent parfois se justifier aux yeux de la raison, car si elles ne le peuvent, leur autorité n’en est pas amoindrie. « Tu ne mangeras pas le griffon, le gypaète ni l’orfraie » (Lév., 12, 13) ; donc, on ne mangera pas ces oiseaux impurs à peine de contracter leur impureté et d’avoir à imposer une purification. C’est tout.
Il n’y a pas ombre de critique dans ces remarques. Une métaphysique de l’être n’en est pas moins vraie pour se réclamer de l’Exode ; pourquoi une sociologie ne s’inspirerait-elle pas du Lévitique ? Nous disons seulement qu’un juif élevé dans la foi de ses pères ne peut ignorer les contraintes de la Loi, le poids dont les observances pèsent sur sa vie comme sur celle des siens. Tous les faits sociaux ne sont pas inscrits au Lévitique, mais les préceptes, commandements ou interdictions du Lévitique sont assurément des faits sociaux. On comprend donc aisément qu’un philosophe s’interrogeant sur la nature du social ait été frappé d’abord par le caractère contraignant de la Loi que lui-même a longtemps subie et que d’autres subissaient peut-être encore autour de lui. Rien de tout ceci n’est objet de démonstration, mais il est intéressant de noter que le prophète de la sociologie durkheimienne, Marcel Mauss, appartenait à la même famille ethnique que le fondateur de l’école. » (p.32-34 éd. Arthème Fayard)
Il n’y a pas ombre de critique dans ces remarques. Une métaphysique de l’être n’en est pas moins vraie pour se réclamer de l’Exode ; pourquoi une sociologie ne s’inspirerait-elle pas du Lévitique ? Nous disons seulement qu’un juif élevé dans la foi de ses pères ne peut ignorer les contraintes de la Loi, le poids dont les observances pèsent sur sa vie comme sur celle des siens. Tous les faits sociaux ne sont pas inscrits au Lévitique, mais les préceptes, commandements ou interdictions du Lévitique sont assurément des faits sociaux. On comprend donc aisément qu’un philosophe s’interrogeant sur la nature du social ait été frappé d’abord par le caractère contraignant de la Loi que lui-même a longtemps subie et que d’autres subissaient peut-être encore autour de lui. Rien de tout ceci n’est objet de démonstration, mais il est intéressant de noter que le prophète de la sociologie durkheimienne, Marcel Mauss, appartenait à la même famille ethnique que le fondateur de l’école. » (p.32-34 éd. Arthème Fayard)
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