Le 30 Juillet 1885, Henri Bergson prononce le discours de la Distribution des Prix au lycée de Clermont-Ferrand. Il a choisi de faire réfléchir les élèves sur la politesse. Il termine son introduction ainsi:
" Demandons-nous donc, mes amis, en quoi consiste la politesse vraie : s'apprend-elle comme une leçon ou bien, chez un esprit nourri aux fortes études, ne viendrait-elle pas d'elle-même, se surajouter à tout le reste, comme le parfum à la fleur éclose ?" (Mélanges p.318)
La thèse de Bergson est que seule s'apprend la civilité ou politesse artificielle et que sur ce point le civilisé (traduisons: l'Européen) en sait bien peu, comparé au sauvage (le non-Européen, précisément "les peuplades à moitié sauvages de l'Asie septentrionale" - en 1892, reprenant cette première version pour un deuxième discours de Distribution des Prix mais au lycée Henri IV cette fois (!), il tourne son regard désormais vers le Chili et "les Indiens d'Araucanie"). La vraie politesse est identifiable à trois types de politesse: la politesse des manières, la politesse de l'esprit, la politesse de coeur. Mais comment les faire siennes ?
La politesse des manières est "un certain art de témoigner à chacun, par son attitude et ses paroles, l'estime et la considération auxquelles il a droit" (p.320). Bergson l'identifie à une expression de "l'amour de l'égalité". Peut-on alors aller jusqu'à soutenir que cette politesse est un effet essentiellement secondaire de l'amour de l'égalité ? On laisse de côté la question de savoir si l'amour de l'égalité est à son tour un effet essentiellement secondaire.
La politesse de l'esprit, "politesse raffinée", est "la faculté de se mettre à la place des autres, de s'intéresser à leurs occupations, de penser de leur pensée" (p.322) Supposant "certaines qualités de coeur et beaucoup de qualités de l'esprit" (p.324), elle peut être vue aussi comme un effet essentiellement secondaire.
La politesse du coeur, qui n'est plus "talent" mais "vertu" est "la charité s'exerçant dans la région des amours-propres, là où il est aussi difficile parfois de connaître le mal que de le vouloir guérir". C'est aussi un effet essentiellement secondaire: " une grande bonté naturelle en est le fond; mais cette bonté resterait peut-être inefficace si la pénétration de l'esprit ne s'y joignait, la finesse, et une connaissance approfondie du coeur humain" (p.326)
Le discours se terminant, Bergson se fait encore plus clair en précisant à propos de la politesse quelle que soit sa forme:
" La politesse ainsi entendue réclame le concours de l'esprit et du coeur ; c'est dire qu'elle ne s'enseigne guère ; mais si quelque chose y pouvait prédisposer, ce seraient les études désintéressées, et en particulier celles que vous faites ici, jeunes élèves, les études classiques." (p.329)
Pas de surprise à lire la question rhétorique du dernier paragraphe:
" Ajouterai-je que la philosophie complète heureusement sur ce point les études littéraires ?" (p.330)
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