Jon Elster conclut son article intitulé States that are essentially by-products -1983- (Le laboureur et ses enfants -1986-) par les lignes suivantes:
" On dit que les bonnes choses de la vie sont gratuites : en fait, on pourrait dire que les bonnes choses de la vie sont des effets essentiellement secondaires " (p. 98 de l'édition française)
S'il a raison, les philosophes antiques se sont trompés, qui faisaient des "bonnes choses de la vie" la fin de leur éthique. Comme se tromperait également toute philosophie qui ferait du bonheur une fin de l'activité humaine. La condition nécessaire d'obtention des "bonnes choses" en question serait de ne pas les viser mais de viser très sérieusement, on pourrait dire de tout son coeur, les fins qui, une fois atteintes, produisent lesdites "bonnes choses".
Dans l'ensemble des philosophies hellénistiques, on doit pourtant mettre à part le scepticisme car il semble bien que le bonheur ait été atteint par hasard:
" En fait il est arrivé au sceptique ce qu'on raconte du peintre Apelle. On dit que celui-ci, alors qu'il peignait un cheval et voulait imiter dans sa peinture l'écume de l'animal, était si loin du but qu'il renonça et lança sur la peinture l'éponge à laquelle il essuyait les couleurs de son pinceau ; or quand elle l'atteignit, elle produisit une imitation de l'écume du cheval. Les sceptiques, donc, espéraient aussi acquérir la tranquillité en tranchant face à l'irrégularité des choses qui apparaissent et qui sont pensées, et, étant incapables de faire cela, ils suspendirent leur assentiment. Mais quand ils eurent suspendu leur assentiment, la tranquillité s'ensuivit fortuitement, comme l'ombre suit un corps." (Sextus Empiricus Esquisses pyrrhoniennes I, 12, 28-29 trad. Pellegrin Points p.71)
Il faut faire cependant deux réserves: d'abord, c'est de l'échec d'une entreprise que naît l'effet essentiellement secondaire (alors qu'Elster se centre plutôt sur les effets essentiellement secondaires des succès); ensuite l'effet secondaire en question ayant eu lieu au stade de la découverte de la philosophie en question, la doctrine qui en naît est présentée comme ayant, elle, comme effet principal et intentionnel les "bonnes choses de la vie" (dans la mesure où on peut interpréter non dogmatiquement l'expression en question).
Commentaires
Je crois avoir remarqué (je vais vérifier) des versions antiques de ce paradoxe.
On trouve dans l'Ethique à Nicomaque X 4 cette phrase qui va dans la même direction:
" Le plaisir achève l'acte, non pas comme le ferait une disposition immanente au sujet, mais comme une sorte de fin survenue par surcroît, de même qu'aux hommes dans la force de l'âge vient s'ajouter la fleur de la jeunesse"
La fleur de la jeunesse est un effet essentiellement secondaire.
" Ce sont des états que l'on ne peut jamais atteindre par l'intelligence ou la volonté, car le fait même d'y essayer interdit de réussir (...) Puisque certains de ces états sont utiles ou souhaitables, il est souvent tentant d'essayer de les atteindre - bien que la tentative soit vouée à l'échec." (ibid. p.18)
Dans ces conditions, la feinte n'est pas un effet essentiellement secondaire. Tout au contraire, ça n'a pas de sens de dire "j'ai feint mais je n'avais pas l'intention de feindre" (alors qu'on peut dire: "je suis admiré mais je n'avais pas l'intention d'être admiré"). Feindre et vouloir feindre me paraissent généralement substituables l'un à l'autre. Si on dit de quelqu'un qu'il fait semblant inconsciemment, on suppose que l'intention est réelle mais inaccessible au sujet.
Je ne réduis pas Descartes à Ulysse ! Une question: Ulysse fait-il preuve de rationalité ou est-il un cas "d'incontinent"?
je relirai vos objections quand la clarté sera en moi! Il faut que je progresse; mais je suis actuellement débordée.
A propos d'Ulysse, on peut dire que la rationalité (de second ordre) consiste à se projeter dans le futur... Plus tard, je poursuivrai l'analyse.
A plus,
LH
"certains états mentaux et sociaux semblent avoir pour propriété de ne pouvoir se réaliser qu'en tant qu'effets secondaires d'actions entreprises à d'autres fins."
Donc la condition de l'effet essentiellement secondaire est nécessairement une action réussie. Certes les effets essentiellement secondaires ne sont pas toujours "utiles ou souhaitables" (cf commentaire 6). Ils ne sont jamais identifiables à des échecs de la volonté (qu'ils soient utiles ou non, souhaitables ou non) mais à des limites de la volonté (je réussis à faire ce que j'entreprends mais il y a des buts que je ne peux atteindre qu'à condition de ne pas chercher à les atteindre).