Dans un article intitulé La politique et la langue anglaise et publié en avril 1946, George Orwell soutient la position que, la pensée se dégradant en Angleterre, la langue anglaise décline, lequel déclin renforce l'affaiblissement de la pensée. C'est dans ce cadre qu 'il écrit :
" Les mauvais écrivains, et notamment les scientifiques, les politiciens et les sociologues sont presque toujours hantés par l'idée que les termes latins ou grecs sont plus nobles que les mots saxons et des termes superflus comme expedite, ameliorate, predict, extraneous, deracinated, clandestine, subaqueous et des centaines d'autres gagnent constamment du terrain sur leurs équivalents anglo-saxons (...) La manière habituelle de forger un mot nouveau est d'utiliser une racine latine ou grecque avec l'affixe approprié et, en cas de besoin, le suffixe -ize (-iser). Il est souvent plus facile de forger des termes de ce genre (deregionalize, impermissible, extramarital, non-fragmentary, et ainsi de suite) que de trouver des mots anglais pour exprimer sa pensée. Tout cela a pour résultat d'aggraver le relâchement et l'imprécision." (Essais, articles, lettres, volume IV, 1945-1950, p.163, Ivrea, 2004)
Or, un an plus tard, en 1947, Victor Klemperer dans l'ouvrage où il étudie la langue nazie, LTI, la langue du IIIème Reich écrit :
" Dans chaque discours, dans chaque bulletin, le Führer se gargarise de deux mots d'origine étrangère qui sont absolument inutiles et nullement répandus ni compris partout : diskriminieren (il dit régulièrement diskrimieren) et diffamieren (...) La LTI (Lingua tertii empirii) recourt sans besoin au mot d'origine étrangère. En parlant de Terror (de Luftterror -terreur aérienne-, de Bombenterror, et naturellement aussi de Gengenterror -contre-terreur- et d' Invasion, elle suit du moins des sentiers fréquentés depuis bien longtemps, mais les Invasoren -envahisseurs- sont nouveaux et les Agressoren sont parfaitement superflus, et pour liquidieren, on a tant de choses à disposition : töten, morden, beseitigen, hinrichten, etc. Il aurait même été facile de remplacer le Kriegspotential -potentiel de guerre- qui traîne partout soit par Rüstungsgrad ou par Rüstungsmöglichkeit -degré ou possibilité d'armement- (...)
Quelles sont donc les raisons de cette prédilection, que je n'ai illustrée ici que de quelques exemples, pour le mot d'origine étrangère si ronflant ?? C'est justement et en premier lieu son caractère ronflant, et, lorsqu'on suit les différents motifs jusqu'au dernier, c'est toujours et encore son caractère ronflant et la volonté de couvrir certaines choses indésirables.
Hitler est un autodidacte et il n'a pas cinquante mais tout au plus dix pour cent de culture générale (...) En tant que Führer, il est à la fois fier de ne pas se soucier de la "prétendue culture d'autrefois" et fier du savoir qu'il a acquis par lui-même. Tout autodidacte fait parade de mots étrangers et, d'une manière ou d'une autre, ceux-ci se vengent.
Mais ce serait faire tort au Führer que d'expliquer sa prédilection pour ce genre de mots par la seule vanité et la seule connaissance de ses propres manques. Ce que Hitler connaît avec une terrible précision et ce dont il tient compte, c'est toujours la psyché de la masse qui ne pense pas et doit être maintenue dans l'incapacité de penser. Le mot étranger impressionne, il impressionne d'autant plus qu'il est moins compris ; n'étant pas compris, il déconcerte et anesthésie, il couvre la pensée, Schlechtmachen -dire du mal-, tous les Allemands comprendraient ; diffamieren est compris de moins de gens, mais sur tous, sans exception, il fait un effet plus solennel et plus fort que schlechtmachen. (Qu'on pense à l'effet produit par la liturgie latine dans le service divin catholique.)" (p.322-324, Albin Michel)
Quelles sont donc les raisons de cette prédilection, que je n'ai illustrée ici que de quelques exemples, pour le mot d'origine étrangère si ronflant ?? C'est justement et en premier lieu son caractère ronflant, et, lorsqu'on suit les différents motifs jusqu'au dernier, c'est toujours et encore son caractère ronflant et la volonté de couvrir certaines choses indésirables.
Hitler est un autodidacte et il n'a pas cinquante mais tout au plus dix pour cent de culture générale (...) En tant que Führer, il est à la fois fier de ne pas se soucier de la "prétendue culture d'autrefois" et fier du savoir qu'il a acquis par lui-même. Tout autodidacte fait parade de mots étrangers et, d'une manière ou d'une autre, ceux-ci se vengent.
Mais ce serait faire tort au Führer que d'expliquer sa prédilection pour ce genre de mots par la seule vanité et la seule connaissance de ses propres manques. Ce que Hitler connaît avec une terrible précision et ce dont il tient compte, c'est toujours la psyché de la masse qui ne pense pas et doit être maintenue dans l'incapacité de penser. Le mot étranger impressionne, il impressionne d'autant plus qu'il est moins compris ; n'étant pas compris, il déconcerte et anesthésie, il couvre la pensée, Schlechtmachen -dire du mal-, tous les Allemands comprendraient ; diffamieren est compris de moins de gens, mais sur tous, sans exception, il fait un effet plus solennel et plus fort que schlechtmachen. (Qu'on pense à l'effet produit par la liturgie latine dans le service divin catholique.)" (p.322-324, Albin Michel)
Les deux auteurs sont plutôt d'accord sur la finalité de l'importation de mots étrangers et savants (c'est ronflant pour Klemperer, noble pour Orwell), mais ce qui les distingue, c'est que Klemperer pense isoler une propriété de la langue propre au nazisme alors qu' Orwell identifie à la source une cause politique générale, il écrit en effet :
" Quand l'atmosphère générale est mauvaise, le langage ne saurait rester indemne. On constatera sans doute - c'est une hypothèse que mes connaissances ne me permettent pas de vérifier - que les langues allemande, russe et italienne se sont, sous l'action des dictatures, toutes dégradées au cours des dix ou quinze dernières années." (ibid. p.169)
En tout cas les deux auteurs voient identiquement un enrichissement, un gain (l'apport d'un nouveau vocabulaire) comme une perte (au niveau de la clarté et de la précision de la communication). Les deux aussi voient dans la disparition (cas allemand) ou l'affaiblissement (cas anglais) de la démocratie la cause de la dégradation de la langue, plus exactement de la dégradation de la communication linguistique (la dégradation en question n'est pas au niveau de l'efficacité -loin de là ! ceux qui la parlent ainsi atteignent leurs fins- mais au niveau du respect des normes qui permettent de transmettre la vérité).
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