Dans un billet précédent, j'écrivais en conclusion "que la conception que se faisait Hadot du stoïcisme était modelée par (son) engagement religieux premier et pensé".
Or, quelques lignes de l'intervention de Jean-François Ballaudé, dans le cadre du colloque consacré à Pierre Hadot il y a bientôt 8 ans, éclairent la relation qu'alors je ne faisais que vaguement identifier. Les voici :
Or, quelques lignes de l'intervention de Jean-François Ballaudé, dans le cadre du colloque consacré à Pierre Hadot il y a bientôt 8 ans, éclairent la relation qu'alors je ne faisais que vaguement identifier. Les voici :
" Le christianisme n'a d'abord pas été pour lui, comme c'est sans doute le cas pour nombre d'entre nous, un moment de l'histoire de notre culture, en un sens toujours présent, mais aux effets relativement estompés, et considéré désormais de façon plus ou moins extérieure. Il est passé volens nolens par un moment religieux, par un âge de sa vie où l'existence prenait sens, trouvait son fondement dans la religion catholique. Et c'est parce que les choses lui sont apparues ainsi, qu'il les a vécues ainsi, au moins un temps, qu'il lui a été possible de reprendre à nouveaux frais la question même de la philosophie." (Davidson et Worms (éd.) Pierre Hadot, l'enseignement des antiques, l'enseignement des modernes, Paris, Editions rue d'Ulm, 2010, p.40)
Mais dans quelle mesure cette reprise à nouveaux frais de la question même de la philosophie ne revient-elle pas à l'amputer de ses bases théoriques et à la réduire à une "orientation" éthique ? Cela ne consisterait-il pas alors à transformer la philosophie en religion, avec une perte (elle ne prétendrait plus à la vérité) et un gain (elle ne serait du coup pas mise en danger par les savoirs) ? Il fut un temps où on pensait la religion comme une philosophie, désormais certains seraient portés à penser la philosophie comme une religion. Mais continuons de lire Jean-François Ballaudé :
" Il me semble ainsi que Pierre Hadot a été amené par sa formation, voire un peu contraint, à identifier l'exigence philosophique à l'exigence catholique, et la vie parfaite à la vie catholique, la vie en Jésus-Christ." (ibid. p.43).
Doit-on alors penser que le catholicisme de Pierre Hadot n'a rien d'anecdotique dans sa compréhension de la philosophie comme avant tout pratique ? Il ne serait alors pas simplement un élément secondaire du contexte de découverte de la philosophie de Hadot, il pourrait appartenir aussi aux justifications venant consolider sa conception de la philosophie. Quelle relation entre son engagement catholique et sa conception de la philosophie ?
Commentaires
Je me permets néanmoins de vous renvoyer au billet qui suit où je m'interroge sur ce qui précède la théorie chez Hadot et que j'identifie à un choix existentiel.
Qu'un désir de vie oriente vers une théorie, elle-même instrumentalisée au service de la vie réussie, permet de distinguer que le socle dont vous parlez n'a rien de basique, de fondamental ; or, ce point permet peut-être de distinguer la théorie catholique des théories philosophiques (stoïcienne, épicurienne, etc) vues par Hadot. Il ne me semble guère catholique de soutenir que le socle théorique du catholicisme est fondé sur une attitude ; bien plutôt sa vérité oblige à une attitude (cf par exemple sur ce point l'oeuvre de Clive Staple Lewis sur la vérité objective du christianisme Mere Christianity (1952)) ; certes on peut toujours faire de la croyance dans le catholicisme l'objet d'un choix libre (de type sartrien) mais on s'éloigne furieusement à mes yeux de l'orthodoxie. Selon moi, le philosophe stoïcien ou épicurien, tel le catholique dogmatique, pense que la théorie stoïcienne est conforme au réel et fonde la pratique juste (le lien théorie/pratique est en effet indiscutable) ; bien sûr, sa théorie étant tenue pour vraie, il est porté à la défendre contre les arguments des théories concurrentes, contre tout éclectisme ou syncrétisme. Or, c'est précisément cette dimension première et fondatrice de la théorie que Pierre Hadot a voilée en faisant de la théorie et des exercices spirituels subséquents qu'elle légitime, la conséquence d'un choix de vie primitif et passablement irrationnel.
Pour revenir à votre post, Hadot entendrait donc doctrine philosophique dans un sens passablement relâché comparé à ce qu'elle fut autant pour l'église catholique que pour les philosophies hellénistiques.