Aujourd'hui c'est un lieu commun, sans doute navrant, de dire que ce n'est pas notre esprit mais notre cerveau qui fait toutes les opérations intellectuelles dont nous nous enorgueillissons et plus généralement de soutenir qu'il est la seule cause de tous nos processus mentaux : c'est le cerveau qui classe, juge, interprète, ressent, etc.
C'est peut-être la quatrième blessure narcissique : après la thèse selon laquelle l'homme ni ne connaît ni ne contrôle son esprit (voyez Freud), domine l'idée qu'au fond ce qu'on appelle l'esprit n'est que le cerveau.
Or, cette cérébralisation de l'esprit humain n'a-t-elle pas son pendant dans la spiritualisation du cerveau animal ?
Je vois en tout cas un exemple de cette opération de réhabilitation extrême de l'animal dans quelques lignes tirées de L'éthique à table. Pourquoi nos choix alimentaires importent., ouvrage au demeurant intéressant, écrit par Peter Singer et Jim Mason (L'Âge d'Homme, 2015) . Les auteurs tiennent à nous expliquer que les vaches ont une vie émotionnelle intense ; après avoir soutenu que ces herbivores se lient d'amitié et gardent aussi rancune, Singer et Mason écrivent :
Je vois en tout cas un exemple de cette opération de réhabilitation extrême de l'animal dans quelques lignes tirées de L'éthique à table. Pourquoi nos choix alimentaires importent., ouvrage au demeurant intéressant, écrit par Peter Singer et Jim Mason (L'Âge d'Homme, 2015) . Les auteurs tiennent à nous expliquer que les vaches ont une vie émotionnelle intense ; après avoir soutenu que ces herbivores se lient d'amitié et gardent aussi rancune, Singer et Mason écrivent :
" Plus remarquable encore, les vaches peuvent être enthousiastes quand elles réussissent à relever un défi intellectuel. Donald Broom, professeur de bien-être animal à l'Université de Cambridge, a mis des vaches face à un problème - comment ouvrir une porte pour obtenir de la nourriture - tout en mesurant leurs ondes cérébrales. Broom rapporte que lorsqu'elles trouvent la solution, " leur activité cérébrale montre leur excitation, leur rythme cardiaque augmente, et certaines sautent même en l'air. Nous avons appelé cela leur moment Eureka " ". (p.124-125)
Voir dans la vache un être qui ressemble à Archimède est sans doute aussi discutable que de voir dans Archimède rien d'autre que son cerveau.
Certes spiritualiser l'animal non humain favorise la diffusion de l'anti-spécisme. Ainsi dans le même ouvrage, Estiva Reus peut-elle ne pas hésiter à demander aux lectrices de se mettre à la place des truies :
" Imaginez-vous dans la situation d'une truie prisonnière à vie d'un bâtiment fermé. Vous êtes réduite à l'état de machine à enfanter ; vous êtes périodiquement inséminée artificiellement ; vous êtes dans l'incapacité de prendre convenablement soin de vos petits car entourée de barreaux qui vous interdisent d'aller vers eux ; vous ne pouvez qu'attendre qu'ils s'approchent pour téter ; ils vous sont enlevés à un âge où ils auraient encore besoin de votre présence ; vous n'avez jamais l'initiative pour continuer votre existence comme vous l'entendez ; vous vivez à l'étroit dans un univers de métal et de béton ; vous serez tuée jeune mais déjà usée par vos conditions d'existence." (p.118)
Il semble ici que l'appel à l'empathie se fait au prix d'une anthropomorphisation douteuse.
Mais alors comment rendre justice aux animaux non humains sans à tort les humaniser ?
Mais alors comment rendre justice aux animaux non humains sans à tort les humaniser ?
Commentaires
Ce n'est qu'une suggestion...
Quant à la révolution copernicienne, certains auteurs ont fait remarquer à juste titre qu'elle n'est aucunement une blessure narcissique, si l'on y voit la fin de la distinction entre le sublunaire et le supralunaire.
Cela dit, je visais dans ce billet une position commune, celle que les médias nous encouragent à avoir en mythifiant largement les neuro-sciences comme on peut s'en convaincre en lisant le livre de Daniel Andler La silhouette de l'humain. Quelle place pour le naturalisme dans le monde aujourd'hui ? (2016)
Certes on peut penser que les lycéens disant, sous l'influence des médias présentant les neuro-sciences "l'esprit, c'est le cerveau" sont plus près de la vérité que des lycéens disant sous l'influence des prêtres "l'esprit survivra au corps"... Mais cela n'engage que moi !
Vous m'incitez à lire Daniel Andler (qui mérite en effet tous les lauriers qu'on voudra)
Encore une ignorance de ma part ...
En revanche, comme on ne peut pas avoir d'estime pour un être qui n'existe pas et qui, à la différence du personnage de fiction, n'a aucune propriété, la quantité nulle d'estime que vous accordiez au départ à ce fantôme se rapportait tout autant à mon blog !