MOI : - Vu que c’est notre dernier entretien, j’aimerais savoir comment me faire reconnaître par les philosophes sérieux.
ELLE : - Renoncez alors à imiter les philosophes célèbres qui vous ont sans doute fait aimer la philosophie.
MOI : - ?
ELLE : - J’imagine en effet que vous avez admiré leur capacité à construire un système cohérent et original portant sur l’ensemble de la réalité.
MOI : - Oui, et comme j’ai été tenté de me servir de tel ou tel système pour me tenir lieu de religion !
ELLE : - Mais comme vous ne cessiez pas de réfléchir, le système élu perdait de sa force, n’est-ce pas ?
MOI : - Eh oui, sans que je ne puisse jamais découvrir le système inébranlable !
ELLE : - En tout cas, si vous voulez percer comme philosophe, surtout n’écrivez pas un traité sur la totalité ou quelque chose du genre. Vous seriez taxé de naïveté.
MOI : - Je dois donc choisir un élément.
ELLE : - Exactement, et vous écrivez sur lui quelque chose d’élémentaire, pas un livre, mais un article portant sur un point précis et étroitement défini.
MOI : - Un point que je souhaite explorer ?
ELLE : - Surtout pas, vous y livreriez toutes vos incertitudes...
MOI : - Et tout mon enthousiasme aussi !
ELLE : - Mais, sans le savoir, l’élan joyeux ne vaut pas grand chose.
MOI : - Je dois donc écrire sur un point que je connais déjà ?
ELLE : - Il faut d’une part que vous sachiez comment la question a déjà été traitée par les autres...
MOI : - Par les autres philosophes ?
ELLE : - Ça dépend de ceux que vous appelez philosophes !
MOI : - Eh bien les auteurs majeurs ou mineurs qu’on étudie à l’Université.
ELLE : - Surtout pas, vous vous couvririez de ridicule ! Non, les autres, ce sont les universitaires du présent et du passé. Par exemple, si vous faites de l’histoire de la philosophie, vous interrogerez la valeur de l’interprétation que Monsieur X ou Madame Y ont donné de telle ou telle interprétation d’un passage d’un vrai philosophe, si vous me permettez l’expression.
MOI : - Donc il faut bien connaître l’oeuvre du philosophe et celle de son interprète....
ELLE : - Sans oublier les autres interprétations et la littérature qui porte sur elles.
MOI : - Mais c’est triste alors, je vais gloser sur des gloses...
ELLE : - En un sens.
MOI : - Et quelle est l’alternative ?
ELLE : - Aborder directement un problème, mais pas un problème existentiel, du genre : la vie a-t-elle un sens ? Ça doit être une difficulté telle que si vous la régliez, mais c’est impossible puisque c’est une difficulté philosophique, la vie n’en serait pas changée.
MOI : - Si je ne peux pas régler le problème et si je ne peux pas, j’imagine, répéter ce qu’un autre universitaire a déjà écrit, que puis-je faire ?
ELLE : - Vous démarquer avec intelligence et originalité, de telle manière que ceux qui s’attaqueront à la même difficulté n’auront pas d’autre choix que de vous citer.
MOI : - Et si je choisissais plutôt de me faire remarquer par ma vie philosophique ?
ELLE : - Vous intéresserez au mieux votre famille et vos amis.
MOI : - La pratique philosophique n’a donc pas de valeur à l’Université ?
ELLE : - En effet, c’est par la théorie que vous vous distinguerez !
MOI : - Mais que vaut une vie consacrée aux théories philosophiques ?
ELLE : - C’ est une question à laquelle on répond soit par une opinion, soit par l’enquête morale et métaphilosophique.
MOI : - Mais la métaphilosophie, c'est de la philosophie ?
ELLE : - On ne peut rien vous cacher !
Y a pas que des gloses et des commentaires sur X ou sous X à l'université. Ce qui donne cette impression est qu'il y a une règle qu'essaient de pratiquer la plupart des universitaires, de citer leurs sources, qui n'est pas imposée ailleurs et qui barbe. Mais elle n'est pas toujours respectée.
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