Il est étrange pour nous, mais révélateur peut-être du monde dans lequel Sénèque vivait, que ce dernier ait seulement fait appel au risque de l’assassinat, de la mort violente pour familiariser Lucilius avec la réalité de sa propre mort. On peut s’étonner en effet que d'autres morts accidentelles, par maladie par exemple, ne viennent pas renforcer l’exhortation à comprendre que la mort est à chaque instant possible. (cf note 1)
La dernière situation choisie va dans le même sens car c’est la mort à laquelle le prisonnier de guerre est condamné qui est évoquée. Il est mené à la mort, littéralement il est mené: duci (forme passive de ducere) euphémisme qui évoque notre « il est parti », sauf qu’ici la passivité est marquée, passivité par rapport au vainqueur (qui condamne à mort) autant que par rapport à la vie (qui également condamne à mort). La décision du vainqueur va paradoxalement dans le sens de la vie, le premier ne faisant que réaliser le cours des choses. Le latin rend bien cela :
« Victor te duci jubebit : eo nempe quo duceris » = le vainqueur ordonnera que tu sois mené (à la mort) : là n’est-ce pas ? où tu seras mené.
Noblot éprouve le besoin d’expliciter (« le vainqueur t’envoie à la mort – Il t’envoie où ton destin te conduit »).
Quelques lignes plus loin, Sénèque le répète :
« Ita dico : ex quo natus es, duceris » = oui je le dis : du jour où tu es né, tu seras mené (à la mort).
Dans le Manuel, Epictète associe d’une autre manière la mort à la passivité :
« Comme, au cours d’une traversée, quand le navire a jeté l’ancre dans un port, si tu en descends pour aller chercher de l’eau fraîche, tu peux ramasser une chose accessoire au bord du chemin, un coquillage, une petite racine, il te faut pourtant avoir l’esprit tendu vers le bateau et te retourner constamment, de peur, que peut-être le pilote ne t’appelle, et que, s’il t’appelle, tu doives abandonner toutes ces choses, afin que tu ne sois pas embarqué dans le navire, ficelé comme un mouton (…) » ( 7 trad. Hadot)
Ici la passivité caractérise seulement celui qui n’a pas écouté la leçon philosophique et qui se révolte contre sa mort imminente: dans ce cas mourir en stoïcien ce n’est pas être mené mais rejoindre de son plein gré le navire. En revanche ce que Sénèque veut éveiller chez Lucilius, c’est la conscience d’avoir toujours été mené à la mort.
« Quid te ipse decipis et hoc nunc primum, quod olim patiebaris, intelligis ? » = pourquoi te trompes-tu toi-même et comprends-tu maintenant pour la première fois ce que tu subissais depuis longtemps ? (encore une fois Noblot se sent tenu d’expliciter en personnifiant en un certain sens cette passivité : « la fatalité que depuis si longtemps tu subissais »).
Aux yeux de Sénèque c’est parce qu’on sait qu’on a toujours été et qu’on sera toujours un mouton ficelé - en ce sens vivre c'est essentiellement pâtir - qu’on peut se décharger de son souci comme on se défait d’un fardeau (sollicitudinem deponere).
note 1: On trouve en revanche chez Montaigne une énumération plus diversifiée des morts inattendues et non exemplaires:
" Combien a la mort de façons de surprise ?
Quid quisque vitet, nunquam homini satis%% Cautum est in horas ("L'homme ne peut jamais bien prévoir les dangers de chaque heure à éviter" Horace Odes, II, XIII, 13)
Je laisse à part les fiebvres et les pleuresies. Qui eut jamais pensé qu'un Duc de Bretaigne deut estre estouffé de la presse, comme fut celuy-là à l'entrée du Pape Clément, mon voisin, à Lyon ? N'as tu pas veu tuer un de nos roys en se jouant ? Et un de ses ancestres mourut-il pas choqué par un pourceau ? Aeschilus, menacé de la cheute d'une maison, a beau se tenir à l'airte, le voylà assommé d'un toict de tortue, qui eschappa des pates d'un' Aigle en l'air. L'autre mourut d'un grein de raisin; un Empereur, de l'esgrafigneure d'un peigne, en se testonnant; Aemilius Lepidus, pour avoir hurté du pied contre le seuil de son huis; et Aufidius, pour avoir choqué en entrant contre la porte de la chambre du conseil; et entre les cuisses des femmes, Cornelius Gallus preteur, Tigillinus, Capitaine du guet à Rome, Ludovic, fils de Guy de Gonsague, Marquis de Mantoüe, et, d'un encore pire exemple, Speusippus, Philosophe Platoncicien, et l'un de nos Papes. Le pauvre Bebius, juge, cependant qu'il donne delay de huictaine à une partie, le voylà saisi, le sien de vivre estant expiré. Et Caius Julius, medecin, gressant les yeux d'un patient, voilà la mort qui clost les siens. Et s'il m'y faut mesler: un mien frere, le capitaine S.Marin, aagé de vingt et trois ans, qui avoit desja faict assez bonne rpeuve de sa valeur, jouant à la paume, receut un coup d'esteuf qui l'assena un peu au-dessus de l'oreille droite, sans aucune apparence de contusion, ny de blessure. Il ne s'en assit, ny reposa, mais cinq ou six heures apres il mourut d'une Apoplexie que ce coup lui causa." (Essais I XX)
Commentaires
Intuitivement, je ne pense pas qu’il y ait un sens de lecture, les interactions sont circulaires. Le jugement de valeur crée du désir. Le désir crée des jugements de valeur.
Ce que je trouvais intéressant dans cette juxtaposition Dennett / Spinoza, c'est qu'il me semblait que Dennett avait les moyens de faire des désirs non plus des causes premières mais des phénomènes à leur tour explicables.
"qu'est-ce qu'un gène ?"
Je suis sûr de démolir vos réponses)
J’ai copié l’article qui décrit « l’affaire » (Ici : http://www.lexpress.fr/actualite/so...
Au premier abord, c'est un livre somptueux. L'Atlas de la création, édité en décembre dernier en Turquie, est un pavé de 770 pages richement illustré. Plusieurs milliers de photographies en couleur de fossiles d'animaux lui confèrent l'apparence d'un ouvrage de vulgarisation scientifique à mettre entre les mains des enfants. D'ailleurs, depuis plusieurs jours, des centaines d'établissements scolaires français ont reçu gratuitement dix mille exemplaires de cet ouvrage signé Harun Yahya, le pseudonyme d'Adnan Oktar, un "intellectuel" turc auteur de dizaines d'ouvrages depuis les années 1980.
"Preuves" à l'appui...
Le problème - majeur - est que, sous couvert de pédagogie, cet Atlas de la Création conteste les travaux de Darwin et la théorie de l'évolution des espèces. Le ministère de l'Education nationale a immédiatement mis en garde les établissements scolaires contre cet ouvrage d'inspiration musulmane dont le contenu "ne correspond pas aux programmes". Selon Harun Yahya - qui cite le Coran à de multiples reprises - les espèces animales, et l'homme, n'ont pas évolué mais ont été "créés" par Dieu telles que nous les connaissons aujourd'hui. Pour "prouver" ses affirmations aberrantes, Harun Yahya tente de démontrer que des fossiles vieux de plusieurs centaines de millions d'années sont identiques aux espèces actuelles. Et que l'homme ne descend pas du singe. Ces idées créationnistes, propagées par certaines églises et sectes chrétiennes nord-américaines, connaissent un succès croissant dans les milieux musulmans osbcurantistes. L'objectif affiché du livre est "d'anéantir les arguments des idéologies athées". L'entreprise de prosélytisme y est clairement affiché: "Ce livre et tous les autres travaux [...] peuvent être abordés en groupes". Dans L'Atlas de la création, à côté d'une photo des attentats du 11 septembre 2001, on peut même lire que "ceux qui perpétuent la terreur dans le monde sont en réalité les darwinistes. Le darwinisme est la seule philosophie qui valorise et encourage le conflit".
Mais la phraséologie véhiculée par Harun Yahya, d'inspiration musulmane, dépasse pourtant la simple propagande islamiste radicale. Elle évoque des théories encore plus hallucinantes, un confusionnisme d'inspiration sectaire. Dans le dernier chapître, l'auteur affirme que "la matière n'existe pas": le monde ne serait qu'un ensemble d'images présentées par Dieu à l'âme humaine pour la tester... On serait tenté de rire, mais vu les moyens financiers employés pour diffusé cet Atlas dévoyé, l'auteur n'est certainement pas un plaisantin »)
Il me semble qu’à travers cet exemple, vous avez compris ce que je voulais dire : « rien n’a changé » pour celui qui applique un dogme, pour celui qui ne réfléchit pas. Cependant, il est dur de réfléchir sur une science synthétique. Les limites de nos connaissances sont approchées rapidement. Nous faisons confiance aux scientifiques pour rétorquer aux arguments créationnistes des arguments d’autorité.
Je ne comprends pas bien pourquoi dites vous que l’évolutionnisme n’est pas une hypothèse. En effet, la science est en mouvement. Inutile de prendre 2000 ans de recul pour le constater. Par exemple : « Rick Young, a geneticist at the Whitehead Institute in Cambridge, Massachusetts, says that when he first started teaching as a young professor two decades ago, it took him about two hours to teach fresh-faced undergraduates what a gene was and the nuts and bolts of how it worked. Today, he and his colleagues need three months of lectures to convey the concept of the gene, and that's not because the students are any less bright. "It takes a whole semester to teach this stuff to talented graduates," Young says. "It used to be we could give a one-off definition and now it's much more complicated. » (Tiré de là : http://www.nature.com/nature/journa... )
Ici ( http://www.nature.com/nature/journa... ) les auteurs montrent qu’il existe une transmission de caractère (tache blanche sur la queue de souris) qui ne repose pas sur la transmission d’un gène (ADN) mais sur la transmission d’ARN. Ailleurs (http://www.nature.com/nature/journa... )des chercheurs montrent qu’une plante réécrit son ADN à partir de ces « micro-ARN ».
A la lumière de ces résultats (2005-2006), vous comprenez que la théorie de l’évolution ne peut plus être la même théorie qu’il y a 20 ans ?
Mes questions étaient des pièges. On ne sait pas si l’œil de la mouche et l’œil humain sont une convergence ou l’héritage d’un ancêtre commun. Ou autre question d’évolution : est-ce que vous rapprocheriez les oiseaux des crocodiles ou des mammifères ? Des crocodiles si vous considérez la présence d’un gésier, une membrane sur l’œil, la réduction d’os du crâne qu’ils partagent avec les crocodiles. Des mammifères si vous considérez l’anse de henlé dans le rein, le tronc aortique unique, l’endothermie… qu’ils partagent avec les mammifères… Exemples un peu lourd cherchant à montrer qu’une science historique est un ensemble de conjectures.
Je me suis emballé sur Homère. Les références grouillent chez tous les philosophes antiques. Cependant, je suis certain d'avoir lu, que l'éducation consistait à apprendre par coeur des poèmes et Homère. ce soir, je n'ai pas retrouvé où.
Je recopie, celles-ci, évoquant les relations Cyniques-"sciences" :
"Un certain géomètre qualifiait Diogène d'inculte et d'ignorant. Ce dernier lui dit : "reconnais avec moi que je n'ai pas appris ce que Chiron lui-même n'a pas enseigné à Achille (soit la géométrie)"
Joan. Damasc., Exercepta...
(Stobée, eclog...
Ceci dit, rien à dire concernant l'explication de la trajectoire "exceptionnelle" du ballon en hélium, mais dans le cas qui est discuté (pour dire vite, les comportements hostiles aux petits enfants), elle suggère inévitablement que d'autres causes naturelles expliquent les conduites qui à première vue ne confirment pas l'évolutionnisme. Or, il me semble que si lesdites conduites ont comme tout phénomène des causes naturelles, ce n'est pas vers elles qu'on se tournera pour les rendre intelligibles mais vers des raisons psycho-sociales. Certes il ne me paraît pas interdit alors de chercher les bases évolutionnistes de telles raisons. Reste que l'explication éclairante, celle qui rend le cas intelligible, ne sera pas prima facie naturaliste, mais culturaliste.
(Revenons par exemple à la comparaison entre l'oeil humain et l'oeil d'une mouche. S'agit-il d'une homologie (caractère hérité d'un ancêtre commun) ou d'une homoplasie (convergence adaptative) ? Les recherches pousseraient à comparer l'anatomie, l'histologie, la physiologie, la génétique de l'oeil. Le champs s'élargirait aux autres espèces, aux fossiles...)
"D'un point de vue historique, c'est faux, me semble-t-il. C'est la théorie de Darwin qui amène à poser la notion de gène au début du XXe siècle et donne son impulsion au programme de recherche qui deviendra la génétique.
Oui c'est incontestable. (Je dirai que la théorie de l'évolution endacre la génétique)
Non sur ce point je suis d'accord
non, soit on trouve ces motifs, (ils ne peuvent pas être psycho-social), soit on adapte la théorie aux observations ou aux découvertes et (par conséquent l'affirmation Y pousse X change.)