Diogène Laërce rapporte l'anecdote suivante concernant Arcésilas:
"À qui lui demandait pourquoi on passait des autres écoles à celle d'Épicure et jamais de celle d'Épicure à une autre, il répondit : "Quand on est un homme, on peut devenir eunuque, mais lorsqu'on est eunuque, on ne peut devenir un homme." (IV 43 éd. Goulet-Cazé p.522)
On pourrait interpréter le trait platement comme simple expression de la rivalité entre le platonisme et l'épicurisme. Or, Martha Nussbaum prend le passage au sérieux. En effet, à travers la référence aux "autres écoles", elle a surtout en vue la pratique aristotélicienne de la philosophie, dont elle ne se cache pas d'être une adepte. Or, dans le cadre de l'aristotélisme, l'argumentation éthique a une valeur pratique non seulement par sa conclusion mais aussi par sa pratique et par le respect des valeurs épistémiques qui la rendent possible :
" Aristotle has argued that the practical benefit of ethical argument is inseparable from the dialectical scrutiny of opposing positions, from mutual critical activity, and from the essential philosophical virtues of consistency, clarity and perspicuous ordering." (The therapy of desire p.138)
Quelques lignes, plus loin, elle engage à ne pas oublier "the practical value of good philosophy - in really getting to the most powerful and justifiable pictures of human excellence, human functioning, human social justice."
C'est par rapport à cette pratique aristotélicienne que Martha Nussbaum présente la pratique épicurienne comme centrée sur la transmission à un disciple, identifié à un malade, de thèses-médicaments, à apprendre par coeur, pour les intérioriser, en vue de combattre les maux dont souffrent les hommes remplis d'idées fausses.
Centrée sur la guérison, vue selon les critères aristotéliciens, une telle pratique qui ne prend pas au sérieux les pensées de l'élève - du moins tant qu'il ne reproduit pas les thèses de l'École - est jugée sectaire, unilatérale, dogmatique. C'est donc dans une telle perspective que Martha Nussbaum lit le texte de Diogène Laërce cité plus haut :
C'est par rapport à cette pratique aristotélicienne que Martha Nussbaum présente la pratique épicurienne comme centrée sur la transmission à un disciple, identifié à un malade, de thèses-médicaments, à apprendre par coeur, pour les intérioriser, en vue de combattre les maux dont souffrent les hommes remplis d'idées fausses.
Centrée sur la guérison, vue selon les critères aristotéliciens, une telle pratique qui ne prend pas au sérieux les pensées de l'élève - du moins tant qu'il ne reproduit pas les thèses de l'École - est jugée sectaire, unilatérale, dogmatique. C'est donc dans une telle perspective que Martha Nussbaum lit le texte de Diogène Laërce cité plus haut :
" It is always possible, and in fact all to easy, to turn from calm critical discourse to some form of therapeutic procedure, as Epicurus himself turned from his Platonist teacher Nausiphanes to his own way. But once immersed in therapy it is much more difficult to return to the values of Aristotelician critical discourse. The passivity of the Epicurean pupil, her habits of trust and veneration, may become habitual and spoil her for active critical task." (ibid. p.139)
Il ne faut pourtant pas conclure de cette analyse que Martha Nussbaum discrédite l'héritage épicurien puisqu'elle ne lui attribue rien moins que la découverte de l'inconscient. Ce qui est à première vue tellement surprenant que cela mérite un autre billet.
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