J'ai beau avoir déjà lu dans le De natura rerum de Lucrèce des lignes proches, c'est avec une certaine surprise, mêlée de joie, que je lis dans la Lettre sur les aveugles de Diderot ce texte qui évoque (oui, de loin) l'explication darwinienne du vivant C'est l'aveugle Saunderson qui, sur son lit de mort, répond à un ministre du culte venant de lui rappeler l'existence d'une preuve de l'existence de Dieu à laquelle, du fait qu'il ne voit pas, il n' a pas accès , précisément celle qui partant de l'harmonie du monde en conclut à un créateur divin :
" Imaginez donc, si vous voulez, que l'ordre qui vous frappe a toujours subsisté ; mais laissez-moi croire qu'il n'en est rien ; et que, si nous remontions à la naissance des choses et des temps, et que nous sentissions la matière se mouvoir et le chaos se débrouiller, nous rencontrerions une multitude d'êtres informes, pour quelques êtres bien organisés. Si je n'ai rien à vous objecter sur la condition présente des choses, je puis du moins vous interroger sur leur condition passée. Je puis vous demander, par exemple, qui vous a dit à vous, à Leibniz, à Clarke et à Newton, que dans les premiers instants de la formation des animaux, les uns n'étaient pas sans tête et les autres sans pieds. Je puis vous soutenir que ceux-ci n'avaient point d'estomac, et ceux-là, point d'intestins ; que tels à qui un estomac, un palais et des dents semblaient promettre de la durée, ont cessé par quelque vice du coeur ou des poumons ; que les monstres se sont anéantis successivement ; que toutes les combinaisons vicieuses de la matière ont disparu, et qu'il n'est resté que celles où le mécanisme n'impliquait aucune contradiction importante et qui pouvaient subsister par elles-mêmes et se perpétuer." (La Pléiade, p.161)
L' argument présenté ici par Diderot, reste, s'il est modernisé, la meilleure réfutation de la preuve physico-téléologique.
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