Commentant la lettre VII à Lucilius, j'ai abordé la question de la position de Sénèque vis-à-vis de la gladiature. Or elle est analysée longuement par Paul Veyne dans Païens et charité chrétienne devant les gladiateurs (in L'empire gréco-romain 2005).
Voici quelques extraits significatifs:
" A la différence de l'empereur (Marc-Aurèle), il ne s'ennuie pas aux spectacles de gladiateurs; au contraire, il y va pour son plaisir. Il admet comme tout le monde cette dérogation autorisée par la coutume, bien que le penseur en lui la condamne ou plutôt la déplore; ces combats ne sont pas précisément une oeuvre de pitié, écrit-il, le sang humain y coule. Mais enfin il va à l'ampithéâtre de lui-même, rien ni personne ne l'y force, il y va pour se divertir et ne songe pas à s'en cacher. (...) Sénèque voyant la mise à mort du gladiateur vaincu dans l'arène est comparable à un spectateur de corrida qui trouverait cruelle la mise à mort du taureau (je le suppose ami des bêtes), mais qui n'en aimerait pas moins voir des hommes courageux affronter des dangers réels. (...) Sénèque ne se prend pas pour un sage et sait qu'il n'en sera jamais un: ce n'est qu'un homme de la décadence qui travaille à s'améliorer. Lorsqu'il va voir des combats, il suit la coutume et son plaisir, il vit comme un membre de la société telle qu'elle est (et elle n'est pas parfaite, étant bâtie sur la "folie" quasi universelle), de même qu'il avoue être richissime, alors que l'or est une découverte du vice. De nos jours il stigmatiserait la "société de consommation" en continuant à consommer." (p.569-572)
Pour finir, une métaphore judicieuse à propos du stoïcisme:
" En exerçant son âme, on était censé parvenir un jour à faire de soi-même une espèce de scaphandrier qui traverserait le monde en un état de sécurité intérieure et d'autarcie." (p.573)