Le chapitre 14 du livre I est le premier texte des Essais à traiter longuement de la mort. Montaigne y défend l'idée qu'elle n'est pas un mal. Dans une perspective stoïcienne il soutient qu'entre les prétendus maux et nous se tient un filtre qu'il n'appartient qu'à nous de choisir de manière à nous les faire voir comme sans importance :
" Si ce que nous appelons mal et tourment n'est ny mal ni tourment de soy, ains seulement que nostre fantasie luy donne cette qualité, il est en nous de la changer. Et en ayant le choix, si nul ne nous force, nous sommes estrangement fols de nous bander pour le party qui nous est le plus ennuyeux, et de donner aux maladies, à l'indigence et au mespris un aigre et mauvais goust, si nous le leur pouvons donner bon, et si la fortune fournissant simplement de matière c'est à nous de lui donner la forme."
Pourtant ce ne sont pas ces lignes attendues qui retiennent mon attention dans ce chapitre, mais un passage tout à la fin , qui sonne comme un aveu d'échec :
" Pourquoy de tant de discours, qui persuadent diversement les hommes de mespriser la mort, et de porter la douleur, n'en trouvons nous quelcun qui face pour nous ? Et de tant d'especes d'imaginations, qui l'ont persuadé à autruy, que chacun n'en applique il à soy une le plus selon humeur ? "
Je ne crois pas que ce soit une conviction déguisée sous forme de questions rhétoriques. En effet, dans un des derniers ajouts, Montaigne clôt le chapitre en réitérant une thèse qu'il vient pourtant par ces deux interrogations d'ébranler :
" Nul n'est mal long temps qu'à sa faute."
Mais ce n'est pas cette mécanique stoïcienne qui vraiment nous intéresse.