Dans son excellent Épictète et la spiritualité stoïcienne (1964), Gabriel Germain écrit :
" Comme tous les être vivants, l'homme est animé par le pneuma divin. Mais il participe à la nature divine de plus près que n'importe lequel d'entre eux, parce que son âme n'est pas seulement un "pneuma" doué de chaleur, suivant une formule de Zénon (S.V.F., I, 135), une "exhalaison" (anathymiasis) (ib.,139,141) sèche et chaude qui s'élève du sang (donc une âme matérielle, mais, elle aussi, d'une matière subtile)." (Points-Sagesse, 2006, p.32-33)
Je retiens "âme matérielle" puis je lis la note correspondant à ces lignes :
" Si cette conception de l'âme a des attaches avec des idées médicales du temps, elle continue également des notions très archaïques : les âmes des morts, dans la nékya odysséenne, reprennent mémoire et conscience en buvant le sang d'une victime. Sang, souffle, chaleur, pensée, vie, sont étroitement liés aux premiers âges de la réflexion humaine." (ibid., p.166-167)
Je me dis alors : à la lumière des neuro-sciences, cet archaïsme-là n'est-il pas plus proche de la vérité que la modernité cartésienne et notre dualisme ordinaire ?
Commentaires
1°) Si la "vérité", sur ce sujet, se révèle à la "lumière" des neuro-sciences, alors le matérialisme ancien (Démocrite, Épicure, Lucrèce) n'en est-il pas tout aussi proche, sinon plus ? Et d'ailleurs, peut-on mesurer ce genre de distance ? Pour prétendre qu'une position théorique est "proche" de la vérité, il faut supposer celle-ci acquise et localisable.
2°) N'y a-t-il pas des dissensions philosophiques au sein des neurosciences, en dehors du fait qu'elles constituent un domaine pluridisciplinaire ?
3°) Le dualisme "ordinaire" est-il la même chose que la "modernité" cartésienne ? N'y a-t-il pas, de plus, une simplification rituelle de la pensée cartésienne sur ce point ? Denis Kambouchner rappelle utilement que ""l'esprit humain n'a pas besoin de corps pour penser" n'est pas un énoncé cartésien" (in Descartes n'a pas dit, Les belles lettres, 2015, p.89)
Sur le point n° 2: si l'on prend le cas de John Eccles (tant pis pour l'inactualité de l'exemple) il me semble qu'on ne peut rendre compte de ses travaux en disant qu'il « philosophe sur l'esprit à partir des neurosciences » ou, du moins, cela demande quelques précisions. Il serait plus juste de dire qu'il tente de tirer d'arguments scientifiques (neurobiologiques) le moyen d'étayer la thèse d'une action spécifique de la conscience sur le cerveau, ce qui est typique d'une position dualiste (interactionniste) ouvertement anti-matérialiste. Il est difficile de dire si c'est cette position philosophique adoptée a priori qui guide ici l'argumentation scientifique (elle-même discutable quant à sa portée) ou bien, au contraire, si ce sont les travaux scientifiques qui ont déterminé l'adoption de cette perspective philosophique. Je serais enclin à croire que ce sont les positions philosophiques de l'auteur qui ont orienté la recherche et qu'il a tenté de leur donner une assise scientifique (cf. Evolution of the Brain, Creation of the Self : « I maintain that the human mystery is incredibly demeaned by scientific reductionism, with its claim in promissory materialism to account eventually for all of the spiritual world in terms of patterns of neuronal activity. This belief must be classed as a superstition. . . . we have to recognize that we are spiritual beings with souls existing in a spiritual world as well as material beings with bodies and brains existing in a material world. »)
On voit, par ailleurs, que le recours chez lui à la mécanique quantique – qui a été source de perplexité et de discussions sur son opportunité ou sa pertinence dans le domaine de la neurobiologie- est une stratégie pour plaider en faveur de l'indéterminisme et « sauver » la liberté au sens métaphysique du terme.
Dans ces conditions et lorsque des notions comme celles de « conscience », d' « événements mentaux », d' « esprit », etc., sont abordées, est-il si facile de différencier discussions scientifiques et dissensions philosophiques ? Mais, me direz-vous avec raison, la question se pose et s'est posée de la même manière dans des domaines étrangers à l' « esprit »...