vendredi 11 décembre 2015

Aller-retour Caverne-Soleil, une variante de l'allégorie platonicienne.

Dans ses remarquables Mémoires de Hongrie, Sándor Márai écrit à propos d'un voyage fait en hiver 1946 :
" Je me rendis d'abord à Rome, puis à Naples. Le soleil brillait sur le Pausilippe - son éclat devait m'accompagner pendant tout mon voyage et même plus tard, après mon retour en Hongrie. Ce fut le seul souvenir positif de mon expédition en Europe de l'Ouest, le seul qui m'incitât à y revenir. Plus tard, en quittant mon pays pour ne plus y retourner, ce fut à cet appel que j'obéis. J'allai directement au Pausilippe, pour plonger, tête la première, dans sa lumière, tel le suicidé qui, après une longue hésitation, se débarrasse de sa bouée et se jette dans le Niagara.
Dans la Lumière, la pure Lumière, oui - après cette obscurité démente, je retournai enfin à la Lumière, là ou il est impossible de tricher, où il est inutile de mentir, où tout, le vrai comme le faux, se manifeste dans une clarté aveuglante. Oui, j'affrontais la Lumière, qui avait jailli d'ici avant de se répandre à travers toute l'Europe obscure et sauvage. Et, fùt-ce une dizaine d'années plus tard, alors que je grelottais , sous les néons de la nuit new-yorkaise, j'évoquais toujours avec le même bonheur la lumière du Pausilippe.
Pourtant, si l'on peut se baigner dans la lumière, si l'on peut s'y plonger comme dans l'Océan, il est impossible d'y vivre, tant elle vous éblouit. Vivre - réfléchir, agir - n'est possible que dans la pénombre. Aussi, fermant les yeux, m'étirai-je une dernière fois au sommet de ces hauteurs du sud avant de prendre le train pour Paris.
À la frontière française, je faillis être arrêté. Le douaniers examina à la loupe chacun de mes pauvres effets : il me soupçonnait de vouloir introduire en contrebande...quoi, au juste ? Je l'ignore. Sans doute ce que rapportent, d'ordinaire, les contrebandiers qui viennent de la Lumière pour regagner l'Obscurité." (Le livre de poche, p.286-287)

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