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mardi 21 février 2012

Platon au secours des universités ! ou À bas la vie, vivent les Idées !

"Ce qu’on appelle à présent les universités sont devenues de vastes machins, gouvernés par des ignares, au service de l’ignorance sous couvert d’être démocratiques et de s’ouvrir à tout ce qui est « la vie ». Mais pour qu’il y ait philosophie, il faut se détacher de la vie, du temps présent, abstraire et contempler les Idées, comme disait l’autre " (Pascal Engel 2011)
Les lycées aussi s'ouvrent beaucoup trop à "la vie"...
Au lieu de contempler les Idées avec majuscule, les lycéens sont invités à échanger les leurs avec minuscule.

lundi 20 février 2012

Platon au fond de la caverne ou Les anciens et les modernes à l'opéra.

" Représentez-vous tous les sages à l'opéra, ces Pythagore, ces Platon, ces Aristote, et tous ces gens dont le nom fait aujourd'hui tant de bruits à nos oreilles ; supposons qu'ils voyaient le vol de Phaéton que les vents enlèvent, qu'ils ne pouvaient découvrir les cordes, et qu'ils ne savaient point comment le derrière du théâtre était disposé. L'un d'eux disait : " C'est une certaine vertu secrète qui enlève Phaéton". L'autre : " Phaéton est composé de certains nombres qui le font monter". L'autre : " Phaéton a une certaine amitié pour le haut du théâtre ; il n'est point à son aise quand il n'y est pas". L'autre : " Phaéton n'est pas fait pour voler, mais il aime mieux voler que de laisser le haut du théâtre vide" ; et cent autres rêveries que je m'étonne qui n'aient perdu de réputation toute l'antiquité. À la fin, Descartes et quelques autres modernes sont venus, et ils ont dit : " Phaéton monte, parce qu'il est tiré par des cordes, et qu'un poids plus pesant que lui descend". Ainsi on ne croit plus qu'un corps se remue, s'il n'est tiré ou plutôt poussé par un autre corps ; on ne croit plus qu'il monte ou descende, si ce n'est par l'effet d'un contrepoids ou d'un ressort ; et qui verrait la nature telle qu'elle est ne verrait que le derrière du théâtre de l'opéra." (Fontenelle, Entretiens sur la pluralité des mondes habités, Premier soir, 1686)

samedi 17 décembre 2011

Ce qu' était l'Académie platonicienne pour Lucien Jerphagnon.

" Un mixte d' École polytechnique, d' ENA et d' Opus Dei " (Histoire de la pensée d' Homère à Jeanne d' Arc, 2009, p.110).
Ce qui, réflexion faite, me paraît très généreux pour les trois institutions en question...

jeudi 17 novembre 2011

Platon, Brentano : fonder la politique sur la science ou de la distinction entre homme politique illustre et grand homme politique.

Platon a défendu que la bonne politique, celle qui organise une société comme elle doit l'être, c'est-à-dire conformément à la justice, n'est réalisable que si elle est l'application pratique d'une connaissance vraie. Cette connaissance a comme objets les Idées (ou Essences et Formes) et précisément celle de Justice. Ainsi une politique empirique est condamnée à l'échec car lui manque la connaissance du Modèle qu'il s'agit d'appliquer ici-bas. Or, Franz Brentano dans sa Psychologie du point de vue empirique(1874) garde au fond l'optique platonicienne, même si la science-socle n'est plus la connaissance vraie des Idées, mais la psychologie - qu'il espère bien pouvoir fonder (mais empiriquement) dans son ouvrage -. En somme, il soutient que la psychologie empirique est la seule science vraie évitant une politique empirique, entendons par là une politique qui tire des leçons des faits politiques et de l'histoire. La confiance de Brentano dans la psychologie place celle-ci au rang que Platon donnait à la philosophie (mot bien sûr qu'il ne faut pas entendre dans son sens actuel car celui-ci se réfère à quelque chose qui est plus de l'ordre du résidu laissé par le développement d'une multitude de sciences qu'à la recherche fondamentale et polyvalente qu'a été la philosophie conçue par Platon). Voici les lignes où Brentano se situe dans la tradition platonicienne (fonder la politique sur la science), sans le dire explicitement, même s'il mentionne latéralement Platon :
" Il appartient en outre à la psychologie de constituer le fondement scientifique d'une pédagogie de l'individu comme de la société. À côté de l'esthétique et de la logique, l'éthique et la politique poussent, elles aussi, sur le terrain de la psychologie. Elle apparaît donc comme la condition fondamentale du progrès de l'humanité sur le plan même de ce qui constitue son essentielle dignité. Si elle ne prend appui sur la psychologie, la sollicitude du père, aussi bien que celle du chef politique, ne sera jamais qu'un maladroit tâtonnement. Et c'est précisément parce qu'on n'a jamais encore sérieusement appliqué sur le plan politique les principes psychologiques ; disons plus, c'est parce que les conducteurs de peuples sont demeurés, à peu près sans exception, dans l'ignorance absolue de ces principes, qu'on pourrait accorder à Platon et à plus d'un penseur contemporain, que, quelque gloire qu'aient acquis certains chefs politiques, l'histoire n'a jamais encore connu un seul homme d' État véritablement grand. Avant l'application systématique de la physiologie à l'art médical, les illustres médecins n'ont pas manqué non plus, qui ont su inspirer la plus grande confiance et à qui l'on attribue des guérisons surprenantes. Mais pour qui est au courant de la médecine, il demeure indéniable qu'avant ces dernières dizaines d'années il n'y a pas un seul médecin véritablement grand. Tous étaient d'aveugles empiriques, plus ou moins habiles, plus ou moins favorisés par la chance. Mais ils n'étaient point, ils ne pouvaient pas être ce que doit être un médecin instruit et éclairé. Pour le moment il faut en dire autant de nos hommes d' État. Jusqu'à quel point ils ne sont eux-mêmes que de simples empiriques, on le constate chaque fois qu'un évènement extraordinaire modifie brusquement la situation politique, et plus nettement encore quand un de ces hommes est transplanté dans un pays étranger où les conditions sont différentes. Ne pouvant plus appliquer des maximes purement empiriques, il manifeste alors une complète impuissance, un total désarroi." (p.34-35, trad. Maurice de Gandillac, Vrin, 2007).
Manifestement la problématique machiavélienne n'a pas "pris" sur Franz Brentano, resté au fond très classiquement platonicien. Et que savait-il de Marx ?

lundi 14 novembre 2011

Faire de sa conscience sa Dulcinée : Leiris, Sénèque.


À la date du 4 Avril 1924 (dans quelques jours, il aura 23 ans), Michel Leiris écrit dans son Journal (Gallimard, 1992) :
" Extérioriser la conscience, en faire sa Dulcinée devant qui l'on ne veut pas déchoir.
Séparer le plus possible la Conscience et le Moi, - afin que le Moi tremble devant elle.
Certains amis sont comme des Consciences. Les imaginer toujours présents."
Sans le savoir ou en le sachant, l'écrivain fait une variation sur une idée formulée originairement par Épicure, interprétée par Sénèque et donnée par lui comme règle à Lucilius dans la lettre 24 :
" Fais tout comme si Épicure te regardait." Sans aucun doute il est utile de s'imposer un gardien et d'avoir quelqu'un vers lequel tourner ses regards et qui, pense-t-on, prend part à ses réflexions. Et il y a certes beaucoup plus de noblesse à vivre comme sous les yeux d'un homme de bien toujours présent, mais je me contente de ceci : fais tout ce que tu fais comme si quelqu'un te regardait. C'est la solitude qui nous conseille tous les maux que nous commettons. Et quand tu auras progressé au point d'avoir du respect pour toi aussi, tu pourras laisser partir le pédagogue. En attendant, fais-toi garder sous l'autorité d'hommes, que ce soit Caton ou Scipion ou Lélius, ou quelque autre encore, dont l'intervention pourrait faire disparaître les vices - même chez des hommes totalement perdus -, et agis ainsi pendant tout le temps que tu te façonnes pour être l'homme avec lequel tu n'oserais pas commettre de fautes." (trad. Clara Auvray-Assayas, La Pléiade, 2010)
Certes le texte de Sénèque ne mentionne que la force sur moi (sic) de l'ami, du maître ou de l'homme de bien. Rien donc qui évoque l'amour et l'assujettissement vertueux dont il peut être la raison. Mais dans Le Banquet, Platon avait donné une telle fonction au lien amoureux dans le discours tenu par Phèdre :
" Tout homme, qui est amoureux, s'il est surpris à commettre une action honteuse ou s'il subit un traitement honteux sans, par lâcheté, réagir, souffrira moins d'avoir été vu par son père, par ses amis ou par quelqu'un d'autre que par son aimé. Et il en va de même pour l'aimé : c'est devant ses amants qu'il éprouve le plus de honte, quand il est surpris à faire quelque chose de honteux. S'il pouvait y avoir moyen de constituer une cité ou de former une armée avec des amants et leurs aimés, il ne pourrait y avoir pour eux de meilleure organisation que le rejet de tout ce qui est laid, et l'émulation dans la recherche de l'honneur. Et si des hommes comme ceux-là combattaient coude à coude, si peu nombreux fussent-ils, ils pourraient vaincre l'humanité en son entier pour ainsi dire. Car, pour un amant, il serait plus intolérable d'être vu par son aimé en train de quitter son rang ou de jeter ses armes que de l'être par le reste de la troupe, et il préférerait mourir plusieurs fois plutôt que de faire cela. Et quant à abandonner son aimé sur le champ de bataille ou à ne pas lui porter secours quand il est en danger, nul n'est lâche au point qu' Éros lui-même ne parvienne pas à lui inspirer une divine vaillance au point de le rendre aussi vaillant que celui qui l'est par nature. Il ne fait aucun doute que ce que Homère a évoqué en parlant de "la fougue qu'insuffle à certains héros la divinité", c'est ce qu'Éros accorde aux amants, ce qui vient de lui." (éd. Brisson, p.112)
On aura noté que le regard de l'aimé ou celui de l'amant moralise même mieux le sujet regardé que celui de l'ami ou d'un parent vertueux.
Finissons : ainsi les conseils que Leiris s'adresse à lui-même forment-ils une synthèse un peu bancale d'idées fort anciennes.

mercredi 28 septembre 2011

L'intentionnalité du mental.

Critias soutient la thèse que la sagesse est la seule de toutes les sciences qui soit à la fois science d'elle-même et des autres sciences (tiens, on reconnaît une définition encore donnée aujourd'hui de la philo) :
" Socrate : Considère (...) si à ton avis il existe une vision qui n'est pas vision des objets sur lesquels portent les autres visions, mais qui est vision d'elle-même et des autres visions, de même que des non-visions ; bien qu'elle soit une vision, elle ne voit aucune couleur, mais elle se perçoit elle-même et les autres visions. À ton avis, est-ce qu'une telle vision existe ?
Critias : Par Zeus, je ne le crois pas.
Socrate : Et qu'en est-il d'une audition qui n'entend aucun son, mais qui entend elle-même et les autres auditions, de même que les non-auditions ?
Critias : Cela n'existe pas non plus.
Socrate : Bref, examine toutes les sensations pour déterminer si, à ton avis, il y en a une qui soit sensation des sensations et d'elle-même, mais qui ne perçoive rien de ce que perçoivent les autres sensations.
Critias : À mon avis il n'y en a pas.
Socrate : Et as-tu l'impression qu'il existe un désir qui ne soit désir d'aucun plaisir mais qui soit désir de lui-même et des autres désirs ?
Critias : Non, assurément.
Socrate : Et as-tu l'impression qu'il existe un désir qui ne soit désir d'aucun plaisir, mais qui soit désir de lui-même et des autres désirs ?
Critias : Non, assurément.
Socrate : Il n'y a a pas non plus de volonté, que je sache, qui ne veuille aucun bien, mais qui se veuille elle-même et les autres volontés.
Critias : Non, en effet.
Socrate : Et dirais-tu qu'il existe une espèce d'amour qui n'aime rien de beau, mais qui est amour de lui-même et des autres amours ?
Critias : Non.
Socrate : As-tu déjà pensé à une peur qui a peur d'elle-même et des autres peurs, mais qui n'a peur d'aucune des choses redoutables ?
Critias : Je n'y jamais pensé.
Socrate : Et à une opinion qui soit opinion des opinions et d'elle-même, mais qui n'opine sur aucun des objets des autres opinions ?
Critias : Jamais." ( Charmide 167d-168a)
Plus je lis Platon, plus j'ai l'impression que c'est le premier philosophe ... analytique.

lundi 12 septembre 2011

Stésilas, notre frère ? L'opposé du philosophe illustre, en tout cas.

Tout lecteur de Diogène Laërce sait que les anecdotes compilées dans les Vies et doctrines des philosophes illustres ont très souvent comme fonction d'exemplifier une propriété philosophique du philosophe qui en est le personnage central : ainsi les anecdotes mettant en scène Antisthène exemplifient-elle l'insolence typique du philosophe cynique.
Ce qui revient à dire que les philosophes en question savent toujours ajuster le monde à leur esprit, capables qu'ils sont de toujours pouvoir convertir n'importe quel évènement, même le moins attendu, en action philosophique tournant à leur profit au sens où, aussi défavorable que soit le matériau, le philosophe laërtien est en mesure de lui donner la forme de ses idées.
Pour mieux faire saisir la spécificité du philosophe laërtien (qu' il soit stoïcien, épicurien, cynique etc.), on peut le comparer par contraste à un personnage peu connu de la philosophie platonicienne, je veux dire Stésilas. Certes il ne parle dans aucun dialogue de Platon mais il est mentionné dès la première phrase d'un de ses dialogues de jeunesse, le Lachès.
" Lysimaque : Nicias et Lachès, vous avez vu cet homme combattre en armes " (178 a, traduction Louis-André Dorion)
Stésilas, maître d'armes, a donné une démonstration d'escrime (plus savamment d' hoplomachie) et se trouve ainsi instrumentalisé au service d'une réflexion pédagogique entamée par deux pères soucieux de bien éduquer leur fils et donc désireux de clarifier le problème : l'apprentissage de l'escrime contribue-t-il à une bonne éducation ?
Les deux spécialistes interrogés, respectivement Nicias (qui est pour) et Lachès (qui est contre) vont bien, mais sans le vouloir, les embarrasser.
Plus précisément, Lachès, défendant entre autres l'idée qu' " aucun de ceux qui se sont exercés au maniement des armes n'est jamais devenu un homme réputé à la guerre" (183 c), l'appuie par l'exemple de Stésilas développé au point qu'il constitue presque le tiers de son plaidoyer :
" Ce Stésilas, que vous avez vu avec moi donner une représentation devant une foule nombreuse, et qui parlait de lui-même en mégalomane, moi je l'ai vu ailleurs, dans la réalité, faire malgré lui une démonstration vraiment plus belle. En effet après que le vaisseau sur lequel il servait comme soldat de marine eut abordé un navire de transport, il se battit avec une lance-faux, arme peu commune pour l'homme hors du commun qu'il est. Les autres faits de cet homme ne méritent pas d'être racontés, mais je dirai ce qui advint de son invention : cette faux montée sur une lance. Alors qu'il se battait, sa faux se prit de quelque façon dans les gréements du navire ennemi et y demeura fixée. Stésilas tirait donc sur sa lance, voulant la dégager ; mais il n'y parvenait pas, tandis que son navire passait le long de l'autre navire. Pendant ce temps, donc, il courait le long de son navire en demeurant accroché à sa lance. Mais comme l'autre bateau dépassait son navire et le tirait, lui qui s'accrochait à sa lance, il la laissa glisser dans sa main jusqu'à ce qu'il s'aggripât à l'extrémité du manche. Les hommes du navire de transport riaient et applaudissaient à sa vue, et lorsque, après que quelqu'un eut lancé une pierre à ses pieds, sur le pont de son navire, il lâcha la lance, alors même les hommes de la trière ne purent plus contenir leur rire, à la vue de cette faux montée sur une lance suspendue au navire de transport." (183d-184a)
Incapable d'avoir une pratique en harmonie avec la technique dont il dispose, si ce n'est dans le cadre d'exercices contrôlés par lui de A à Z, Stésilas incarne une forme de beau-parleur, pas la plus extrême (celle-ci ne fait que parler), mais une qui n'agit conformément à ce qu'on doit faire que dans un monde totalement lisse et à sa mesure, comme un stoïcien qui produirait en lui et à dessein une douleur dans le seul but de montrer qu'il est en mesure de la supporter (on pense à certains exercices de Sénèque s'infligeant un jeûne volontaire).
Dans le dialogue, mais plus discrètement, apparaît un autre type d'homme : il exemplifie réellement une valeur donnée mais il ne peut en aucune manière la décrire théoriquement. À ce type appartiennent Socrate mais aussi Lachès et Nicias. Chacun a fait ses preuves sur le terrain (ils ont été courageux) et les deux autres le savent. Mais les trois sont incapables d'avoir une connaissance, de dire quelque chose de vrai sur ce qu'ils sont en mesure les uns et les autres de montrer. Ainsi malgré la vulgate, dans ce dialogue, Socrate ne s'oppose pas autant qu'on a l'habitude de le souligner aux hommes qu'il interroge. Les trois ont une pratique éthique, ils savent régler les problèmes pratiques de la guerre selon les normes du Bien, mais le problème théorique de ce que sont les valeurs qu'ils montrent est encore pour eux insoluble.

vendredi 8 avril 2011

Platon, Wittgenstein et le soleil.

Dans La République VII, Platon présente allégoriquement l'accès à la connaissance comme la sortie en dehors d'une caverne et, en ultime étape, la vue directe du soleil :
" - Alors, je pense que c'est seulement au terme de cela qu'il serait enfin capable de discerner le soleil, non pas dans ses manifestations sur les eaux ou dans un lieu qui lui est étranger, mais lui-même en lui-même, dans son espace propre, et de le contempler tel qu'il est ". (516b éd. Brisson)
" Ensuite, nous avons roulé jusqu'au sommet de la colline près de la bibliothèque et avons regardé la ville. La lune était dans le ciel. "Si j'avais dessiné les plans, je n'aurais jamais fait le soleil. Regardez ! Comme c'est beau ! Le soleil est trop brillant et trop chaud." Il a dit, peu après . " Et s'il n'y avait que la lune, il n'y aurait ni lecture, ni écriture." (Bouwsma Conversations avec Wittgenstein, 5 août 1949)

Commentaires

1. Le mardi 12 avril 2011, 11:35 par Juan Antonio
Novalis a dit:
Welcher Lebendige,
Sinnbegabte,
Liebt nicht vor allen
Wunderescheinungen
Des verbreiteten Raums um ihn
Das allerfreuliche Licht -
[...]
Abwärts wend ich mich
Zu der heiligen, unaussprechlichen
Geheimnissvollen Nacht -
(Novalis <i>Himnen an die Nacht, I</i>)
L'époque moderne n' est pas l'époque des lumières, mais du deus absconditus.
2. Le mardi 12 avril 2011, 14:27 par Philalèthe
Merci beaucoup Juan Antonio pour ce post.
Aucune des sources que je connaisse ne mentionne le fait que Wittgenstein ait lu Novalis.
Je n'ai pas les moyens de commenter adéquatement ces vers, mais de manière très libre et donc bien risquée, je dirais que Wittgenstein aurait aussi préféré la lumière réjouissante de l'espace autour de lui aux miracles. Vers 1944, il écrit :

" Un miracle est pour ainsi dire un geste de Dieu. Comme un homme tranquillement assis fait tout à coup un geste spectaculaire, Dieu laisse le monde suivre paisiblement son train, et tout à coup accompagne les paroles d'un saint d'un geste symbolique, un geste de la nature. Un exemple en serait qu'après qu'un saint a parlé, les arbres autour de lui s'inclinent, comme par révérence. Cela dit, est-ce que je crois qu'une telle chose se produise ? Non.
La seule chose qui me ferait croire au miracle ainsi compris serait que je sois impressionné par un événement qui se produirait de cette façon particulière. En sorte que je dirais, par exemple : "Il 'etait impossible de voir ces arbres sans avoir le sentiment qu’ils répondaient aux paroles de ce saint.” Tout à fait comme je dirais : «  Il est impossible de voir la face de ce chien sans voir aussi qu’il est en alerte et qu’il suit attentivement tout ce que fait son maître. » Et j’imagine aisément que le simple récit des paroles et de la vie d’un saint puisse mener quelqu’un à croire également l’histoire des arbres qui s’inclinent. Mais je ne suis pas impressionnable de cette façon. »
Mais pour voir dans le monde qui nous entoure une lumière réjouissante, ne faut-il pas déjà croire en Dieu. Comme le suggèrent ces lignes de Bouwsma en accord, je crois, avec la pensée de Wittgenstein sur ce point :
«  Quelle différence y a-t-il dans les sentiments et l’attitude à l’égard du monde de l’athée et du croyant ? Je reprends ici un passage de John Wisdom. L’atmosphère ! L’espoir ! La promesse ! Davantage ! La gloire ! Et maintenant, tout est donné, vous voyez ce qu’il y a, c’est tout, rien de merveilleux, rien de terrible ! Pas fameux. » ( 20 Août 1949)
3. Le mardi 12 avril 2011, 19:34 par Juan Antonio
Merci beaucoup pour votre réponse. C'est très éclaircissant.

samedi 11 décembre 2010

Une autre caverne diderotienne : la métaphore de l'intériorité.

" Voulez-vous savoir l'histoire abrégée de presque toute notre misère ? La voici. Il existait un homme naturel : on a introduit au dedans de cet homme un homme artificiel ; et il s'est élevé dans la caverne une guerre continuelle qui dure toute la vie. Tantôt l'homme naturel est le plus fort ; tantôt il est terrassé par l'homme moral et artificiel ; et, dans l'un et l'autre cas, le triste monstre est tiraillé, tenaillé, tourmenté, étendu sur la roue ; sans cesse gémissant, sans cesse malheureux, soit qu'un faux l'enthousiasme de gloire le transporte et l'enivre, ou qu'une fausse ignorance le courbe et l'abatte. Cependant il est des circonstances extrêmes qui ramènent l'homme à sa première simplicité " (Supplément au voyage de Bougainville, p.511, Oeuvres philosophiques, Classiques Garnier, 1972)
J'ose blasphémer et faire bondir, entre autres, les freudiens. Le maître a appelé l'homme naturel l'inconscient, l'homme artificiel, le surmoi, et a introduit un troisième combattant, le moi.

vendredi 10 décembre 2010

Roberto Saviano et la République de Platon

" Aujourd’hui dans ce pays, les gens se lancent en politique en déclarant : «Je descends sur le terrain», reprenant à leur compte l’expression que Berlusconi avait employée quand il a commencé à faire de la politique en 1994. Tous utilisent cette expression footballistique détestable qui signifie que l’électeur est un supporteur, un tifoso qui ne participe pas à la vie politique. Il est avec un camp ou l’autre. Dans l’Italie d’aujourd’hui, personne ne décide de faire de la politique s’il n’a pas quelque chose à gagner. Je ne dis pas que le politique doit être une figure mystique, qui ne doit rien gagner, comme s’il sortait tout droit de «la République» de Platon (c'est moi qui souligne). L’ambition, la volonté de gagner, d’avoir des responsabilités sont évidemment nécessaires. Mais l’ambition doit servir à faire des choses justes, à être un bon ministre de l’Intérieur, un dirigeant de parti, un député, etc." in Libération Mag du 11/12/10

lundi 6 décembre 2010

La caverne diderotienne ou l'invention de Dieu par l'homme du ressentiment.

Dans l' allégorie platonicienne de la caverne, le lieu de l'erreur est précisément la caverne. Si la sortie en plein jour coûte au prisonnier, ce dernier est néanmoins certain de découvrir dans le monde extérieur le lieu exclusif de la vérité. Entre les deux univers, c'est le jour et la nuit. Certes il y a bien quelque chose du monde à l'air libre dans le monde sous terre : en effet chaque ombre vue par les prisonniers est l'ombre d'une chose souterraine qui ressemble à une chose extérieure. Mais il n'y a rien du monde souterrain dans le monde d'en haut - le prisonnier passe de l'un à l'autre sans en exporter quoi que ce soit, même pas ses erreurs.
Or, Diderot a imaginé une caverne qui est encore le lieu de la production du faux mais d'un faux qui, diffusé à l'air libre, conquiert le monde extérieur. Ce texte curieux est une de ses Pensées philosophiques. Le voici :
" Un homme avait été trahi par ses enfants, par sa femme et par ses amis ; des associés infidèles avaient renversé sa fortune et l'avaient plongé dans la misère. Pénétré d'une haine et d'un mépris profond pour l'espèce humaine, il quitta la société et se réfugia seul dans une caverne (par rapport à Platon, il y a ici une exacte inversion : une personne dans la caverne, la société au dehors). Là, les poings appuyés sur les yeux, et méditant une vengeance proportionnée à son ressentiment (chez Platon, le dispositif à produire des illusions est installé dans la caverne, ici il est pensé à l'intérieur et réalisé à l'extérieur), il disait : " Les pervers ! Que ferais-je pour les punir de leurs injustice, et les rendre tous aussi malheureux qu'ils le méritent ? Ah ! S'il était possible d'imaginer ... de les entêter d'une grande chimère à laquelle ils missent plus d'importance qu'à leur vie, et sur laquelle ils ne pussent jamais s'entendre !..." À l'instant il s'élance de la caverne en criant : " Dieu ! Dieu !..." Des échos sans nombre répètent autour de lui : " Dieu ! Dieu ! " Ce nom redoutable est porté d'un pôle à l'autre et partout écouté avec étonnement. D'abord les hommes se prosternent, ensuite ils se relèvent, s'interrogent, disputent, s'aigrissent, s'anathématisent, se haïssent, s'entr'égorgent, et le souhait fatal du misanthrope est accompli. Car telle a été dans le temps passé, et telle sera dans le temps à venir, l'histoire d'un être toujours également important et incompréhensible " (Addition aux pensées philosophiques, p. 72, Oeuvres philosophiques, Garnier, 1964)
Avant Nietzsche (Généalogie de la morale I 14), Diderot avait donc renversé ironiquement le dispositif platonicien.

vendredi 9 juillet 2010

Bourdieu, Thalès et la servante ou d'une certaine ignorance double du sage.

J'ai consacré déjà plusieurs billets au couple formé par Thalès et sa servante, le premier d'entre eux se trouvant ici. Pour rafraîchir la mémoire, voici le récit qu'en fait Platon dans le Théétète :
" Thalès (...) occupé à mesurer le cours des astres (...) et regardant en l'air, était tombé dans un puits, une servante thrace fit cette plaisanterie, parfaitement dans la note et bien tournée : que dans son ardeur à savoir ce qu'il y a dans le ciel, il ignorait ce qu'il avait devant lui, même à ses pieds. Et la même plaisanterie continue d'être bonne, pour tous ceux qui passent leur vie dans la quête du savoir." (174 a-b trad. Brisson 2008)
Comme on le voit, déjà chez Platon, le personnage représente un type d'homme, à savoir le type philosophique. Pierre Bourdieu, lui aussi, l'a transformé en nom commun en l'identifiant à la disposition scolastique, qui "incite à entrer dans le monde ludique de la conjecture théorique et de l'expérimentation mentale, à poser des problèmes pour le plaisir de les résoudre, et non parce qu' ils se posent, sous la pression de l'urgence, ou à traiter le langage non comme un instrument, mais comme un objet de contemplation, de délectation, de recherche formelle ou d'analyse" (p.24). Voici le passage :
" La disposition "libre" et "pure" que favorise la skholè implique l'ignorance (active ou passive) non seulement de ce qui se passe dans le monde de la pratique (et que met en lumière l'anecdote de Thalès et de la servante Thrace), et, plus précisément, dans l'ordre de la polis et de la politique, mais aussi de ce que c'est que d'exister, tout simplement, dans le monde. Elle implique aussi et surtout l'ignorance, plus ou moins triomphante, de cette ignorance et des conditions économiques et sociales qui la rendent possible." ( Méditations pascaliennes p.26-27)
On dira que l'opposition théorie / pratique illustrée par une opposition homme / femme ou philosophe / servante a quelque chose du cliché. Peut-être mais c'est à contrebalancer avec le fait qu'ici la femme est du côté de la polis et des affaires de la cité. La servante a beau travailler au foyer, elle symbolise l'intérêt pour le monde extérieur des affaires généralement aux hommes.
Certes cette référence à Thalès est vraiment tout à fait secondaire ; je note d'ailleurs avec amusement que le nom du sage ne se trouve pas dans l'index nominum de l'ouvrage de Pierre Bourdieu. S'il s'y était trouvé, la servante sans nom en aurait été de toute façon absente et fort injustement. Sauf à me tromper, aucun des index des oeuvres de Bourdieu ne mentionne le philosophe au regard levé vers le ciel !

lundi 5 juillet 2010

Une variante de l'allégorie de la Caverne ?

Dans son Journal, à la date du 25 Juillet 1889, Jules Renard note son projet d' "écrire une série de pensées, de notes, de réflexions à l'usage de Pierre", son très jeune fils. Voici après les passages consacrés à l' amour, la littérature, la musique, la peinture, la famille, la morale, la politique, l'ultime centré sur la philosophie :
" La philosophie : fais de la philosophie. Quelle expression ! Ce n'est pas moi qui l'ai inventée. Sois mesuré, toutefois. Un amateur a risqué plusieurs ascensions en ballon. Il a vu un monde inconnu sous une perspective nouvelle. Il a ressenti une grande joie, éprouvé une grande émotion. Le ballon redescend. Il saute de la nacelle et s'en va, laissant derrière lui le ballon un peu dégonflé. Il ne se fait pas aréonaute." (p.25 Gallimard 1935)

dimanche 4 juillet 2010

L'aveuglement philosophique.

On peut lire comme une variante de l'allégorie de la caverne l'anecdote suivante, rapportée par D.Z. Phillipps :
" One philosopher who went blind in old age denied that what had happened to him was a bad thing when others sympathised with him. He said that he had suffered from a lack of concentration, not giving himself sufficiently to the task at hand in his work. Now, in his blindness, he found he was able to do so." (Introducing philosophy. The challenge of scepticism . Blackwell 1996 p.102-103)
Ne surtout pas en conclure que D.Z. Phillips est néo-platonicien !
Discutant l'éthique des vertus, il cherche dans le passage en question à mettre en évidence qu'il est difficile de défendre que l'intégrité corporelle est un bien humain absolu.

dimanche 7 février 2010

De deux immobilités (Socrate / Platon)

La première est la plus connue, elle caractérise Socrate se rendant avec Aristodème au souper offert par Agathon (source : Le Banquet de Platon). Ce n'est pas une immobilité subite, un ralentissement l'annonce:
" Chemin faisant, Socrate, l'esprit en quelque sorte concentré en lui-même, avançait en se laissant distancer." (174 d éd. Brisson)
Elle est liée essentiellement sinon à la solitude, du moins à l'isolement :
" Comme je l'attendais, il me recommanda de continuer à avancer." (ibid.)
Elle casse les règles du jeu social et gêne, par là même, qui a l'intention de continuer le jeu :
" Agathon : Mais, Socrate, comment se fait-il que tu ne nous l'amènes pas ?
Aristodème : Je me retourne (...) et je constate qu'effectivement Socrate ne m'a pas suivi. J'expliquai donc que c'était bien avec Socrate que j'étais venu, et que c'était lui qui m'avait invité à venir souper." (174 e)
Elle dure, Socrate devenant une statue pensante et asociale ; Agathon, qui a envoyé un esclave le chercher, entend de la bouche de ce dernier :
" Votre Socrate s'est retiré sous le porche de la maison des voisins, et il s'y tient debout ; j'ai beau l'appeler, il ne veut pas venir." (175 a)
L'hôte ne lui trouve aucune bonne raison et est disposé à utiliser la contrainte pour faire respecter les règles transgressées :
" Quel comportement étrange, s'écria Agathon. Va lui dire de venir, et ne le lâche pas d'une semelle." (ibid.)
Aristodème, le disciple, "un des fanatiques de l'entourage" comme dit Léon Robin (La Pléiade note 4 p.1349), explique sans pour autant justifier (il donne à cette immobilité une cause, l'habitude, mais pas de sens) :
" N'en faites rien (...), laissez-le plutôt. C'est une habitude qu'il a. Parfois il se met à l'écart n'importe où, et il reste là debout. Il viendra tout à l'heure, je pense. Ne le dérangez pas, laissez-le en paix." (175 b)
C'est donc une immobilité régulière, du coup prévisible mais néanmoins énigmatique.
Elle reste difficile à supporter pour les partenaires de jeu :
" Aristodème : Là-dessus (...) nous nous mettons à souper, mais Socrate n'arrivait pas. Aussi Agathon demanda-t-il à maintes reprises qu'on allât le chercher. , mais je m'interposai. " (175 c)
Longue, quand elle prend fin, elle n'est pourtant pas justifiée par l'intéressé mais c'est l'hôte qui en donne désormais une interprétation généreuse :
" Aristodème : Enfin, Socrate arriva sans s'être attardé aussi longtemps qu'à l'ordinaire ; en fait, les convives en étaient à peu près au milieu de leur souper.
Agathon : (...) Viens, ici, Socrate, t'installer près de moi, pour que à ton contact, je profite moi aussi du savoir qui t'est venu alors que tu te trouvais dans le vestibule. Car il est évident que tu l'as trouvé et que tu le tiens, ce savoir ; en effet, tu ne serais pas venu avant." (175 d)
Socrate n' infirmera ni ne confirmera ce dire, précisant seulement que le savoir ne se transmet pas par contact.
Passons à la seconde immobilité, celle du plus connu des disciples de Socrate, Platon. Je l'aborde à travers la référence qu'y fait Sénèque dans le De ira :
" Platon, irrité contre son esclave, ne put se donner du temps, mais il lui ordonna d'enlever tout de suite sa tunique et de tendre les épaules aux coups, afin de frapper de sa propre main ; comprenant qu'il était irrité, il garda sa main en l'air comme il l'avait et resta dans l'attitude d'un homme qui va frapper ; un ami qui survint justement lui demanda ce qu'il faisait : " Je punis, répondit-il, un homme en colère". Comme figé sur place, il conservait le geste, déshonorant pour un sage, de l'homme qui va sévir, et déjà il avait oublié l'esclave, ayant trouvé mieux à châtier." (III XII 5 ed.Veyne p.162).
La différence entre les deux immobilités est nette : certes les deux exemplifient la maîtrise de l'esprit sur le corps. Mais le corps socratique est un, dominé totalement par l'esprit qui le met au repos, alors que le corps platonicien est deux ; en effet il se divise en corps emporté par la passion et corps dominé par la raison ; la division ne passe pas au sein du corps mais entre deux états d'un processus : le mouvement colérique dynamique et ce même mouvement statique, statufié. C'est une immobilisation spectaculaire, soudaine et offerte au public, comme indice et de l'absence première de maîtrise et de la maîtrise, seconde, de cette même absence de maîtrise. Loin d'être une position méditative, elle est moindre mal et effet d'une capture : Platon se prend lui-même en flagrant délit et tel un agent de l'ordre moral, immobilise le malfaisant et l'expose à la réprobation publique.
Cependant, pareille en cela à la première, celle de Socrate, l'immobilité décrite par Sénèque court-circuite la vie ordinaire et les échanges quotidiens : comme son maître qui ne se rend pas où on l'attend, Platon ne fait pas ce qu'on attend d'un maître : châtier son esclave si besoin est. C'est le maître d'esclaves maîtrisé par le philosophe maître de soi.
Sa finalité est ne pas se répéter car les immobilisations successives, à la différence des immobilités régulières, illustreraient l' échec constant et visible de la raison.

Commentaires

1. Le vendredi 12 février 2010, 10:52 par JohnDoe
Beau tableau et belle métaphore aussi de la différence entre la pratique philosophique et (disons) la leçon de philosophie.
2. Le samedi 13 février 2010, 18:29 par Philalèthe
Votre distinction est intéressante mais on peut voir la pratique (socratique) comme une leçon et la leçon que Platon donne à lui et aux autres comme une pratique en train de se fixer.
3. Le dimanche 14 février 2010, 15:16 par JohnDoe
J'ai du mal à voir cela.
De plus en plus je me demande si la pratique philosophique en fait ne serait pas le début et la fin de la philosophie. Et s'il ne faut pas pour cela revenir à Socrate plutôt qu'à Platon, comme emblème du saisissement de la pensée.
Ce n'est pas tout à fait, je reconnais, ce que vous vouliez donner à penser en parlant du corps socratique et du corps platonicien en ces termes :
" Mais le corps socratique est un, dominé totalement par l'esprit qui le met au repos, alors que le corps platonicien est deux ; en effet il se divise en corps emporté par la passion et corps dominé par la raison."
Je ne peux m'empêcher de penser qu'il y une théâtralité chez Platon qu'il n'y a pas chez Socrate. Ne suffit-il pas à Platon de reconnaître qu'il est sous l'emprise de la colère plutôt que de donner en spectacle une division ? Une division d'ailleurs toute aristocratique. On comprend à partir de là pourquoi Platon invente la maîtrise et le philosophe roi. Il me semble que Socrate est plus démocratique et au centre de la cité.
Enfin, ce n'est pas un argument mais je ne peux manquer d'y penser non plus : lorsque dans le Phédon est faite la liste des amis présents aux derniers instants de Socrate, Platon fait dire de lui :
"Platon, je crois, était malade".
De quoi Platon pouvait-il bien être malade et pourquoi tient-il (si ces mots sont de lui, ce qui je crois n'est pas contesté) à marquer ainsi son absence ? C'est une question, que je suis sûr n'être pas le premier à me poser...
4. Le dimanche 14 février 2010, 16:09 par philalèthe
En vous lisant, plusieurs idées me viennent à l'esprit :
1) "je me demande si la pratique philosophique en fait ne serait pas le début et la fin de la philosophie" écrivez-vous.
Annulez-vous alors la valeur de la théorie ? Cela ne revient-il pas à transformer la philosophie en pratique empirique ? Or, dans la philosophie antique, la théorie est défendue comme ayant une fonction pratique. Chez Épicure, on trouve sa réduction à cette fonction pratique mais ce n'est pas le cas dans la philosophie d'Aristote où la connaissance a une valeur en soi indépendante de sa finalité pratique.
2) Qu'appelez-vous le saisissement de la pensée ?
3) Le Socrate auquel on se rapporte étant connaissable à partir de l' oeuvre de Platon (ou à partir de celle de Xénophon) , la comparaison entre les deux est donc difficile à bâtir. Les témoignages dont on dispose sur Platon sont souvent ceux d'ennemis (par exemple ceux d'Antisthène rapporté par Diogène Laërce ou plus généralement les sources tendant à faire de Platon un auteur ayant plagié Épicharme - cf encore sur ce point DL). Dans mon post, je ne voulais rien faire de plus que mobiliser un Platon connaissable à partir d'un texte de Sénèque - ce dernier ne l'a bien sûr pas inventé mais je n'ai pas cherché sa source ; je ne sais pas si on n'a pas déjà attribué une telle figure à un philosophe antérieur - à un Socrate connaissable à partir de Platon ! Dans ces limites-là, j'hésite à parler dans l'absolu de la théâtralité de Platon (en revanche celle des Cyniques n'est pas douteuse).
4) Concernant l'absence de Platon dans le Phédon, on peut donner une explication (trop ?) simple : Platon était bel et bien malade ! Le grand Léon Robin défend cette position dans une note (" Il n'y a pas de bonnes raisons pour supposer à l'absence de Platon un autre motif" La Pléiade p.1369). J'ajoute l'interprétation suivante : en mettant en évidence sa propre absence, Platon illustrerait la thèse défendue dans le Phédon, que le corps est le tombeau de l'âme et qu'il est un obstacle aux activités les plus hautes.
5. Le lundi 15 février 2010, 12:49 par gus
(je n’ai une connaissance de la philo antique que très superficielle, excusez-moi si je dis des conneries, et reprenez-moi…).
J’ai une intuition proche de celle de John Doe sur la pratique philosophique comme alpha et omega d’elle-même chez Socrate. Philathète, vous invoquez Aristote qui a écrit que la connaissance a une valeur en soi. Mais Socrate n’a pas écrit. Son enseignement philosophique était en acte, à mon sens celui d’une démarche, d’une manière de vivre. N’est-ce pas une manière de signifier que la philo n’est que praxis, une pratique alliant pensée et corps dans les actes, comme semble le suggérer cette scénette où son esprit et son corps sont unis dans la réflexion… ? Une philosophie qui serait dénaturée si on la sépare de la vie en la figeant en pure connaissance… ?
Sur la théatralité, ça me fait penser au livre de Nietzsche « de la naissance de la philo… » où il analyse que l’épopée homérique est platonicienne (thèse généalogique des idées au sens « anachronique » que lui donne Nietzsche). Selon lui, le drame est soutenu (ou s’appuie sur) par la philosophie platonicienne. Et cette scène d’autopunition est effectivement assez dramatique, un homme en prise avec ses propres tourments.
Cela me semble très différent de la mise en scène des cyniques, qui me parait plutôt être du genre de la comédie. P.ex., lorsque Diogène balance un poulet déplumé au cours de Platon pour ridiculiser sa définition de l’homme bipède.
Pour poursuivre la comparaison entre les deux immobilités. Celle de Platon montre effectivement une coupure entre sa passion et sa raison, celle-ci punissant la première. Et celle de Socrate au contraire une union entre les deux, sa passion de la raison l’amène à s’immobiliser dans une activité réflexive. Mais il me semble y avoir tout de même en creux une opposition dans la scène de Socrate, entre cette praxis philosophique et l’activité mondaine à laquelle il devait se rendre. Est-ce sur-interpréter que de voir là une dichotomie entre sagesse et mondanités ?

samedi 5 décembre 2009

L'allégorie de la caverne interprétée par Arthur Koestler ou de qui donc suis-je l'ombre ?

" Nous avions tous les deux la passion de l'eau. Nageant côte à côte dans la fraîcheur du petit matin, nous étions séparés et unis par quelques centimètres de liquide transparent, sans le contact physique direct que Maria redoutait et que je ne désirais pas. Les courses haletantes avaient elles aussi leur signification, comme les ombres qui s'agitent dans la grotte de Platon : les véritables personnages à l'extérieur de la grotte étaient peut-être une Maria de dix ans plus jeune, moi-même de dix ans plus âgé, et tous deux sains d'esprit. Puis, tandis que nous reposions côte à côte dans l'herbe à un mètre l'un de l'autre, il y avait ces éclairs sur un visage transfiguré, presque terrifiant dans sa beauté non réalisée - éclairs de l'être véritable qui passait vivement devant l'entrée de la grotte." (Hiéroglyphes p.352 Calmann-Lévy 1955)

Commentaires

1. Le lundi 22 février 2010, 19:32 par MPK
Koestler n'aurait-il pas une vision trop optimiste de l'allégorie de la caverne?
Il propose l'existance parallèle, contemporaine, de la personne enchaînée dans la grotte et d'un Alter Ego, libre, qui se promène à l'extérieur.
Il n'y a pas l'effort, la difficulté pour sortir de la caverne, pour assimiler le monde réel qu'était essentielle dans le texte de Platon...
Certes, dans le texte de Platon l'être enchaîné doit être libéré par quelqu'un d'autre, mais non par un "lui-même véritable". L'évolution du prisonnier repose justement sur son assimilation du monde réel qui part de son ignorance.
Si il est déjà dehors, pendant qu'il est dans la caverne, il n'est pas nécessaire de sortir et de subir un changement sur la conception du monde... il n'y a pas de raison ni de sens à le faire.
Dans ce cas précis Koestler défendrait-il que la possibilité d'atteindre la véritable essence pour chaque personne repose sur la contemplation et l'assimilation des maux qui la tiennent attachée dans la caverne?
Je cite: "éclairs de l'être véritable qui passait vivement devant l'entrée de la grotte".
Serait-ce finalement à cet être véritable de faire l'effort de regarder ce qui gît dans la grotte, et non à celui enchaîné de sortir contempler le réel?
2. Le lundi 22 février 2010, 21:22 par philalèthe
Je ne peux que vous donner raison ! L'interprétation de Platon que Koestler donne à travers ce texte n'est pas défendable en effet puisque dans l'allégorie en dehors de la caverne il n'y a strictement personne à l'exception du prisonnier libéré.
Comme vous le savez, c'est à l'intérieur de la caverne que les prisonniers voient leurs ombres en croyant qu'il s'agit d'eux-mêmes.
Comme je comprends ce passage, l'être véritable n'est que l'idée de soi et d'autrui qui est imaginée à partir de l'apparence qu'on perçoit actuellement de soi ou de l'autre. Il ne peut donc faire aucun effort. En revanche on peut se demander si chacun ne doit pas faire l'effort de ne pas imaginer cet être véritable par rapport auquel il se réduit à n'être qu'une ombre.
3. Le lundi 22 février 2010, 21:57 par MPK
C'est une bien intéressante interprétation!
Dans ce cas donc, "Maria" ne sortirait de la caverne qu'en oubliant son "visage transfiguré, presque terrifiant dans sa beauté non réalisée"... je me trompe?
4. Le lundi 22 février 2010, 22:18 par philalèthe
Non, vous ne vous trompez pas. Si sortir de la caverne, c'est avoir accès à la réalité et fuir l'apparence, il faut bien reconnaître que l'apparence est du côté du visage transfiguré, qui n'est que création de la mémoire ou de l'imagination.
5. Le lundi 22 février 2010, 22:28 par MPK
Je comprends mieux à présent. Merci!

dimanche 13 septembre 2009

" Que nul n'entre ici s'il n'est géomètre", voilà ce qu'on pouvait lire aussi à l'entrée du palais de Denys...

Dans Comment distinguer un flatteur d'un ami, Plutarque dénonce une des propriétés du flatteur: le mimétisme qui le pousse à singer sa cible pour ainsi satisfaire son amour-propre et donc mieux tirer profit d'elle. Pour illustrer un tel mimétisme, il a recours à l'anecdote suivante:
" Ainsi arriva-t-il, dit-on, dans Syracuse quand Platon vint y séjourner et que Denys se passionna d'un zèle furieux pour la philosophie. Le palais était plein de poussière, à l'usage des milliers d'amateurs qui ne cessaient d'y tracer des figures géométriques. Mais quand Platon eut été disgrâcié, quand des sommets de la philosophie le tyran fut retombé dans sa passion pour le vin, pour les femmes perdues, pour les propos frivoles, pour la débauche, soudain, comme à un mouvement de la baguette de Circé, ce fut une métamorphose générale; et l'ignorance, l'oubli, la sottise envahirent tout." (texte grec ici)
Pas un flatteur, des milliers.
Ce qui m'intéresse: la poussière laissée à dessein dans le palais pour que Denys ait plaisir à voir, animée par d'innombrables doigts, la démonstration de la légitimité de sa lubie (poussière ordonnée par lui-même ou par un flatteur ?)
Mais la condition de la poussière, je veux dire la négligence et l'absence de soin, dit la vérité sur ce soudain amour de l'ordre. Ce propre-là n'apparaît que sur fond de sale. Aussi a-t-on beau y faire de la géométrie, ce palais aux surfaces négligées a quelque chose de la caverne: adhésion passionnelle aux mathématiques, imitations multitudinaires et intéressées, répétitions sans progrès.

mardi 19 mai 2009

Platon vu par Pascal: un rapport avec un texte de Montaigne ?

On connaît peut-être ce passage de Pascal:
" On ne s'imagine Platon et Aristote qu'avec de grandes robes de pédants. C'étaient des gens honnêtes et comme les autres, riant avec leurs amis. Et quand ils se sont divertis à faire leur loi et leurs politiques, ils l'ont fait en se jouant. C'était la partie la moins philosophe et la moins sérieuse de leur vie; la plus philosophe était de vivre simplement et tranquillement. S'ils ont écrit de politique, c'était comme pour régler un hôpital de fous. Et s'ils ont fait semblant d'en parler comme d'une grande chose, c'est qu'ils savaient que les fous à qui ils parlaient pensent être rois et empereurs. Ils entrent dans leurs principes pour modérer leur folie au moins mal qu'il se peut." (472 Le Guern)
Le Guern rappelle que ce fragment fait partie de notes prises par Pascal à la lecture de la Lettre-Préface des Principes de philosophie de Descartes. Ce dernier écrit à leur propos:
" Les premiers et les principaux (philosophes) dont nous ayons les écrits sont Platon et Aristote, entre lesquels il n'y a eu autre différence sinon que le premier, suivant les traces de son maître Socrate, a ingénument confessé qu'il n'avait encore rien pu trouver de certain, et s'est contenté d'écrire les choses qui lui ont semblé être vraisemblables, imaginant à cet effet quelques principes par lesquels il tâchait de rendre raison des autres choses: au lieu qu'Aristote a eu moins de franchise; et bien qu'il eût été vingt ans son disciple, et qu'il n'eût point d'autres principes que les siens, il a entièrement changé la façon de les débiter, et les a proposés comme vrais et assurés, quoiqu'il n'y ait aucune apparence qu'il les ait jamais estimés tels. Or, ces deux hommes avaient beaucoup d'esprit et beaucoup de la sagesse qui s'acquiert par les quatre moyens précédents (Descartes les a énumérés: "les notions qui sont si claires d'elles-mêmes qu'on les peut acquérir sans méditation", "tout ce que l'expérience des sens fait connaître", "la conversation des autres hommes", "la lecture (...) (des livres) qui ont été écrits par des personnes capables de nous donner de bonnes instructions"), ce qui leur donnait beaucoup d'autorité." (La Pléiade p.560).
C'est étonnant comme le lien entre les deux textes est lâche. En revanche un passage de Montaigne tiré de l'Apologie de Raimond Sebond (Essais II XII) a une certaine ressemblance avec le passage de Pascal:
" (a 1580) Je ne me persuade pas aysement qu'Epicurus, Platon et Pythagoras nous ayent donné pour argent contant leurs Atomes, leurs Idées et leurs Nombres. Ils estoient trop sages pour establir leurs articles de foy de chose si incertaine et si debatable. Mais, en cette obscurité et ignorance du monde, chacun de ces grands personnages s'est travaillé d'apporter un telle quelle image de lumiere, et ont promené leur ame à des inventions qui eussent au moins une plainte et subtile apparence: (c 1595) pourveu que, toute fausse, elle se peust maintenir contre les oppositions contraires: "unicuique ista pro ingenio finguntur, non ex scientiae vi." (citation de Sénèque le Rhéteur traduite ainsi dans l'édition Rat: "ces systèmes sont des fictions du génie de chaque philosophe et non le résultat de leurs découvertes.").
Le passage qui suit évoque encore plus nettement Pascal car la référence à la politique y est désormais explicite:
" (...) Où il (Platon) escrit selon soy, il ne prescrit rien à certes. Quand il faict le legislateur, il emprunte un style regentant et asseverant, et si y mesle hardiment les plus fantastiques de ses inventions, autant utiles à persuader à la commune que ridicules à persuader à soy-mesmes, sachant combien nous sommes propres à recevoir toutes impressions, et, sur toutes, les plus farouches et enormes."
Pierre Villey voit une source de ce passage dans Laërce (III 80):
" 79 Dans ses dialogues, il concevait aussi la justice comme une loi divine, parce que c'était une incitation plus efficace à agir selon la justice pour ne pas être châtié, même après la mort, comme malfaiteur. 80 Voilà pourquoi il apparaît à certains trop friand de mythes. Il a introduit ce genre de récits dans ses oeuvres, pour retenir les hommes de commettre l'injustice, en leur rappelant que nous ne savons rien de précis sur ce qui advient après la mort." (Ed. Goulet-Cazé p.447)

dimanche 7 décembre 2008

En écho à l'usage que Sénèque fait du deuil animal dans les admonestations qu'il adresse à Marcia.

On se souvient que Sénèque se réfère au chagrin animal pour déterminer les limites normales du deuil humain. Or dans un passage des Lois de Platon, les animaux jouent déjà un rôle de modèle. Cependant ce n'est pas la douleur qu'ils doivent servir à réguler mais les plaisirs amoureux. C'est l'Etranger d'Athènes qui parle:
" J'affirme que notre loi se doit de poursuivre sans faillir dans cette voie, en proclamant que nos citoyens ne doivent pas être pires que les oiseaux et que beaucoup d'autres bêtes, qui, même si elles sont nées dans des groupes immenses, vivent, jusqu'à ce qu'elles soient en âge d'engendrer, dans la continence, pures de tout accouplement et chastes, mais qui, une fois qu'elles sont en âge de procréer, s'apparient selon leur goût, mâle à femelle, femelle à mâle, et vivent le reste du temps dans la piété et la justice, restant fermement fidèles à leurs premiers accords d'amitié. Dès lors il faut que nos citoyens soient meilleurs que les bêtes." (840 d ed. Brisson 2008 p. 886)
Foucault commente ainsi:
"Il faut bien voir que cette conjugalité animale n'est pas citée comme un principe de nature qui serait universel, mais plutôt comme un défi que les hommes devraient bien relever: comment le rappel d'une telle pratique n'inciterait-elle pas les humains raisonnables à se montrer "plus vertueux que les bêtes" ?" (L'usage des plaisirs p.187)

vendredi 31 août 2007

Protagoras à travers le " Protagoras " de Platon (1)

Le Protagoras de Platon commence de manière tout à fait conforme à ce qu'apprend le Banquet, soutenant en effet que le plus beau des corps vaut moins qu'une belle connaissance.
Cette thèse est mise en scène plaisamment de la manière suivante: Socrate rencontre un ami dont les premiers mots sont pour dire que c'est sans doute à la poursuite d'Alcibiade que Socrate vient de s'affairer (sur ce point, il y a, il est vrai, une différence notable avec le Banquet qui présente clairement Socrate comme le gibier, jamais capturé, d'Alcibiade et non, comme ici, l'inverse).
A première vue, Socrate confirme le stéréotype de son ami (" De vrai, c'est bien d'auprès de lui que j'arrive à l'instant" 309 b trad. Robin) mais déçoit tout de même son attente en ajoutant: " malgré sa présence, je ne faisais point attention à lui, souvent je l'oubliais !". En effet, bien qu'étranger, un homme a éclipsé le noble autochtone: il s'agit bien sûr de Protagoras que Socrate présente alors ironiquement comme le plus savant de ses contemporains. Reste que, si Protagoras n'a que le prestige immérité du savoir vrai, la thèse que Socrate introduit à l'occasion est, elle, vraiment platonicienne:
" Comment, bienheureux ami, le comble du savoir n'apparaîtrait-il pas d'une plus grande beauté !".
Socrate fait alors à son ami le récit de sa rencontre avec Protagoras. Elle est précédée de la venue dès l'aube au domicile de Socrate d'un certain Hippocrate. Ce jeune homme symbolise par sa précipitation matinale l'enthousiasme irrationnel que déclenche la venue à Athènes du sophiste. Socrate manifeste déjà son indépendance par rapport au fait en refusant d'être celui à qui on apprend la nouvelle:
" - Protagoras est ici ! s'écria-t-il en se mettant contre moi.
- Il y est depuis avant hier, repartis-je; ne fais-tu que l'apprendre ?
- De par les Dieux ! dit-il, d'hier soir ! " (310 ab)
Au fond ce n'est pas sûr que Socrate ait factuellement raison, Hippocrate affirmant un peu plus loin que c'est son frère qui tard déjà, la veille au soir, lui a appris la nouvelle de l'arrivée du sophiste mais il illustre tout de même bien ainsi la figure de celui " auquel on ne la fait pas ". Ne pas s'être dérangé alors que le grand homme est censé être là depuis déjà deux jours peut être ainsi lu comme la manifestation comportementale de la distance, de la distinction qui caractérise le philosophe authentique dans sa relation avec le sophiste.
Ce qui est confirmé par ce que Socrate répond quand Hippocrate lui propose d'aller surprendre Protagoras quasi au saut du lit:
" N'allons pas encore là-bas, mon bon ! répliquai-je, car il est de bien bonne heure. Levons-nous plutôt pour nous rendre dans la cour, et employons notre temps à y circuler jusqu'à ce qu'il y fasse jour; mettons-nous ensuite en route: Protagoras, vois- tu, passe à la maison la plus grande partie de son temps. Sois donc sans crainte: vraisemblablement nous le surprendrons à la maison ! " (311a)
On présente souvent les sophistes comme allant de ville en ville chercher leur clientèle, ces dernières lignes ne démentent pas l'idée mais laissent peut-être penser que dans leur nomadisme ils se fixent quand même pour un temps, comme si la maison était la métaphore de la fixité de leur savoir.
En tout cas le temps passé dans la cour n'est pas perdu car il permet à Socrate de percer à jour l'absence de fondement de l'enthousiasme hippocratique, ce que reconnaît le jeune homme, à l'instar de la plupart des victimes des enquêtes socratiques:
" - Visiblement tu n'as aucune connaissance sur la sorte de chose que peut bien être un sophiste !
- C'est probable, Socrate, dit-il après m'avoir écouté, probable d'après ce que tu dis ! " (313 c)
Socrate donne alors une définition du sophiste:
" (...) un homme qui fait commerce, en gros ou en détail, des marchandises desquelles une âme tire sa nourriture. "
Une fois les marchandises identifiées à des connaissances, Socrate établit la comparaison suivante: de même qu'un marchand de nourritures peut vendre des produits en fait nocifs pour le corps , de même un sophiste peut vendre des connaissances dommageables pour l'esprit. Dans les deux cas il convient de faire appel aux hommes éclairés (précisément les médecins quant au corps et les médecins quant à l'âme) pour savoir ce qu'il en est de la valeur des marchandises à acheter. Mais, comme Socrate veut convaincre Hippocrate du degré supérieur de nocivité que représente le sophiste, il ajoute:
" Les aliments, les boissons, quand on en a fait l'acquisition chez le détaillant ou chez le grossiste, il est possible de les emporter chez soi dans des récipients autres que notre corps, et, avant de leur donner accueil en celui-ci par le boire ou le manger, il est possible, une fois qu'on les a déposés dans le logis, de consulter l'expert que l'on aura appelé, pour savoir ce qu'il y a lieu, ou non, de manger ou de boire, et en quelle quantité, et en quel temps; aussi ne court-on pas grand risque à en faire acquisition ! Or, quand il s'agit de connaissances, il n'est pas possible de les emporter dans un récipient à part; mais forcément, une fois les honoraires versés, cette connaissance, on s'en va avec elle dans l'âme, imbu par elle, que ce soit pour notre dommage ou notre intérêt. !" (314 ab)
Platon soulève ici un problème intéressant qu'on peut formuler ainsi: peut-on apprendre quelque chose sans y croire ? La thèse platonicienne à ce propos semble être qu' apprendre implique croire (d'où la dangerosité de l'enseignement du faux). L'identification de la connaissance à un aliment est sur ce point totale: de même qu'ingérer un aliment modifie nécessairement le corps (dans le sens de la santé ou de la maladie), apprendre une connaissance modifie nécessairement l'esprit (dans le même sens).
Descartes a formulé de manière moins radicale la même thèse: si on est enfant, alors on croit nécessairement à ce qu'on apprend. En revanche si on dispose de la raison, apprendre n'implique pas croire: "j'apprends cela mais je n'y crois pas" devient un énoncé sensé. A voir: ne devrais-je pas dire plutôt: "on veut m'apprendre cela mais je n'y crois pas" ? Le processus de l'apprentissage n'implique-t-il pas en effet nécessairement la croyance ? Comment apprendre quoi que ce soit de qui que ce soit si on ne croit pas à ce qu'on nous dit ?
Il faut peut-être distinguer une croyance provisoire d'une croyance définitive. Il a fallu que je croie provisoirement dans la vérité du contenu transmis pour qu'à la fin je puisse (définitivement ou non) rejeter la croyance en question. Platon aurait alors en partie raison d'identifier essentiellement apprendre à croire.