lundi 21 novembre 2005

Aristippe ou le sage à l'épreuve de la nudité.

“Un jour qu’on lui demandait en quoi le sage diffère du non sage, il dit : « Envoie-les tous deux nus vers des gens qui ne les connaissent pas et tu sauras la différence. » (II, 73)
Au premier abord, c’est énigmatique : le sage se reconnaît donc ni à ses paroles, ni à ses actes, encore moins à ses vêtements, mais à sa manière de se tenir nu devant des inconnus. Car j’écarte d’emblée que la sagesse puisse être identifiée par le corps lui-même : Aristippe ne cultive pas son corps, en cela représentant peut-être déjà le dédain cynique pour le culturisme. J’imagine donc que le sage ne ressentira aucune honte à se trouver dépourvu de tous ses accessoires sociaux, vu qu’il porte avec lui ce qui fait sa valeur. On disait d’Aristippe qu’il pouvait porter aussi bien des hardes qu’une parure luxueuse, finalement porter des riens et ne rien porter, n’est-ce pas la même chose ? Donc Aristippe se reconnaît tout de même à ses paroles et à ses actes car, qu’il soit nu comme un vers ou habillé en grande pompe, il doit dire et faire la même chose. La belle Laïs, elle, devait avoir honte de vieillir. Loin de supporter d’être vue nue par des inconnus, elle avait préféré se défaire de son miroir en le donnant à Aphrodite, jamais déçue, elle, par le reflet. Aristippe a dû lui faire la leçon dans un de ses dialogues malheureusement perdus, intitulé A Laïs, à propos du miroir.

dimanche 20 novembre 2005

Aristippe, Platon et Pénélope.

Pénélope, fidèle épouse d’Ulysse absent, est assiégée par les prétendants qui la pressent de choisir parmi eux un mari. Elle leur promet de prendre sa décision quand la toile qu’elle tisse chaque jour sera terminée. Mais en secret, la nuit, elle défait le travail de la journée. A défaut d’avoir la maîtresse, les rivaux prennent les servantes, dont Mélantho, qui le paiera de sa vie au retour d’Ulysse. Aristippe fait un usage allégorique de cet épisode de l’Odyssée et transforme Pénélope en figure de la philosophie, les esclaves devenant les sciences propédeutiques, telles l’astronomie et la géométrie (II, 79). La morale de l’allégorie que la philosophie est la reine des sciences. Ceux qui étudient n’importe quel autre savoir ne possèdent que le secondaire. Curieusement Platon dans le Phédon dissocie, lui, radicalement la philosophie de l'épouse d'Ulysse. À la différence du philosophe qui est seulement soucieux de défaire ce qui attache son esprit à son corps, Pénélope par son activité autodestructice symbolise à la perfection celui qui ne philosophe qu' à moitié et qui ,encore attaché aux plaisirs sensibles, ruine par exemple la nuit les efforts qu'il fait le jour ! Ainsi j'imagine que "faire sa Pénélope" pourrait signifier "ne pas savoir ce que l'on veut" ou "dire blanc et noir" ou "ne pas savoir à quel saint se vouer" etc. Mais j'accepterais aussi bien que cette nouvelle expression veuille dire tout autant "prendre les gens pour des imbéciles" ou "faire prendre des vessies pour des lanternes"... Bien que se référant diversement à Pénélope, Aristippe et Platon ont tout de même en commun d'identifier Pénélope à la tisseuse obstinément fidèle. Or j'apprends dans le Dictionary of Greek and Roman Biography aund Mythology (1870) de William Smith que sur Pénélope court une légende noire. Loin de tisser chastement, elle aurait fauté soit avec Hermès soit avec tous les prétendants (oui, j'ai bien écrit avec tous les prétendants) et de ces unions adultères serait né Pan. Répudiée par Ulysse à son retour, elle serait partie à Sparte. Une autre variante ne remet pas en question sa longue patience mais m'apprend qu'après le retour du tant attendu, elle aurait épousé Télégone, fils de Circé et d'Ulysse: ce demi-frère de Télémaque aurait joué à moitié à Oedipe en tuant son géniteur mais en couchant avec sa belle-mère. Cependant, à la différence de Jocaste, Pénélope savait ce qu'elle faisait... Se mettre avec le meurtrier de son mari, c'est peut-être là aussi une manière de défaire ce qu'on a fait, non ?

Aristippe, un faux viveur.

Aristippe aime les plaisirs sensuels et n'hésite pas d'ailleurs à payer cher pour se les procurer car il considère que l'argent est fait pour être dépensé:
"Un jour, dit-on, il donna l'ordre d'acheter une perdrix pour cinquante drachmes; quelqu'un lui ayant fait un reproche, il dit: "Mais toi, pour une obole, ne l'aurais-tu pas achetée ?" Comme l'autre acquiesçait, Aristippe dit: "Eh bien pour moi cinquante drachmes valent une obole" (II, 66)
En effet Aristippe n'est pas cupide:
" A qui lui reprochait sa table coûteuse, il dit: "Toi, pour trois oboles, n'aurais-tu pas acheté tout cela ?" Comme l'autre répondit que si, il dit: "Ce n'est donc pas que moi j'aime le plaisir, mais c'est que toi, tu aimes l'argent." (II, 75)
Bien sûr il tient tout de même à l'argent:
" Un jour qu'il était en mer, quand il comprit que le navire qui approchait était un navire pirate, il prit son or et le compta, puis, comme sans faire exprès, il le jeta par-dessus bord à la mer et aussitôt se mit à pousser des gémissements. Selon d'autres, il ajouta qu'il valait mieux voir disparaître cet argent du fait d'Aristippe qu'Aristippe du fait de cet argent." (II, 77)
Non seulement l'argent ne vaut pas qu'on lui donne sa vie mais même qu'on souffre pour lui, y compris s'il s'agit de la souffrance d' un domestique:
"Alors que son serviteur, au cours d'un voyage, portait de l'argent et était accablé sous le faix, comme le dit Bion dans ses diatribes, Aristippe lui cria: "Laisse tomber le surplus et ne porte que ce que tu peux porter" (II, 77)
Ainsi il ne faut pas être esclave de l'argent, pas plus que de ses plaisirs. Aristippe n'est pas emporté par le désir de jouir. Il goûte et déguste le plaisir mais montre qu'il en est maître et sait se retenir:
" C'est de maîtriser les plaisirs et de ne pas être subjugué par eux qui est le comble de la vertu, non point de s'en abstenir." (II, 75)
Vue par Aristippe, l'abstinence est le choix du faible; qui ne peut se modérer s'interdit le plaisir. Le plaisir sensuel n'est pas mauvais en soi mais y goûter, sans pour autant s'y livrer, exige beaucoup de volonté. Aristippe en fait souvent la démonstration à propos des prostituées qu'il fréquente certes mais dont il ne dépend pas du tout. Il le dit haut et clair.
"Je possède Laïs mais je ne suis pas possédé par elle" (ibid.)
J'en conclus qu' Aristippe ne lui était donc pas attaché et qu' en toute logique Marie-Odile Goulet-Cazé n'aurait peut-être pas dû préciser dans une note que "Laïs était une courtisane de Corinthe qui fut aimée à la fois d'Aristippe et de Diogène" ! Ce détachement, Aristippe ne se contente pas de le dire, il le montre:
"Au moment où il entrait, un jour, dans la maison d'une courtisane, comme un des jeunes gens qui l'accompagnaient s'était mis à rougir, Aristippe dit: "Ce qui est mal, ce n'est pas d'entrer, mais c'est de ne pas pouvoir sortir" (II, 69)
C'est l'art d'enseigner la vertu au moment même où l'élève, en socratique conventionnel, croit que le maître se livre au vice. Mais, dans le même genre, Aristippe a fait encore plus fort:
" Un jour que Denys lui avait demandé de choisir une courtisane parmi trois qui étaient là, il les emmena les trois en disant: "Ce ne fut pas un avantage pour Pâris d'en préférer une seule". A vrai dire, il les emmena, dit-on, jusqu'au vestibule et les laissa partir, tant il était fort et pour prendre et pour dédaigner." (II, 67)
Aristippe a eu bien raison de ne pas imiter Pâris. Ce prince troyen est le fauteur de troubles par excellence, d'abord pour avoir entre les trois déesses préféré Aphrodite puis ensuite pour avoir volé Hélène à Ménélas. Mais ce refus de choisir est une leçon de morale, ce n'est pas la manifestation d'une concupiscence embarrassée. Aristippe est finalement le contraire du renard de La Fontaine ou de l'homme du ressentiment: il ne transforme pas sa lâcheté en moralité. Capable de prendre, il préfère laisser, tant il est lucide sur les conséquences de la prise.
"C'est pourquoi un jour Straton, selon d'autres Platon, lui dit: "Il n' y a que toi qui puisses porter aussi bien une chlanide ("c'était un manteau élégant de fine laine" dixit M-O Goulet-Cazé) que des haillons." (II, 67)
Il y a des situations où le meilleur est de porter des hardes et d'autres où les beaux habits contribuent au bien-être. Aristippe n'a pas d'uniforme, il n'a pas non plus d'uniformité apparente dans son comportement. Mais la raison secrète de ses variations est peut-être contenue dans cette ultime anecdote qui sous les yeux du tyran Denys l'oppose à Platon:
" Un jour pendant un banquet, Denys ordonna à chacun de mettre un vêtement de pourpre et de danser. Platon déclina l'invitation en disant: "Pas question pour moi de porter une robe de femme." Aristippe en revanche prit le vêtement et, sur le point de danser, fit cette habile répartie: "Car aux fêtes de Bacchus, celle qui est sage ne saurait être corrompue." (II, 78)
Si les deux philosophes se valent dans leur connaissance des Bacchantes d'Euripide dont ils citent ici chacun un vers, Platon apparaît pourtant bien fragile comme si pour être un moine il fallait en porter l'habit. Aristippe, lui, est certain à tort ou à raison que ce qu'il fait ne fait courir aucun risque à ce qu'il est, comme s'il suffisait d'avoir en soi la juste mesure pour remettre à leur juste place les actes déplacés auxquels il peut arriver de se livrer.
Appendice: on mesurera mieux à quel point Aristippe, par son côté "bon vivant", rompt avec l'enseignement de son maître en écoutant Socrate donner peu de temps avant de mourir sa conception de la vie philosophique:
" Socrate: Penses-tu que ce soit évidemment le propre d'un philosophe de se préoccuper de ce qu'on appelle des plaisirs, dans le genre de ceux-ci, par exemple ceux du manger et du boire ? Simmias: Point du tout, Socrate ! Socrate: Et ceux de l'amour ? Simmias: En aucune façon ! Socrate: Et ce qui par ailleurs, consiste en soins qui se rapportent au corps ? Ton opinion est-elle qu'au jugement d'un pareil homme ils aient quelque valeur ? Par exemple, la possession d'un vêtement, d'une chaussure qui sortent de l'ordinaire, et avec cela, tout autre embellissement qui se rapporte au corps, en fait-il cas à ton avis ? ou bien ton avis est-il que, pour autant qu'il n'y a pas nécessité absolue qu'il en prenne sa part, il n'en fait point cas ? Simmias: Mon avis à moi est qu'il n'en fait point cas, au moins s'il est authentiquement philosophe. Socrate: D' une façon générale donc, reprit Socrate, ton avis est que les préoccupations d'un pareil homme n'ont pas le corps pour objet, mais que, au contraire, elles s'en écartent pour autant qu'ils le peut, et qu'elles se tournent vers l'âme ?"
Vous devinez ce que répond le docile Simmias. Ces lignes sont extraites du Phédon (64 d-e) de Platon et ont été traduites par Léon Robin.

samedi 19 novembre 2005

Aristippe ou pourquoi se faire payer.

Il est beaucoup question d'argent dans le récit consacré par Diogène Laërce à Aristippe, socratique dissident. D'abord, "il fut le premier des Socratiques, à ce que dit Phainias, le Péripatéticien d' Érèse, à exiger un salaire" (II, 65). De cet argent, il en envoie une partie à son maître. Est-ce pour le remercier ainsi de ses leçons ? En tout cas, il n'y a rien d'étonnant à ce que Socrate désavoue cette pratique, de manière certes assez indirecte:
" Un jour qu'il lui avait envoyé vingt mines, il se les vit retourner, Socrate ayant déclaré que son démon ne lui permettait pas d'accepter, car il n'aimait pas cette façon de faire." (ibid.)
Il n'y a pas moyen selon la traductrice Odile Goulet-Cazé de savoir si le sujet auquel renvoie le "il" est Socrate ou son démon. Dans le premier cas, c' est Diogène qui parle et qui démystifie le démon en question en le réduisant à un prête-nom; dans le deuxième cas, Socrate subordonne son action aux interdits que lui formule son démon, ce qui serait plus conforme au portrait de Socrate fait par Platon, tel par exemple qu'on le trouve dans l' Apologie de Socrate:
" Il m'arrive je ne sais quoi de divin et de démonique (...). Les débuts en remontent à mon enfance: c'est une voix qui se fait entendre de moi, et qui, chaque fois que cela arrive, me détourne de ce qu'éventuellement je suis sur le point de faire, mais qui jamais ne me pousse à l' action" ( 168 d, trad. Léon Robin)
Dans la situation qui m'intéresse ici, Socrate aurait été porté à accepté la somme offerte par Aristippe mais il se serait vu opposer le désaveu de son démon. On a ici une illustration parfaite de ce que Sartre désignera plus tard sous le nom de "mauvaise foi", c'est-à-dire la non-reconnaissance de sa propre responsabilité dans les questions morales ! Mais Aristippe ne sera pas détourné lui de cette pratique rémunératrice. Il la justifie même de deux manières, même si elles sont radicalement contradictoires.
Justification nº 1: "Il a dit que s'il recevait de l'argent de ses disciples, ce n' était pas pour le dépenser lui-même, mais pour qu'eux sachent à quoi il faut dépenser son argent." (II, 72) La raison ne manque pas d' habileté et annonce un des arguments des psychanalystes pour justifier le caractère onéreux de la cure psychanalytique: si le patient doit payer, c'est pour être entraîné par un tel sacrifice à progresser pendant le temps de la cure et à ne pas faire de la relation avec son psychanalyste une fin en soi mais seulement un moyen de se familiariser avec son inconscient. Dans le même esprit, Aristippe pense faire oeuvre de pédagogue en demandant à être payé; en fait il dénoncerait ainsi mais fort indirectement le fait de consacrer l'argent à autre chose qu' à la recherche du vrai. Certes mais on verra que sa propre vie suggère que l'argent doit être dépensé bel et bien à d'autres fins. Il y a donc un hic.
Justification nº 2: Aristippe renonce à toute autre raison que la banale difficulté de finir le mois et en plus en profite pour fort antipathiquement rabaisser brutalement le prestige de Socrate en ramenant à une plus juste mesure son désintéressement:
" A qui l'accusait de recevoir, lui, disciple de Socrate, de l'argent (de ses élèves), il répondit: " C'est vrai. Socrate, quand des gens lui envoyaient à manger et à boire, en prenait un peu et renvoyait le reste. C'est qu'il avait pour assurer son approvisionnement les premiers des Athéniens, alors que moi je n'ai qu'Eutychidès, un esclave que j'ai acheté !" (II, 74)
En réalité, Aristippe ne s'est pas contenté de faire payer ses élèves, il a aussi mis à contribution les riches et spécialement le tyran de Syracuse, Denys le Jeune. Plusieurs passages laissent même à penser qu' il délaisse Socrate au profit du tyran. Ce qu' il justifie ainsi:
" Quand j'avais besoin de sagesse, j'allais chez Socrate; mais maintenant que j'ai besoin d'argent, c'est chez toi que je viens" (II, 78)
Ou autre version, cette fois avec jeu de mots en prime:
" A qui l'avait accusé d'avoir quitté Socrate pour Denys, il dit: " Mais si je suis allé chez Socrate, c'était pour m'instruire (paideias) alors que chez Denys, c'était pour me divertir (paidias)" (II, 80)
On peut déduire de ces raisons trois conclusions: 1) la sagesse ne supprime pas le besoin d'argent. 2) l'instruction n'est pas divertissante. 3) il faut de l' argent pour se divertir. On mesure à quel point le disciple Aristippe prend ainsi ses libertés par rapport à l'enseignement de son maître.

lundi 14 novembre 2005

Aristippe et l'enfant comme déchet.

D' après Pierre Larousse, pour désigner un homme raffiné dans ses goûts, délicat dans ses jouissances, on pourrait dire par antonomase un Aristippe et de citer cette phrase si banale de Lamartine: " C'était un Aristippe". Depuis 1866 le mot a disparu de la circulation mais son usage un temps me donne l'espérance que cet autre Socratique sera facile à circonvenir. A vrai dire, il n'en est rien. A la différence d' Harpagon dont l' avarice obsessionnelle unifie les traits, Aristippe se révèle en fait plutôt complexe à saisir. Pour commencer, de l'ensemble du récit que lui consacre Diogène Laërce, j' extrairai cette anecdote:
" Quelqu'un l' accusait de repousser avec mépris son fils, comme s'il n'était pas de lui. A quoi il répondit: "La pituite (pour parler clair, les glaires et autres mucosités ) et les poux aussi nous savons qu'ils naissent de nous (il faudra attendre Pasteur pour en finir avec le mythe de la génération spontanée du vivant), mais parce qu'ils sont inutiles, nous les rejetons le plus loin possible"." (II, 81)
Réduire un être humain à un pou, cela rappelle de tristes époques. On savait certes les philosophes capables se détacher des usages mais de là à identifier un fils à une secrétion répugnante, il y a un pas franchi à ma connaissance par aucun autre de ces philosophes antiques. Les stoïciens certes se détacheront de l'attachement aux personnes de leur famille et pour cela iront à comparer l'amour paternel ou conjugal à l'intérêt porté à une chose. Qu'on en juge par ce passage du Manuel d'Epictète:
" Pour chaque chose qui t'attire ou qui t'es utile ou que tu aimes, souviens-toi d'ajouter pour toi-même ce qu'elle est, en commençant par les choses les plus humbles. Si tu aimes une marmite, dis-toi: "J'aime une marmite." Car, si elle se casse, tu n'en seras pas troublé. Si tu embrasses ton enfant ou ta femme, dis-toi: "J'embrasse un homme". S'il meurt, tu ne seras pas troublé." (3, trad. de Pierre Hadot)
On mesure l'immense distance qui sépare cette attitude du dédain d' Aristippe. En premier lieu, le fils n’est pas identifié à une marmite mais l’objet commun est ce dont il faut savoir se détacher si l’on veut un jour pouvoir supporter la disparition d’un être aimé ; ensuite la distance par rapport au décès passe par l’affirmation de l’ humanité du parent et donc de sa mortalité. C'est vrai que cette histoire de mucosité rappelle un petit passage de Marc-Aurèle mais l’empereur stoïcien n' y visait alors qu’ à démythifier l’acte sexuel en le décrivant sous le jour le plus neutre:
"Représente-toi bien dans ton imagination (...) à propos de l'accouplement, un frottement de ventre et l'éjaculation d'un liquide gluant accompagné d'un spasme" ( Pensées VI 13 trad. de E.Bréhier, revue par J.Pépin)
J' ai l'impression en fait que cet Aristippe n'a pas bien compris Socrate. En fait si l'on en croit Xénophon,
"L'homme, disait encore (Socrate) , n'a rien de plus cher que son corps; et cependant, de son vivant même, il en retranche de sa main ou en fait retrancher par un autre ce qui est inutile ou superflu. C'est ainsi que les hommes se coupent les ongles, les cheveux, les callosités et qu'ils se mettent aux mains des chirurgiens qui les taillent et les brûlent en leur faisant souffrir de vives douleurs et ils croient encore leur devoir un salaire en échange; enfin ils crachent leur salive le plus loin possible de leur bouche, parce qu'il ne leur sert de rien de la garder et qu'elle leur est plutôt nuisible. Or il parlait ainsi, non pour enseigner à enterrer son père vivant ou à se couper soi-même en morceaux, mais pour montrer que ce qui est déraisonnable n'obtient pas l'estime "(I, 2, 54, trad. de P. Chambry)
Si je ne me trompe pas, quand Socrate se réfère à l' élimination des déchets de son propre corps, c'est en mettant en évidence qu' elle va avec le souci du corps. Celui qui agit ainsi sait faire le départ entre ce qui compte et ce dont il faut se débarrasser. Or, cette argumentation ne vise qu'à justifier l'idée qu'aimer son père n'est pas incompatible avec se débarrasser de son corps, une fois qu'il est mort:
" Il disait même encore qu'après le départ de l'âme, en qui seule réside l'intelligence, on se hâte d'emporter et de faire disparaître le corps de la personne la plus chère."
Aristippe n'aurait pas été seulement un mauvais père, mais aussi un mauvais socratique.

dimanche 13 novembre 2005

Eschine : devenait-on muet à l'admirer ?

Au fur et à mesure où je poursuis ma lecture, l'identité d'Eschine devient de plus en plus incertaine. Que penser en effet de son talent philosophique si Aristippe, pourtant son ami, le dénonce brutalement ?
"Même Aristippe mettait en doute l'authenticité de ses dialogues. En tout cas on raconte qu'un jour où Eschine faisait une lecture publique à Mégare, Aristippe se moqua de lui en disant: "Où as-tu pris cela, voleur ?" (II, 63, trad. de Odile Goulet-Cazé)
Même si le stoïcien Panétius "estime que (de tous les dialogues socratiques) sont vrais ceux de Platon, Xénophon, Antisthène,Eschine" (II, 64), ce dernier n'aurait-il donc rien écrit ? Etait-il même un philosophe ?
"Eschine était aussi assez bien entraîné dans les exerccies rhétoriques, comme le montre sa défense du père du stratège Phéax et de Dion. C'est surtout Gorgias de Léontini qu'il imite; Lysias composa contre lui un discours qu'il intitula Sur les manoeuvres du sycophante. On voit bien qu' Eschine était aussi un homme doué pour la parole." (II, 63)
Eschine serait-il au cours de sa vie passé dans le camp adverse, celui des Sophistes et de Gorgias, le plus grand d'entre eux ? Mais qu'est-ce qui m'assure qu' il partageait cette conception en réalité spécifiquement platonicienne des Sophistes, rhéteurs subtils mais penseurs insuffisants ? J'ai sans doute tort de penser que la frontière établie par Platon entre la recherche du vrai et le souci du beau discours existait en dehors des dialogues platoniciens comme une évidence partagée par tous. Eschine a pu donc être sincèrement socratique et prendre aussi Gorgias comme modèle. S'il en était ainsi, les attaques auxquelles le soumet le logographe Lysias n'impliqueraient pas qu'il n'ait pas aussi et en même temps suivi les règles du jeu philosophique. Quoi qu'il en soit, si la grandeur d' une oeuvre se mesure au nombre des disciples qu' elle attire, Eschine a alors échoué:
" On ne cite qu'un seul disciple d' Eschine, à savoir Aristote surnommé Le Mythe." (ibid.)
Bien sûr il s'agit d'un homonyme du célèbre précepteur d' Alexandre le Grand; rien d'étonnant, sauf le surnom, si inhabituel que W.M. Calder dans un article au titre amusant "Was Aristotle a myth ?" propose de remplacer l'énigmatique muthos par nuthos (muet). Mais à ce prix l' échec d' Eschine est encore plus patent: il n'aurait finalement réussi à transmettre ses trésors d'éloquence qu' à un muet !

samedi 12 novembre 2005

Eschine : que doit faire un Socratique pour remédier à la pauvreté ?

Les Socratiques sont attirés par la Sicile, précisément par Syracuse et ses tyrans, Denys l'Ancien d'abord puis Denys le Jeune. On sait que Platon y est allé trois fois dans le même esprit: convertir le tyran à la philosophie; triple échec mais enfin l'intention était noble. Est-ce alors pour avoir comparé son but à celui d' Eschine que Platon "lui prodigua son mépris" (II, 61, trad. Marie-Odile Goulet-Cazé) ? En effet c'est "à cause de sa pauvreté" qu' Eschine, soutenu par Aristippe, vient chercher fortune à la cour de Denys le Jeune. Comme le tyran prétend goûter la philosophie, Eschine lui offre certains de ses dialogues et ainsi entre peut-être en rivalité avec Platon. Mais il ne semble pas qu' Eschine ait ambitionné d'être le conseiller du Prince; une fois reçu des cadeaux en échange de ses dons, il rentre à Athènes. Il est peut-être méprisable, Eschine, mais enfin, plus prudent que Platon, il a évité les échecs calamiteux. Cependant, s'il revient sain et sauf à bon port, il reste pauvre. D' où une deuxième idée: "sophisteuein", c'est-à-dire s'établir comme sophiste. C'est difficile pour nous de comprendre la décision de ce disciple de Socrate, tant l'école nous a habitués à opposer au bon Socrate, désintéressé, rationnel et convaincant, les méchants sophistes, cupides et persuasifs par leur seul talent d'orateur.Quoi qu'il en soit, Eschine renonce au projet car Platon et Aristippe tiennent la place et ne lui laissent ainsi pas l'espérance de devenir renommé donc riche, comme s'il n' y avait pas de place pour l' éloquence habile quand la philosophie occupe le terrain. Eschine devient donc professeur particulier, si l'on me permet de transposer un peu librement le texte de Diogène ("il donna des leçons payantes"). Il faut bien vivre et, à défaut de partager avec les sophistes la célébrité, comme eux mais plus modestement, il demande de l'argent en échange de son savoir. Enfin il se fait logographe et "écrivit des discours judiciaires en faveur des victimes d'injustice" (II, 62) Timon, le sceptique railleur (cf notes des 01 et 02-05-05), ne tape-t-il pas en plein dans le mille quand il écrit ce vers dans les Silles ?
"(...) le vigoureux Eschine qui se laisse persuader d' écrire."
Ecrire, n'est-ce pas bel et bien une faiblesse quand se manifeste en soi "la vigueur socratique" (II, 60) ? Qu'on se rappelle en outre que de Lysias, ayant composé pour le procès de Socrate un discours judiciaire, le maître condamné décline l'offre en comparant le plaidoyer juridique à des parures certes belles mais qui ne lui vont pas, à lui Socrate ? Mais c'est finalement Diogène Laërce qui, sans le savoir sans doute, porte le coup final:
"Comme Eschine était opprimé par la pauvreté, Socrate, à ce qu'on raconte, lui dit de se faire à lui-même un emprunt en diminuant sa nourriture" (II, 62)
La formule est jolie; prendre sur soi au lieu de faire payer autrui. Mais cruelle leçon, comme si les oeuvres du disciple, à l' aune du maître, ne valaient pas plus que de vulgaires travaux alimentaires !

vendredi 11 novembre 2005

Eschine, sosie littéraire de Socrate.

"Eschine faisait l'objet de calomnies, surtout de la part de Ménédème d'Erétrie qui prétendait que la plupart des dialogues, Eschine se les était appropriés alors qu'ils étaient de Socrate et qu'il les avait reçus de Xanthippe." (II, 60 trad. Marie-Odile Goulet-Cazé)
Que je fasse confiance ou non à ce Ménédème, ce que je lis est inouï. En effet si je participe à la calomnie, j'apprends la nouvelle ahurissante 1) que Socrate, contrairement à ce qu'enseigne la tradition millénaire, était un écrivain et 2) que Xanthippe, loin de se réduire à son rôle légendaire de mégère mal apprivoisée, a manié, sinon lu, les oeuvres de son mari. Mais si, fidèle à l'avis de Diogène, je ne suis pas complice de la médisance, j'en tire la conclusion qu' Eschine, le disciple, a écrit comme le maître aurait pu écrire. Eschine talentueux au point de produire une imitation confondante de vérité; à dire vrai, il ne s'agit pas tant d'une imitation (Socrate n'ayant rien écrit, il n'y a rien du tout à copier) que d' une création tellement réussie qu'elle suggère que le maître, s'il avait écrit, n'aurait pas pu faire mieux. Diogène Laërce ne s'en tient pas là; il partage les oeuvres eschiniennes en deux parts: a) la mauvaise: ce sont les dialogues "acéphales"; comme l'explique Marie-Odile Goulet-Cazé, on ne sait si le terme désigne l' absence d' un début ou celle d'une fin, mais c'est certain qu'ils ne sont pas parfaits. Mais, ouf, ils ne seraient pas d'Eschine mais d'un faussaire, Pasiphon l' Erétrique. Le processus de production se complique alors singulièrement: Pasiphon imite mal Eschine qui, s'il n'imite pas, aurait été un imitateur excellent au cas où Socrate n' aurait pas fait que parler.... On n'en saura guère plus sur ce Pasiphon, sinon qu' il a fabriqué d'autres faux attribués à tort à Antisthène (le cynique) et à d'autres Socratiques. Je rêve à ses raisons: aurait-il voulu subtilement, car tout à fait indirectement, calomnier ces philosophes en leur faisant attribuer des textes, et médiocres qui plus est, à eux, ces disciples d'un homme qui avait condamné l'écrit et qu'ils trahissaient donc furieusement ? Mais j' invente dans doute un Pasiphon trop malignement tortueux... b) la bonne: "ceux qui portent l'empreinte de la manière socratique, ils sont au nombre de sept" (II, 61). Diogène Laërce s'exprime ici bien curieusement: j'en conclus que si les dialogues d' Eschine portent la marque socratique, alors que Socrate n'a rien écrit, c'est que le maître de Platon parlait comme un livre. D'où une nouvelle interprétation de l'abstention socratique: si Socrate n'a rien écrit, c' est qu'il écrivait en parlant. Pourquoi se serait-il donc répété ?

jeudi 10 novembre 2005

Eschine, aimé par Socrate, mais pas du tout par Platon.

Socrate, condamné à mort, attend la fin dans sa geôle . Selon le témoignage de Platon, un jour, de bon matin, survient Criton; s'il a pu pénétrer dans la prison, c'est qu' il a acheté le gardien. Socrate dormant encore, Criton est le "témoin émerveillé de (son) sommeil tellement paisible" (Criton 43 b trad. de Léon Robin), mais une fois réveillé, le maître apprend de son ami, informé de bonne source, que la mise à mort aura lieu le lendemain. On se doute que la nouvelle n'émeut pas du tout Socrate ("Eh bien, Criton ! bonne chance alors ! et si c'est ainsi qu'il plaît aux dieux, ainsi soit-il !" (43 d). En plus Socrate, interprétant un rêve qu'il vient de faire, doute que son exécution ait lieu si vite. Criton veut bien le croire mais à vrai dire la précision importe peu: s'il est venu, ce n'est pas tant pour donner la date fatale que pour répéter son avis: Socrate doit s'évader de la prison puis s'exiler, ses amis ont suffisamment d'argent pour organiser cette fuite. Il parle beaucoup, Criton, et accumule les raisons qui devraient convaincre Socrate. La principale, qu'il répète avec des variantes, c'est que si Socrate est mis à mort, les gens penseront que ses amis, qui en avaient pourtant les moyens, n'ont pas fait ce qu'ils auraient dû faire. L'insistance de Socrate à rester dans sa prison fait finalement courir à Criton le risque du déshonneur. Si la sentence est accomplie, Criton ne perd pas seulement un ami mais aussi sa dignité ! On sait peut-être que dans la suite du dialogue, Criton ne dira plus grand-chose tant est convaincante l'argumentation socratique, selon laquelle il est juste d'obéir à la loi, même si elle est injustement appliquée. A cause de Platon, on a donc pris l' habitude de penser que cette exhortation de la dernière chance, on la doit donc à Criton, au point qu'on pourrait appeler "critonisme" la conception selon laquelle la défense de la renommée a plus de prix que le respect de la justice. Mais ne voilà-t-il pas que Diogène Laërce met en doute que ce soit Criton qui ait "critonisé". Ce serait Eschine, le fils du charcutier Charinos, autre disciple de Socrate, à propos duquel ce dernier aurait dit: " Seul le fils du charcutier sait nous marquer de l'estime" (II, 60, tra. de Marie-Odile Goulet-Cazé). En effet, "c' est (Eschine), disait Idoménée (de Lampsaque, disciple d'Epicure et auteur d'un ouvrage sur les socratiques) qui, dans la prison, conseilla à Socrate de s'enfuir, et non Criton; mais Platon, parce qu' Eschine avait plus d'amitié pour Aristippe que pour lui-même, attribua les paroles à Criton." (II, 60) Subitement ce dialogue de Platon m'apparaît comme un de ces clichés truqués par les services de propagande de l' URSS stalinienne; le brave Eschine, qui pourtant "ne s'éloign(e) pas de Socrate" tant il était porté dès sa jeunesse à l'effort" (en somme Eschine s'échine...) est éliminé de l'ultime photo de famille par la censure platonicienne. On découvre ici qu'il ne faut pas attendre Freud pour assister au spectacle de disciples qui se détestent. Les frères socratiques sont déjà ennemis et se déchirent.

mercredi 9 novembre 2005

Xénophon, attaché puis détaché.

Si Diogène Laërce place Xénophon en tête des Socratiques, c'est sans doute parce qu´"il fut le premier à prendre en notes les paroles du philosophe, qu'il livra aux hommes sous le titre de Mémorables " (II, 49, trad. Marie-Odile Goulet-Cazé). Mais en quoi une telle prise de notes modifia sa vie, cela reste assez mystérieux, tant celle-ci ne semble avoir rien d'exemplaire philosophiquement, à une exception près. En plus Diogène ne lui attribue aucune doctrine, aucune pensée, se contentant de dresser à la fin, comme d'habitude, la longue liste de ses ouvrages. Je retiendrai cependant deux anecdotes. La première, qui n'est pourtant pas en sa faveur, Diogène la place au tout début, juste après avoir mis en relief son rôle de fidèle enregistreur des propos de Socrate, comme s'il avait eu comme souci de désorienter le lecteur:
"Aristippe, dans le quatrième livre de son ouvrage Sur la sensualité des Anciens (Marie-Odile Goulet-Cazé explique dans une note que s'il n'est pas justifié d'attribuer à Aristippe - dont je parlerai bientôt- un tel ouvrage, en revanche il n'est pas douteux que son auteur, quel qu'il soit, cherchait par son livre à rabaisser les philosophes) dit qu'il s'éprit de Clinias (oncle d'Alcibiade, l'amoureux de Socrate) et qu'il tint sur celui-ci les propos suivants: "Actuellement, il m'est plus doux, à moi, de contempler Clinias que de contempler toutes les autres beautés que l'on voit chez les hommes. J'accepterais d'être privé de la vue de toutes les autres beautés plutôt que d' être privé de celle du seul Clinias. Je souffre de la nuit et du sommeil, parce que je ne le vois pas. En revanche je sais le plus grand gré au jour et au soleil de ce qu'ils me donnent à voir Clinias." (II, 49)
On se souvient peut-être que, selon Diotime dans le Banquet de Platon, l'amour passionnel qu'un homme porte à un autre n'est que le commencement de la découverte du Beau, la première étape d'un parcours qui mène ensuite à la contemplation de la beauté de tous les corps. Or, Xénophon le passionné contredit ici clairement la théorie platonicienne: la beauté d'un seul corps apporte plus de plaisir que celle de tous les autres beaux corps. Contre la mise en valeur de la beauté abstraite, Xénophon proteste et insiste sur le prix incomparable de la beauté concrètement incarnée dans un seul corps. Lisant ce texte, je pense aussi au rôle que Platon fait jouer au soleil dans l' allégorie de la caverne telle qu'il la raconte dans la République: image sensible du Bien, il éclaire un paysage qui, à la différence des ombres vues par les prisonniers au fond de la caverne, représente le Réel, celui que seul l'esprit connaît et non pas ce misérable réel perçu par les sens. Or, dans cette anecdote, toute la gloire du soleil est de mettre en lumière même pas l'ensemble du sensible mais un corps parmi d'autres qui éclipse tout ce qui l'entoure. Xénophon réhabilite le soleil astronomique contre le soleil philosophique, il affirme la primauté de la vue des yeux sur celle de l'esprit ! C'est un tout autre Xénophon qu'on découvre dans un des derniers traits rapportés par Diogène. Son fils, Gryllos, vient de mourir sur le champ de bataille à Mantinée:
"On raconte qu'à ce moment-là Xénophon était en train de faire un sacrifice, la tête ceinte d'une couronne. Quand on lui annonça la mort de son fils, il enleva la couronne. Mais ensuite, quand il eut appris que son fils était mort noblement, il remit la couronne. D'aucuns disent qu'il ne versa même pas une larme. "C'est que, dit-il, je savais que j'avais engendré un mortel" (II, 55)
Eh oui, Diogène Laërce rapporte tout, sans discrimination, les ragots de commère malveillante comme les idéalisations les plus sublimes, troublant le lecteur au point que ce dernier se demande quel pouvait bien être cet entre-deux dans lequel vivaient sans doutes ces philosophes antiques. Ici donc, Xénophon est autant détaché de son fils qu'il était attaché à Clinias. Si je croyais à tort que Diogène compose savamment ses biographies, j'en déduirais qu'il nous donne à voir le passage de l'un à l'autre comme l'image même de la conversion philosophique. Avant Socrate, attaché à Clinias; après Socrate, détaché de son fils... Ce Xénophon, qui est porté dans un premier temps à interrompre le sacrifice, reprend vite son rôle rituel quand il sait que le fils est mort comme on doit mourir. Le sacrifice ordonné du fils encourage le père à poursuivre le sien. Par-delà les péripéties biologiques perdure l'ordre intemporel des devoirs. Ce Xénophon-là a tout du stoïcien, avant la lettre. La conscience aigüe et sans cesse entretenue de la nécessité de la mort sèche les yeux et pousse à identifier les larmes moins à l'expression normale d'une émotion qu'à la soutenance scandaleuse d'une thèse métaphysiquement fausse.