dimanche 13 novembre 2005

Eschine : devenait-on muet à l'admirer ?

Au fur et à mesure où je poursuis ma lecture, l'identité d'Eschine devient de plus en plus incertaine. Que penser en effet de son talent philosophique si Aristippe, pourtant son ami, le dénonce brutalement ?
"Même Aristippe mettait en doute l'authenticité de ses dialogues. En tout cas on raconte qu'un jour où Eschine faisait une lecture publique à Mégare, Aristippe se moqua de lui en disant: "Où as-tu pris cela, voleur ?" (II, 63, trad. de Odile Goulet-Cazé)
Même si le stoïcien Panétius "estime que (de tous les dialogues socratiques) sont vrais ceux de Platon, Xénophon, Antisthène,Eschine" (II, 64), ce dernier n'aurait-il donc rien écrit ? Etait-il même un philosophe ?
"Eschine était aussi assez bien entraîné dans les exerccies rhétoriques, comme le montre sa défense du père du stratège Phéax et de Dion. C'est surtout Gorgias de Léontini qu'il imite; Lysias composa contre lui un discours qu'il intitula Sur les manoeuvres du sycophante. On voit bien qu' Eschine était aussi un homme doué pour la parole." (II, 63)
Eschine serait-il au cours de sa vie passé dans le camp adverse, celui des Sophistes et de Gorgias, le plus grand d'entre eux ? Mais qu'est-ce qui m'assure qu' il partageait cette conception en réalité spécifiquement platonicienne des Sophistes, rhéteurs subtils mais penseurs insuffisants ? J'ai sans doute tort de penser que la frontière établie par Platon entre la recherche du vrai et le souci du beau discours existait en dehors des dialogues platoniciens comme une évidence partagée par tous. Eschine a pu donc être sincèrement socratique et prendre aussi Gorgias comme modèle. S'il en était ainsi, les attaques auxquelles le soumet le logographe Lysias n'impliqueraient pas qu'il n'ait pas aussi et en même temps suivi les règles du jeu philosophique. Quoi qu'il en soit, si la grandeur d' une oeuvre se mesure au nombre des disciples qu' elle attire, Eschine a alors échoué:
" On ne cite qu'un seul disciple d' Eschine, à savoir Aristote surnommé Le Mythe." (ibid.)
Bien sûr il s'agit d'un homonyme du célèbre précepteur d' Alexandre le Grand; rien d'étonnant, sauf le surnom, si inhabituel que W.M. Calder dans un article au titre amusant "Was Aristotle a myth ?" propose de remplacer l'énigmatique muthos par nuthos (muet). Mais à ce prix l' échec d' Eschine est encore plus patent: il n'aurait finalement réussi à transmettre ses trésors d'éloquence qu' à un muet !

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