"Eschine faisait l'objet de calomnies, surtout de la part de Ménédème d'Erétrie qui prétendait que la plupart des dialogues, Eschine se les était appropriés alors qu'ils étaient de Socrate et qu'il les avait reçus de Xanthippe." (II, 60 trad. Marie-Odile Goulet-Cazé)
Que je fasse confiance ou non à ce Ménédème, ce que je lis est inouï. En effet si je participe à la calomnie, j'apprends la nouvelle ahurissante 1) que Socrate, contrairement à ce qu'enseigne la tradition millénaire, était un écrivain et 2) que Xanthippe, loin de se réduire à son rôle légendaire de mégère mal apprivoisée, a manié, sinon lu, les oeuvres de son mari. Mais si, fidèle à l'avis de Diogène, je ne suis pas complice de la médisance, j'en tire la conclusion qu' Eschine, le disciple, a écrit comme le maître aurait pu écrire. Eschine talentueux au point de produire une imitation confondante de vérité; à dire vrai, il ne s'agit pas tant d'une imitation (Socrate n'ayant rien écrit, il n'y a rien du tout à copier) que d' une création tellement réussie qu'elle suggère que le maître, s'il avait écrit, n'aurait pas pu faire mieux. Diogène Laërce ne s'en tient pas là; il partage les oeuvres eschiniennes en deux parts: a) la mauvaise: ce sont les dialogues "acéphales"; comme l'explique Marie-Odile Goulet-Cazé, on ne sait si le terme désigne l' absence d' un début ou celle d'une fin, mais c'est certain qu'ils ne sont pas parfaits. Mais, ouf, ils ne seraient pas d'Eschine mais d'un faussaire, Pasiphon l' Erétrique. Le processus de production se complique alors singulièrement: Pasiphon imite mal Eschine qui, s'il n'imite pas, aurait été un imitateur excellent au cas où Socrate n' aurait pas fait que parler.... On n'en saura guère plus sur ce Pasiphon, sinon qu' il a fabriqué d'autres faux attribués à tort à Antisthène (le cynique) et à d'autres Socratiques. Je rêve à ses raisons: aurait-il voulu subtilement, car tout à fait indirectement, calomnier ces philosophes en leur faisant attribuer des textes, et médiocres qui plus est, à eux, ces disciples d'un homme qui avait condamné l'écrit et qu'ils trahissaient donc furieusement ? Mais j' invente dans doute un Pasiphon trop malignement tortueux... b) la bonne: "ceux qui portent l'empreinte de la manière socratique, ils sont au nombre de sept" (II, 61). Diogène Laërce s'exprime ici bien curieusement: j'en conclus que si les dialogues d' Eschine portent la marque socratique, alors que Socrate n'a rien écrit, c'est que le maître de Platon parlait comme un livre. D'où une nouvelle interprétation de l'abstention socratique: si Socrate n'a rien écrit, c' est qu'il écrivait en parlant. Pourquoi se serait-il donc répété ?
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