En 1873, dans les premières lignes de Vérité et mensonge au sens extra-moral, Nietzsche rabaisse en bien peu de mots la vanité humaine :
" Au détour de quelque coin de l'univers inondé des feux d'innombrables systèmes solaires, il y eut un jour une planète sur laquelle des animaux intelligents inventèrent la connaissance. Ce fut la minute la plus orgueilleuse et la plus mensongère de l' "histoire universelle", mais ce ne fut cependant qu'une minute. Après quelques soupirs de la nature, la planète se congela et les animaux intelligents n'eurent plus qu'à mourir " (Écrits posthumes 1870-1873 p. 277 Gallimard )
En 1928, Russel, dans les Essais sceptiques, a besoin, lui, de plus de mots mais humilie aussi davantage, je crois :
" Dans le monde visible, la Voie Lactée n'est qu'un petit fragment ; à l'intérieur de ce fragment, le système solaire n'est qu'une poussière infiniment petite, et notre planète n'est qu'une parcelle microscopique de cette poussière. Sur cette parcelle de minuscules masses de carbone impur et d' eau, d'une structure compliquée, possédant des propriétés physiques et chimiques peu communes, rampent pendant quelques années pour se dissoudre enfin de nouveau dans les éléments dont ils sont composés. Ils partagent leur temps entre le travail nécessaire pour remettre au plus tard le moment de leur propre dissolution et des luttes furieuses pour avancer celui des autres espèces. Des convulsions de la nature en détruisent périodiquement quelques milliers ou millions, et des maladies en balayent prématurément encore davantage. Ces événements sont considérés comme des malheurs ; mais, quand les hommes réussissent à accomplir des destructions analogues par leurs propres efforts, ils s'en réjouissent et rendent grâce à Dieu. Dans la vie du système solaire, la période durant laquelle l'existence de l'homme aura été physiquement possible n'est qu'une toute petite partie de tout ; mais il y a des raisons d'espérer qu'avant la fin même de cette période les hommes auront mis un terme à leur propre existence par leurs efforts dirigés pour s'annihiler mutuellement. Telle est la vie de l'homme vue du dehors " ( Rêves et faits p. 38-39 Les Belles Lettres)
Commentaires
Sinnbegabte,
Liebt nicht vor allen
Wunderescheinungen
Des verbreiteten Raums um ihn
Das allerfreuliche Licht -
[...]
Abwärts wend ich mich
Zu der heiligen, unaussprechlichen
Geheimnissvollen Nacht -
Aucune des sources que je connaisse ne mentionne le fait que Wittgenstein ait lu Novalis.
Je n'ai pas les moyens de commenter adéquatement ces vers, mais de manière très libre et donc bien risquée, je dirais que Wittgenstein aurait aussi préféré la lumière réjouissante de l'espace autour de lui aux miracles. Vers 1944, il écrit :
" Un miracle est pour ainsi dire un geste de Dieu. Comme un homme tranquillement assis fait tout à coup un geste spectaculaire, Dieu laisse le monde suivre paisiblement son train, et tout à coup accompagne les paroles d'un saint d'un geste symbolique, un geste de la nature. Un exemple en serait qu'après qu'un saint a parlé, les arbres autour de lui s'inclinent, comme par révérence. Cela dit, est-ce que je crois qu'une telle chose se produise ? Non.
La seule chose qui me ferait croire au miracle ainsi compris serait que je sois impressionné par un événement qui se produirait de cette façon particulière. En sorte que je dirais, par exemple : "Il 'etait impossible de voir ces arbres sans avoir le sentiment qu’ils répondaient aux paroles de ce saint.” Tout à fait comme je dirais : « Il est impossible de voir la face de ce chien sans voir aussi qu’il est en alerte et qu’il suit attentivement tout ce que fait son maître. » Et j’imagine aisément que le simple récit des paroles et de la vie d’un saint puisse mener quelqu’un à croire également l’histoire des arbres qui s’inclinent. Mais je ne suis pas impressionnable de cette façon. »