Lisant le Phédon de Platon, je découvre une comparaison originale, dans la bouche de Socrate s'adressant à Simmias :
" Tu sais bien ce qu'éprouvent les amants à la vue d'une lyre, d'un manteau ou de n'importe quel objet utilisé habituellement par celui qu'ils aiment : dès qu'ils prennent connaissance de la lyre, aussitôt ils forment dans leur pensée l'idée du garçon à qui la lyre appartient. Eh bien, c'est cela, une réminiscence. " ( éd. Brisson, 73d )
Platon présente ici une analogie : l'aimé est à l'objet qu'il possède (et qui fait naître dans l'amant l' image de l'aimé) ce que la Forme (ou l' Idée) est à la chose particulière qui l'instancie, qui l'exemplifie (par exemple tel homme par rapport à la Forme de l' homme). De même que l'amant peut penser à l'aimé parce qu' il en a le souvenir, même si dernier n'est plus sous ses yeux, de même l'âme peut penser à la Forme, parce qu'elle l'a connue dans un temps antérieure. Dans les deux cas, la pensée de la réalité matériellement absente passe par la médiation de la perception d'une chose qui est donnée, là, sous les yeux, sous la main.
Ainsi le philosophe, tel l'amoureux, aime les Formes ; les choses, les êtres particuliers qui l'entourent, qu'il perçoit, ne sont que les voies d'accès à ces Formes.
À partir de là, on peut s'amuser à dire : celui qui ne voit dans la chose concrète rien d'autre qu'elle-même est comme un amoureux fétichiste, qui par exemple prend tel mouchoir de son amie pour substitut de cette dernière au lieu de voir en elle la trace de l'amie et de partir à sa recherche.
Les non-philosophes, comme les fétichistes, ne partent pas à la chasse ; ils s'en tiennent à ce qu'ils voient.
À partir de là, on peut s'amuser à dire : celui qui ne voit dans la chose concrète rien d'autre qu'elle-même est comme un amoureux fétichiste, qui par exemple prend tel mouchoir de son amie pour substitut de cette dernière au lieu de voir en elle la trace de l'amie et de partir à sa recherche.
Les non-philosophes, comme les fétichistes, ne partent pas à la chasse ; ils s'en tiennent à ce qu'ils voient.
Commentaires
Quant à vos deux dernières phrases, elles sont bien inquiétantes. Si les études de philosophie ont cet effet, alors que penser de son enseignement obligatoire dans les classes terminales ? Doit-on voir comme une corruption de la jeunesse ce qu'on défend comme une institution précieuse ? Institution, que certains rêvent même d'étendre en-deça de la Terminale ! Certes je reconnais que ça a quelque chose de chauvin, voire de comique, de penser que les citoyens des pays qui n'enseignent pas la philosophie avant l'entrée à l'Université ont l'esprit moins libre que les Français qui sont passés par la Terminale... Le discours que tiennent les profs de philo sur la dimension émancipatrice de leur enseignement ne serait-il alors qu'une idéologie professionnelle, un ensemble de justifications largement illusoires comme en secrète n'importe quelle profession ?
Le seconde interrogation que font naître vos lignes est la suivante : comment réformer la philosophie pour qu'elle ait la fonction qu'on lui attribue ? Ou bien faut-il compter sur autre chose que la philosophie pour aider à distinguer le n'importe quoi du sérieux ? Faut-il compter plutôt sur une éducation scientifique sérieuse ? Par sérieuse, je veux dire qui ne se contente pas de transmettre aux élèves des connaissances scientifiques mais qui les habitue à avoir certaines qualités intellectuelles et morales les rendant aptes à la découverte de la vérité. La philosophie ne vaut-elle rien du tout si elle ne va pas avec une formation scientifique sérieuse ? Loin que ça soit la philosophie qui viendrait au secours de la science, ça serait alors plutôt le contraire...
Je ne crois pas que les livres ineptes que vous mentionnez représentent un grave danger pour l'enseignement en lycée ; en effet les élèves arrivant en Terminale ne les ont pas lus et les enseignants s'en méfient on ne peut plus. En revanche je crains que ce ne soient ces livres que les adultes qui ont, comme on dit, aimé la philo en Terminale, consomment quand ils veulent reprendre contact avec la discipline.
Un danger possible (et supplémentaire peut-être) me semble ailleurs : dans beaucoup de matières les cours sont comment dire ? aérés au sens où, pour ne pas fatiguer l'élève, peu habitué au plan fixe au cinéma ou à la télé, enclin à zapper sur son ordi, aimant la vitesse et le scoop etc., l'enseignant coupe la leçon avec des images, des chansons, des exercices ludiques, du concret, comme on aime à dire. Or, il va de soi qu'enseigner la philo de manière à épargner tout effort à l'élève conduirait sans doute à ne plus l'enseigner du tout. Il faut donc résister à une pression forte qui va dans ce sens et qui peut détourner l'élève-consommateur du type d'attention requis.
Reste sans doute que ce n'est pas le plus grave car il doit être possible de faire des compromis avec ces nouvelles façons pédagogiques sans pour autant dénaturer complètement le contenu.
En revanche ce qui handicape fortement l'enseignement de la philo aujourd'hui, c'est la pauvreté du vocabulaire et l'incorrection du point de vue syntaxique.
Néanmoins il y a toujours une petite minorité d'élèves qui chaque année et dans toutes les séries étonne par son excellence.
Petite minorité seulement, reprochera-t-on, mais depuis que la philo est enseignée en lycée, je crois qu'il en a toujours été ainsi et qu'il n' y a jamais eu d'âge d'or : je m'appuie en particulier sur les plaintes d'Alain concernant l'extrême médiocrité de ses élèves, alors qu'il enseignait à une époque où le recrutement était, pour faire vite, bourgeois, avec à peu près 3% d'une classe d'âge qui avait le bachot (chiffre correspondant à 1940)
En fait la philo est difficile, tous les esprits, à la suite de mille causes, sont inégalement aptes à y réussir et on ne doit pas baisser les exigences pour donner à chacun la satisfaction que de philosophe en puissance qu'il serait il est devenu comme il devait le devenir philosophe en acte !
terminale le professeur de philosophie nous emmena voir les célèbres émissions du CNDP de Dina Dreyfus , où apparaissaient les gloires d'alors, Hyppolite, Foucault, Bourdieu, Canguilhem, Aron, interviewés par le
jeune Badiou.
que les émissions qu'on voit à la télé.