mardi 28 avril 2020

Momies supérieures et inférieures.

Dans son Second Journal Parisien, Ernst Jünger écrit à la date du 24 septembre 1943 :

" Terminé, de Maurice Pillet, Thèbes, palais et nécropoles, Paris, 1930. On y trouve la photo du sarcophage où Toutankhamon repose avec son masque en or et ses bijoux. En lisant ce livre, j'ai de nouveau senti combien notre activité muséale, correspond, à un niveau inférieur, au culte égyptien des morts. Ce qui était chez eux momie de l'image humaine est chez nous momification de la culture ; et ce qui était pour eux angoisse métaphysique est pour nous angoisse historique : ne pas voir notre expression magique s'abîmer dans les flots des temps - tel est le souci qui nous pousse. Mais le repos au sein des pyramides et dans la solitude des chambres creusées dans le roc, parmi les œuvres d'art, les écrits, les ustensiles, les images des dieux, les bijoux et les riches offrandes, vise à des formes plus sublimes de pérennité." (Journaux de guerre, II, 1939-1948, La Pléiade, Paris, 2008, p. 603-604)

Une telle angoisse historique ne semble pas avoir décru, sauf qu'elle momifie désormais les formes les plus éphémères  de la culture.
Si des artistes ont quelquefois voulu produire des œuvres destinées à ne pas durer, voire à ne pas être perçues, la momification  des documents rendant compte de leur entreprise est, elle,restée au programme. Œuvres éternellement  connues pour ne pas viser l'éternité...
Et puis,  le mot " culture " désignant depuis longtemps bien plus que les œuvres nobles visées par Jünger (" expressions magiques "),  qu'est-ce qui aujourd'hui n'est pas digne d'être momifié ?
Paradoxalement, les corps morts des producteurs de la culture, c'est-à-dire de nous tous, semblent, eux, de plus en plus largement destinés à être presque immédiatement réduits à leur simplicité chimique.

Greguería n° 354

" El pez  no aguantaría la pecera si no se hiciese la ilusión de que viaja por los mares de China."

" Le poisson ne supporterait pas l'aquarium s'il ne se racontait pas qu'il voyage à travers les mers de Chine."

vendredi 24 avril 2020

Greguería n° 353

" El caballete es mucha veces la horca del cuadro."

" Le chevalet est souvent le gibet du tableau. "

jeudi 23 avril 2020

Greguería n° 352

" El cerebro es un paquete de ideas arrugadas que llevamos en la cabeza."

" Le cerveau est un paquet d'idées ridées que nous avons dans la tête."

mardi 21 avril 2020

Greguería n° 351

" Poner notas a los libros es un atrevimiento como lo sería el retocar los cuadros  de una exposición."

" Annoter des livres est aussi osé que le serait retoucher des tableaux exposés."

samedi 18 avril 2020

Greguería n° 350

" Los seres humanos levantan la cabeza cuando sienten un avión, como los ciervos cuando sienten un peligro."

" Les êtres humains lèvent la tête quand ils entendent un avion, comme les cerfs quand ils entendent un danger."

vendredi 17 avril 2020

Greguería n°349

" La mosca nos trae un murmullo de los confesonarios  de la muerte."

" La mouche nous apporte quelque chose de ce qui se murmure dans les confessionnaux de la mort."

mercredi 15 avril 2020

Capricho n° 5

" El sueño y la muerte.

Al sentirse avarado por el sueño y la muerte se apresuró a irse a la cama.
Quería saber quien iba a llegar antes, si el sueño o la muerte, pero en mitad del pasillo cayó dormido para siempre.
El sueño y la muerte habían empatado en el  su eterna jugada." (Caprichos, Espasa-Calpe, Madrid, 1962, p. 172)

" Le sommeil et la mort.

Comme il se sentait engourdi par le sommeil et la mort, il se hâta d'aller au lit.
Il voulait savoir qui du sommeil ou de la mort allait arriver en premier, mais au milieu du couloir il est tombé, endormi pour toujours.
À leur jeu éternel,  le sommeil et la mort avaient été ex æquo."



Capricho n° 4

El abrelibros.

" Tenía los más extraordinarios abrelibros y los amigos admiraban la coleccíon. Desde el abrelibros pata de ciervo  hasta  el que es puñal y anteojo.
Era una armería pacífica de puñales para ninguna puñalada porque sólo  en las novelas se mata alguna vez  con esa no-arma. En la vida el matar a otro o a otra es tan  serio que por la propia dignidad del crimen se apela a un verdadero cuchillo.
El coleccionista de bellos abrelibros  embotados al rasgar  pliegos y afeitar papeles,  cuando se quedaba solo y necesitaba abrir un libro pedía  un cuchillo  de postre del comedor." (Caprichos, Espasa-Calpe, Madrid, 1962, p. 166)

" Le coupe-papier.

Il avait les coupe-papiers les plus extraordinaires et ses amis admiraient sa collection. Elle allait du coupe-papier pied de cerf à celui qui est à la fois poignard et lunettes.
C'était une armée pacifique de poignards destinés à nul poignardement,  car c'est seulement dans les romans qu'on tue quelquefois avec cette non-arme. Dans la vie, tuer autrui, homme ou femme, est si sérieux que pour la propre dignité du crime on fait appel à un vrai couteau.
Le collectionneur de beaux coupe-papiers émoussés à force de décacheter et de découper des papiers, quand il se retrouvait seul et avait besoin  d'ouvrir les pages d'un livre, demandait un des couteaux à dessert du service."

mardi 14 avril 2020

Capricho n° 3



" Sueño del violinista."

Siempre había sido el sueño del gran violinista tocar debajo del agua para que se oyese arriba, creando los nenúfares musicales.
En el jardín abandonado y silente y sobre las aguas verdes, como una sombra en el agua,  se oyeron unos compases de algo muy melancólico que se podía haber llamado  " La alegría de morir ", y después de un último " gluglu " salió flotante el violín como un barco de los niños que comenzó a bogar desorientado." (Caprichos, Espasa-Calpe, Madrid,  1962, p. 15)

" Le rêve du violoniste.

Toujours le rêve de ce grand violoniste avait été de jouer sous l'eau pour qu' on l'entendît à la surface créer des nénuphars musicaux.
Dans le jardin abandonné et silencieux, au-dessus des eaux vertes, comme une ombre  dans l'eau, s'entendirent les mesures d'une chose très mélancolique qu'on aurait pu avoir appelée  " La joie de mourir ", et après un dernier " glouglou ", le violon apparut, flottant comme un bateau pour enfants et  se mettant à naviguer sans  repères."