Dans Le Berger et la Mer de La Fontaine, je lis ces deux vers :
«  Et comme un jour les vents retenant leur haleine
Laissaient paisiblement aborder les vaisseaux  »
Malherbe, dans son Commentaire, relève, incrédule, l'exploit :
«  Si les vents étaient émus, comment retenaient-ils leurs haleines ? »
Et je pense à ces lignes de La généalogie de la morale de Nietzsche :
«  De même, en effet, que le peuple sépare la foudre de son éclat pour considérer l'éclair comme une action, effet d'un sujet qui s'appelle la foudre, de même la morale populaire sépare aussi la force des effets de la force, comme si derrière l'homme fort, il y avait un substrat neutre qui serait libre de manifester la force ou non. »(I, 13)
Dans la fable, pareil à l'homme fort imaginé par le peuple, le vent, libre de souffler violemment, se retient.
Plus sage apparemment que La Fontaine, le proverbe, lui, dit :
« On ne peut pas empêcher le vent de venter. »
Mais, lu avec l'oeil de Nietzsche, ce dicton reste pourtant bien trompeur car il a beau reconnaître que le vent souffle nécessairement, il fait néanmoins du vent le sujet d'une action, certes qu'il ne peut pas ne pas accomplir.
L'espagnol est moins équivoque que l'allemand ou le français : « il vente » (en allemand es windet) se dit « vienta », cette langue faisant ordinairement l'économie du pronom personnel, erroné philosophiquement, selon Nietzsche.