lundi 29 avril 2019

Greguería n° 25, à placer à l'entrée de tous les CDI.

" Una librería es un andamiaje que se adquiere para edificar el futuro. "
" Une bibliothèque est un échafaudage qu'on acquiert pour édifier l'avenir."

dimanche 28 avril 2019

Greguería n° 24

" La vida es decirse ¡adiós! en un espejo."
" La vie, c'est se dire au revoir devant un miroir."

samedi 27 avril 2019

Greguería n° 23


" El que bebe en taza, hay un momento en que sufre eclipse de taza."
" Qui boit dans une tasse connaît un moment où il subit une éclipse de tasse."

Commentaires

1. Le samedi 27 avril 2019, 11:26 par gerardgrig
Les Chinois ont compliqué le problème de l'éclipse du contenant de boisson. Ils ont inventé la fille nue au fond du verre à saké. Mais ce faisant, ils lui ont ajouté le dilemme du beurre et de l'argent du beurre. L'Européen affronte l'intervalle de vide de l'éclipse de tasse. On notera que la gregueria est illustrée, comme pour suggérer le comblement d'un vide, mais son illustration est-elle pertinente ? Elle l'est moins que dans le cas de l'architecture mozarabe par le trou de la serrure.
2. Le samedi 27 avril 2019, 20:30 par Philalèthe
Pour la précédente illustration, Ramón avait fait un dessin subjectif ; ici c'est le point de vue de la troisième personne, c'est peut-être pour cette raison que vous trouvez le dessin moins pertinent.

vendredi 26 avril 2019

Greguería n° 22

" El erudito pone las manos crispadas en la librería, como el pianista en el teclado, y arranca veinte libros para sacar veinte notas."
" L' érudit pose ses mains crispées sur la bibliothèque, comme le pianiste sur le clavier, et tire vingt livres pour en sortir vingt notes."

lundi 22 avril 2019

Greguería n° 21.

" ¿ No os dice nada el que tantos grandes hombres hayan muerto ? A mi me dice más que lo que ellos dijeron en vida."
" Ça ne vous dit rien que tant de grands hommes soient morts ? À moi ça me dit plus que ce qu'ils ont dit de leur vivant."

dimanche 21 avril 2019

Greguería n° 20 : rareté du génie, banalité du modèle.

20
" Laura sigue saliendo de misa bella y joven todos los domingos. Quien desaparacío fut el Petrarca."
" Laura continue de sortir de la messe, belle et jeune, chaque dimanche. Celui qui a disparu est Pétrarque."

Commentaires

1. Le lundi 22 avril 2019, 14:16 par gerardgrig
L'Université de Pittsburgh possède les "Gregues" de Ramón, qui sont ses "greguerias intimes". Il s'agit de sa bibliothèque de travail, un trésor de citations. Elle comprend des fiches cartonnées et des coupures de presse, en abondance, car Ramón avait une formation journalistique. On apprend que ses maîtres antiques en gregueria étaient Euripide, Horace et Ovide. Il prenait aussi des citations chez les auteurs du Siècle d’or (Góngora, Quevedo et Gracián), ses prédécesseurs, ou dans la littérature des avant-gardes (Breton et les surréalistes, García Lorca, etc.). Il reconnaissait Cernuda et Neruda comme des continuateurs de l'art de la gregueria. Néanmoins, on voit aussi que tout écrit l' intéressait, parce qu'il pouvait l'aider à résumer la vie par une citation, et mettre un peu la vie entre parenthèses. La gregueria des deux pelles, ces superbes parenthèses symboliques qui font disparaître une vie d'homme dans le néant, est éclairante pour cela. Cette hantise de la littérature s'élargissait même, en rendant inutile la citation écrite. La jeune et belle Italienne sortant d'une église semblait citer Pétrarque, par son geste, et changer de prénom.
2. Le lundi 22 avril 2019, 17:26 par Philalèthe
Merci beaucoup de nourrir mon afición a Ramón !

samedi 20 avril 2019

Greguería n° 19 ou quand la moraline devient pathologique.

" Era tan moral que perseguía las conjunciones copulativas."
" Il était si moral qu'il faisait la chasse aux copules."
Traduction un peu infidèle car las conjunciones copulativas sont les conjonctions de coordination.
En tout cas, le malade de la moraline avec la suppression de la copule aura plus de difficultés à se faire comprendre que el perseguidor de las conjunciones copulativas qui saura conjoindre sans les immorales conjonctions.

vendredi 19 avril 2019

Greguería n° 18, intraduisible.

" Cenobita : uno que cenar evita."
Savoir qu'en espagnol, le b et le v se confondent dans la prononciation.

mercredi 17 avril 2019

Greguería n° 17, sine grano salis.

" Monologo quiere decir el mono que habla solo"
Cette greguería est traduisible mais perd beaucoup de son sel dans l'opération : " Monologue veut dire singe qui parle tout seul "
Dans la même veine, " monomaníaco : mono con manías " ( " monomaniaque : singe à manies ")

mardi 16 avril 2019

lundi 15 avril 2019

Greguería n° 15, païenne.


" El deseo del rayo es plantar en el suelo un arbol electrico. "
" Le désir de la foudre est de planter dans le sol un arbre électrique."

dimanche 14 avril 2019

Une greguería pascalienne ?

Dans le prologue de Total de greguerías, Ramón mentionne le fait qu'il a trouvé des greguerías chez des auteurs anciens. Entre autres il cite, en l'abrégeant, une pensée de Pascal : " Los ríos son caminos que andan ". Le texte original, lui, dit : " Les rivières sont des chemins qui marchent et qui portent où l'on veut aller." Rien d'étonnant en effet que Ramón ait trouvé les deux ingrédients de la greguería : métaphore et humour.
Greguería, ce mot que Valéry Larbaud et Mathilde Pomès ont traduit par criaillerie, nom qu'ils ont donné en le mettant au pluriel à un des 6 chapitres des Échantillons, extraits de l'oeuvre de Ramón, publiés par eux en 1923 chez B. Grasset. D'après Rodolfo Cardona dans son édition des Greguerías (Cátedra, Madrid, 2014), ce sont les seuls traducteurs à avoir proposé une traduction du mot, malheureuse à mes yeux. Le mot vient de griego (grec), voulant dire ici langage incompréhensible, comme le précise le dictionnaire de la Real Academia Española. Si on peut le remplacer, en dehors du contexte ramonien, par griteria que rend bien lui criaillerie, c'est parce qu'on peut ne rien comprendre quand quelqu'un crie très fort. Il semble donc plus fidèle à l'intention de Ramón de laisser en français le mot d'origine, incompréhensible pour qui n'entend pas l'espagnol. L'espagnol cultivé, lui, comprend immédiatement ce mot comme voulant dire invention littéraire de Ramón Gómez de la Serna.
Le plaisir est bien sûr de chercher à rendre intelligible l' hébreu de Ramón. Quant à la phrase de Pascal, l'édtion de Le Guern la laisse sans note. En revanche, dans son édition des Pensées, le grand Léon Brunschvicg fait un rapprochement intéressant avec Rabelais. Voici la notule pour qui n'a pas la chance d'avoir sous la main l'édition en question :
" Il semble qu'il y ait là un souvenir d'un chapitre de Rabelais : Comment nous descendimes en l'isle d'Odes, en laquelle les chemins cheminent.... Puys se guindans au chemin opportun, sans aultrement se poiner ou fatiguer, se trouvoyent au lieu destiné ; comme vous voyez advenir à ceulx qui de Lyon ou Avignon et Arles se mettent en bateau sur le Rhosne,..." Cette pensée n'est-elle dans Pascal qu'une remarque isolée et sans portée ? Ou ne devrait-elle pas servir à titre de comparaison pour mieux faire entendre sa conception de l'éloquence ? Le discours est en effet pour Pascal un chemin qui marche et qui porte l'esprit à la conclusion où l'on tend." (Hachette, 1922, p.327)
Les greguerías de Ramón, elles, sont loin d'être toujours des chemins qui portent l' esprit à la conclusion où veut conduire leur auteur (pas sûr d'ailleurs qu'il ait toujours eu une conclusion à transmettre). Déconcerter, provisoirement ou non, était son intention.
Vu que la phrase de Pascal étonne aussi, certes moins par son sens que par sa fonction dans les Pensées, il était donc sensé de la part de Ramón de la voir comme une greguería.

Commentaires

1. Le lundi 15 avril 2019, 17:53 par gerardgrig
Si Ramón a détecté au moins une gregueria pascalienne, Lautréamont, dans ses "Poésies", a malmené les "Pensées" de Pascal d'une manière qui a eu un résultat très inquiétant. Si Lautréamont y a réussi aussi bien, c'est parce qu'il y a peut-être un surréalisme ou un "greguerianisme" potentiel dans les "Pensées" de Pascal. Quand Lautréamont écrit "Si la morale de Cléopâtre eût été moins courte, la face du monde aurait changé. Son nez n’en serait pas devenu plus long." (II-22), il ne fait qu'accentuer notre étonnement quand on découvre cette maxime de l'effet-papillon, à base de "long" nez. Pascal aurait dû écrire "Le nez de Cléopâtre, s'il eût été moins grec...". J'avoue que j'ai éclaté de rire, la première fois. Le "surréalisme" de Pascal est là. Il écrivait pour une élite éternelle, mais ses "Pensées" étaient lues par des lycéens pour qui le petit nez en trompette des filles était le canon suprême de la beauté féminine.
2. Le mercredi 17 avril 2019, 18:26 par Philalethe
Oui, Lautréamont parodie aussi La Rochefoucault et Vauvenargues, que j'ai aimé moi simplement commenter, à défaut d'avoir le talent de les retourner. 
Quant au surréalisme de Pascal, je l'interpréterai seulement métaphysiquement, comme synonyme de son surnaturalisme. Bourdieu a essayé de garder l'essentiel du pascalisme en extrayant réalisme et naturalisme de l'ensemble surnaturel de ses pensées. 

samedi 13 avril 2019

Greguería n° 14

" La pala es la primera y la última amiga del hombre, primero en la arena de los juegos infantiles y por fin descansando sobre el último montículo en el cementerio."
" La pelle est la première et la dernière amie de l'homme, d'abord sur le sable avec les jeux d'enfants et enfin reposant sur le dernier tas, au cimetière."

jeudi 11 avril 2019

Greguería n° 11

" Queremos ser de piedra y somos de gelatina."
" Nous voulons être de pierre et nous sommes en gélatine."

Greguería n° 13

" Lo que ve el afamado en su fama es su propia muerte anticipada."
" Ce que voit l'homme célèbre dans sa célébrité est sa propre mort anticipée."

mercredi 10 avril 2019

Greguería n° 12

" A veces el abrelibros no marcha porque ha tropezado con el nudo de la novela."
" Quelquefois, parce qu' il bute sur le noeud du roman, le coupe-papier ne coupe pas. "

lundi 8 avril 2019

Greguería n° 10

" Al oir que dice el bruto : " Yo solo me he hecho a mí mismo ", pensamos en lo mal escultor que ha sido."
" En entendant l'imbécile dire : " Je me suis fait tout seul ", nous pensons au mauvais sculpteur qu'il a été."

dimanche 7 avril 2019

Greguería n° 9, sceptique.

" Frente al "yo" y al "superyo" está el "qué sé yo". "
" Face au " moi " et au " surmoi " se trouve le " que sais-je, moi ". "

samedi 6 avril 2019

Greguería n° 8, pythagoricienne.


 ,
" Las parejas de cisnes parecen que señalan siempre una misma cifra, el 22 ; pero a veces, cuando uno de ellos está entrado en el agua y el otro está en pie, a la orilla, señalan el 24."
" Les couples de cygnes semblent indiquer toujours un même chiffre, le 22 ; mais quelquefois, quand l'un d'eux est entré dans l'eau et que l'autre est debout, sur la rive, ils indiquent le 24."

vendredi 5 avril 2019

Greguería n° 7


" La arquitectura árabe es el agrandamiento del ojo de la cerradura. "
" L'architecture arabe est l'agrandissement du trou de la serrure. "

jeudi 4 avril 2019

mercredi 3 avril 2019

Greguería n° 5

" No gozamos bien el canto del ruiseñor, porque siempre dudamos de que sea el ruiseñor."
" Nous ne jouissons pas bien du chant du rossignol, parce que nous ne sommes jamais sûrs que ce soit le rossignol."

Commentaires

1. Le vendredi 5 avril 2019, 11:47 par Arnaud
Écho de Kant, §42 de La critique de la faculté de juger (De l'intérêt intellectuel concernant le beau) : cf. le jeune espiègle caché dans un buisson qui imite à la perfection le chant d'un rossignol...
Ah ! ces maudits imitateurs qui vous gâchent le plaisir !
2. Le vendredi 5 avril 2019, 16:29 par Philalethe
Judicieux rapprochement ! Vous enrichissez ma lecture de ce texte car, en lisant cette greguería, j'ai pensé à autre chose : que l'incertitude vient de ce qu'on ne sait pas si c'est vraiment un rossignol ou un autre oiseau. Inquiet de bien classer ce chant éphémère, on ne peut pas se concentrer sur sa beauté. Peut-être qu'en termes kantiens on peut dire que, soucieux de la beauté adhérente, on perd de vue la beauté libre...
3. Le dimanche 7 avril 2019, 22:45 par gerardgrig
Il me semble que le livre célèbre de Marcel Moré, "Le dieu Mozart et le monde des oiseaux" abonde dans ce sens. Quand on a entendu les chants d'oiseaux dans la musique de Mozart, qui fait plus que les imiter, en les "transfigurant" et en leur donnant des "âmes", on se demande si l'oiseau que l'on entend dans la nature ne chante pas du Mozart.
4. Le lundi 8 avril 2019, 21:01 par Philalethe
Dans le cas que vous évoquez, celui de l'esthète qui perçoit la nature à travers les oeuvres qu'elle a inspirées, l'incertitude est vraiment feinte. Mais pourquoi pas ? Ces greguerías invitent souvent à la pluralité des interprétations.

mardi 2 avril 2019

Greguería n° 4, proustienne.

" El que está en Venecia es el engañado que cree estar en Venecia. El que sueña con Venecia es el que está en Venecia. "
" Celui qui est à Venise, il se trompe, du fait de croire être à Venise. C'est celui qui rêve à Venise qui est à Venise."

lundi 1 avril 2019

Un fait n'est pas un agneau.

Le journal espagnol El Pais a publié le 29 Mars un entretien avec Bruno Latour. J'en extrais un passage :
" P. ¿Los hechos no existen independientemente de estos mundos ?
R. Los hechos hay que sostenerlos, no viven solos. Un hecho solo es un cordero frente a los lobos.
P. ¿Quiénes son los lobos?
R. Los que devoran los hechos. Un hecho debe estar instalado en un paisaje, sostenido por costumbres de pensamiento, hacen falta instrumentos e instituciones."
Selon ma traduction, au risque de ne pas rendre exactement la formulation originale :
" Question : les faits n'existent-ils pas indépendamment de ces mondes (Latour a dit avant que désormais les gens vivent sur des planètes différentes et que le monde commun, réel est perdu) ?
Réponse : les faits, il faut les soutenir, ils ne vivent pas seuls. Un fait seul est un agneau face aux loups.
Q. : qui sont les loups ?
R. : ceux qui dévorent les faits. Un fait doit être installé dans un paysage, soutenu par des habitudes de pensée, il faut des instruments et des institutions."
On se rappelle que dans La généalogie de la morale (I, 13), Nietzsche prend l'agneau comme symbole de l'homme du ressentiment. Ce sont les oiseaux de proie qui y tiennent le rôle du loup. Certes dans le texte nietzschéen l'agneau va gagner mais au mépris de la vérité, séparant la force de ses manifestations, inventant le libre-arbitre et la culpabilité imaginaire des oiseaux de proie. Le fait a donc tout à craindre pour sa force à lui de se retrouver, dans la bouche de Latour, incarné dans la peau de l'agneau...
En effet comparer le fait à un vivant fragile pousse à le voir, sinon comme une création, du moins comme le produit d'une culture. Manifestement Latour regrette la disparition d'une culture commune (à mon avis il a bien contribué à cette disparition en jetant le doute sur la réalité de la réalité...), mais les hommes peuvent-ils parvenir à reconnaître des vérités factuelles objectives si les faits ont réellement la fragilité du vivant ? S'il faut choisir une métaphore, alors je prendrai plutôt le rocher, car les faits résistent au temps, on se heurte à eux, etc. Ce qui dépend de la culture n'est pas le fait, mais la connaissance du fait. Si la culture ne donne pas de bonnes habitudes épistémiques, on peut passer à côté des faits, ne pas les comprendre, les défigurer etc.
C'est un fait que Bruno Latour a eu un entretien avec un journaliste de El Pais. Je ne sais pas si c'est un fait important ; certes on pourra l'oublier, mais le faire disparaître est absolument impossible.