Laërce donne deux variantes de la mort de Platon. Voici la première :
« (Il) est mort – au cours d’un repas de noce comme le dit Hermippe- la première année de la cent-huitième Olympiade, à l’âge de quatre-vingt-un ans. » (III 2)
Ce qui peut s’entendre de deux manières : il est mort pendant un repas de noce ou à cause d’un repas de noces. Si l’on retient la dernière possibilité, l’imagination est alors guidée par une série d’anecdotes présentant Diogène le Cynique acharné à dénoncer le goût immodéré de Platon pour la nourriture :
« Un jour qu’il avait remarqué dans un riche banquet Platon qui mangeait des olives, il (Diogène donc) lui dit : « Pourquoi, toi le sage qui as fait la traversée jusqu’en Sicile pour être admis à des tables comme celles-ci, n’en profites-tu pas, maintenant qu’elles sont là devant toi ? » Platon lui répondit : « Mais, par les dieux, Diogène, là-bas aussi je faisais mon ordinaire des olives et des mets de ce genre ». Diogène reprit : « Alors à quoi bon faire la traversée jusqu’à Syracuse ? A ce moment-là, l’Attique ne produisait-elle pas d’olives ? » (VI 25)
C’est un trait éminemment cynique de ne pas appliquer le principe de charité au moment d’interpréter la conduite humaine. Systématiquement le philosophe-chien adopte la version la plus rabaissante, comme ici, où les raisons politiques des voyages cacheraient de moins nobles motivations. Ce n’est pas étonnant au fond si notre époque, qui aime tant se vautrer dans la contemplation de la médiocrité, les aime tant. A dire vrai, ce qu’on apprécie en eux, ce n’est pas tant leur hauteur que leur continuelle dénonciation de la petitesse des autres.
Certes un psychanalyste, invoquant la dénégation, pourrait venir au secours de la médisance cynique, vu que Platon dans la Lettre VII (une des seules lettres à être jugée possiblement authentique) condamne sans ambiguïté le train de vie de la cour de Denys...
Voici maintenant comment se poursuit l’attaque cynique :
« Un autre jour, Diogène qui était en train de manger des figues sèches (manifestation par excellence de la frugalité...Qu’on se rappelle les sobres festins de Ménédème d’Érétrie), rencontra Platon et lui dit : « Tu as le droit d’avoir ta part ». Platon en prit et les mangea. « J’ai dit « avoir ta part », pas « avaler », dit Diogène. »
C’est une autre spécialité cynique : prendre les expressions au pied de la lettre, comme si c’était un signe de lucidité de séparer le sens du mot de l’usage et du contexte. Autre manière, à vrai dire, d’attaquer les habitudes. Ainsi Platon, entendant l’expression courante comme il convient, se permet ce qu’elle autorise. Mais Diogène le Cynique encourage une autre interprétation : il aurait tendu le piège apte à capturer le philosophe en flagrant délit de gourmandise.
L’autre mort, à laquelle Laërce ne semble pas croire, est, malgré les apparences, une mort de Sage ; en effet, comme Phérécide, Platon aurait été dévoré par des parasites:
« Myronianus, dans ses Parallèles, dit que Philon mentionne des proverbes sur les poux de Platon, laissant entendre par là que les poux avaient causé sa mort. » (III 40)
N'ayons pas aujourd'hui l'esprit cynique, lisons donc cette fin à la lumière de Pascal :
« L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser ; une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le tuer. » (Pensées 186 La Pléiade)