Dans Lettrines (Corti, 1967), Julien Gracq écrit :
" Renan : en lisant les pages (sans doute aux yeux de la science d'aujourd'hui très fragiles et très incomplètes) qu'il consacre à la critique des Évangiles, on songe malgré soi au tri génial, à la sûreté infaillible dans la distribution des ombres et des lumières, au chef d'oeuvre de clair-obscur dont nous sommes redevables à un demi-siècle de tradition orale. La figure ailée, parfaite, on dirait qu'une loi non écrite la condamne à ne jaillir du cocon qui l'a incubée que lorsque tous ses traits matériels s'y sont consommés jusqu'au dernier : en ce sens le Christ réalise intégralement dans sa légende le " Meurs et deviens " de Goethe : l'érosion de ce qui mérite pleinement ici d'être appelé son enveloppe mortelle est totale : pas un mot chez les évangélistes sur sa taille, sa voix, la couleur de ses cheveux. À une époque où on écrivait et dessinait beaucoup plus, Jeanne d' Arc échappe aussi très étrangement au piège du portrait et même de la plus vague description - mais son siècle était le dernier où pareille chose fût possible : Gutenberg était né, et les temps finissaient pour jamais peut-être où la figure humaine avait chance d'aborder à sa quatrième dimension."
Ce billet est écrit dans l'esprit d'un précédent.
Commentaires
Sinnbegabte,
Liebt nicht vor allen
Wunderescheinungen
Des verbreiteten Raums um ihn
Das allerfreuliche Licht -
[...]
Abwärts wend ich mich
Zu der heiligen, unaussprechlichen
Geheimnissvollen Nacht -
Aucune des sources que je connaisse ne mentionne le fait que Wittgenstein ait lu Novalis.
Je n'ai pas les moyens de commenter adéquatement ces vers, mais de manière très libre et donc bien risquée, je dirais que Wittgenstein aurait aussi préféré la lumière réjouissante de l'espace autour de lui aux miracles. Vers 1944, il écrit :
" Un miracle est pour ainsi dire un geste de Dieu. Comme un homme tranquillement assis fait tout à coup un geste spectaculaire, Dieu laisse le monde suivre paisiblement son train, et tout à coup accompagne les paroles d'un saint d'un geste symbolique, un geste de la nature. Un exemple en serait qu'après qu'un saint a parlé, les arbres autour de lui s'inclinent, comme par révérence. Cela dit, est-ce que je crois qu'une telle chose se produise ? Non.
La seule chose qui me ferait croire au miracle ainsi compris serait que je sois impressionné par un événement qui se produirait de cette façon particulière. En sorte que je dirais, par exemple : "Il 'etait impossible de voir ces arbres sans avoir le sentiment qu’ils répondaient aux paroles de ce saint.” Tout à fait comme je dirais : « Il est impossible de voir la face de ce chien sans voir aussi qu’il est en alerte et qu’il suit attentivement tout ce que fait son maître. » Et j’imagine aisément que le simple récit des paroles et de la vie d’un saint puisse mener quelqu’un à croire également l’histoire des arbres qui s’inclinent. Mais je ne suis pas impressionnable de cette façon. »