Une familiarité minimale avec ce qui se produit aujourd'hui sous le nom de philosophie analytique met en évidence une opposition nette entre plusieurs manières de philosopher analytiquement. Un des intérêts du dernier ouvrage de Sandra Laugier (Wittgenstein. Les sens de l'usage. Vrin 2009) est de faire un tableau du champ de bataille. Est-il trop schématique ? Fait-il la place trop belle à Wittgenstein ? En tout cas, il a le mérite d'être clair. D'un côté Wittgenstein et la tradition qu'il a ouverte et qui en retour l'éclaire (au premier rang Stanley Cavell), de l'autre côté la philosophie analytique dominante (Laugier ne mentionne ici aucun nom contemporain ni d'auteur, ni d'oeuvre mais établit une filiation entre la philosophie analytique mainstream et Russell).
Sur ce champ de bataille, Sandra Laugier défend la cause de Wittgenstein: on est en effet en droit de lire cet ouvrage comme une entreprise de réhabilitation de Wittgenstein à l'intérieur même de la philosophie analytique. Pour faire bref, Wittgenstein n'aurait pas la place fondamentale auquel il a droit, Dès la deuxième phrase de l'introduction, on comprend que ce livre peut aussi être vu comme une arme dirigée contre ce que Laugier juge être la philosophie analytique dominante:
Sur ce champ de bataille, Sandra Laugier défend la cause de Wittgenstein: on est en effet en droit de lire cet ouvrage comme une entreprise de réhabilitation de Wittgenstein à l'intérieur même de la philosophie analytique. Pour faire bref, Wittgenstein n'aurait pas la place fondamentale auquel il a droit, Dès la deuxième phrase de l'introduction, on comprend que ce livre peut aussi être vu comme une arme dirigée contre ce que Laugier juge être la philosophie analytique dominante:
" Philosophe phare de la philosophie analytique, il ne cadre pas vraiment avec elle, qu'on la considère dans le cours de son histoire ou dans ce qu'elle est aujourd'hui devenue." (Wittgenstein. Les sens de l'usage p.9)
Délaissant en fait le cours de l'histoire, Laugier préfère se centrer sur ce qu'est la philosophie analytique mainstream: cette dernière prend la science comme modèle et, suivant Russell, pense que la philosophie doit, comme la science, se rapprocher par étapes de la vérité. Plus précisément, Laugier identifie la philosophie analytique qu'elle veut réfuter à un "scientisme naturaliste" et explique la position marginale de Wittgenstein dans le champ analytique par une mise à l'écart délibérée visant à neutraliser l'anti-scientisme de Wittgenstein. Sans qu'elle la mentionne, c'est quand même l'idée de complot qui vient à l'esprit du lecteur. Pour témoin, un des passages les plus significatifs :
" La pensée de Wittgenstein est d'emblée critique, et une critique de la science comme de la philosophie, par une mise en évidence de différences essentielles entre science et philosophie. Différences qui chez Wittgenstein ne sont pas normatives, mais descriptives, et jamais associées à une survalorisation de l'une ou de l'autre. C'est plutôt quand la philosophie veut ressembler à la science, et y cherche la réponse à ses questions, qu'elle tombe dans la mythologie ou dans la métaphysique. La pensée de Wittgenstein est à contre-courant de la philosophie telle qu'elle s'est développée depuis quelques décennies dans le champ "analytique", dans l'exacte mesure où la philosophie prétend s'y modeler sur la science. D'où les résistances fréquentes à Wittgenstein dans la philosophie analytique même, et l'absence quasi complète de Wittgenstein dans la philosophie des sciences actuelle, assez curieuse si l'on se rappelle le caractère central de la référence au Tractatus dans la première moitié du XXème siècle, mais compréhensible si l'on garde à l'esprit que la pensée de Wittgenstein est d'une subversion redoutable, non contre la science elle-même, mais contre le scientisme, dont il a très clairement démonté les motivations, critiqué l'idéologie et moqué les conséquences. (Il n'est pas surprenant que la philosophie analytique dans sa version dominante, veuille ignorer ou minorer l'importance de ses critiques et donc le maintenir dans une forme de marginalisation)." (p.74-75)
Sandra Laugier reproche ainsi à la philosophie analytique dominante de continuer à faire ce qu'a toujours fait sans succès jusqu'à présent la philosophie en général : produire des théories vraies. À ses yeux, Wittgenstein ne construit pas un énième système philosophique :
" Ce qu'on laisse de côté dans beaucoup de discussions sur Wittgenstein, sans doute parce que cela rappellerait à une exigence qu'elle a oubliée depuis un moment, c'est que ce qui l'intéresse, c'est d'abord la philosophie. Ce qui n'est pas du tout la même chose que les théories ou les thèses en philosophie. "Le philosophe, écrit Wittgenstein, n'est pas citoyen d'une communauté de pensée. C'est ce qui fait de lui un philosophe" (Z, 455). Un des points les plus difficilement perceptibles, ou acceptables aujourd'hui, de la pensée de Wittgenstein est son refus de donner la moindre importance aux opinions et doctrines philosophiques, ou d'en soutenir aucune. Une des preuves les remarquables du fait qu'il n'est pas un philosophe du langage est la façon, rapportée par Wisdom, de conclure les discussions philosophiques par "Dites ce que vous voulez !". Tant que vous voyez ce qu'il en est." (p.108-109)
Ainsi voir ce qu'il en est aurait deux sens : quand c'est dans la bouche d'un scientifique, c'est formuler des hypothèses testables , quand c'est dans la bouche d'un philosophe, c'est, selon Laugier, suivant Wittgenstein et Cavell, prêter attention aux détails de la réalité que transporte notre langage ordinaire.
Je me demande alors comment distinguer le langage ordinaire dont on attend visiblement tant de ce que la philosophie a désigné sous le nom de doxa. À première vue, ce sont désormais les constructions philosophiques qui joueraient le rôle négatif de la doxa, consistant à cacher la réalité. Mais le langage ordinaire n'a-t-il pas incorporé une partie des concepts philosophiques ? Où trouver ce langage ? Ce qu'on trouve ne porte-t-il pas toujours les marques de cultures, d'histoires, d'ethnies ? Est-ce traductible dans une autre langue ? Je me souviens avoir fait une telle remarque en lisant les subtiles analyses qu' Austin fait des articulations de la réalité véhiculées par la langue anglaise.
En somme comment définir le langage ordinaire sans constituer un nouveau mythe, précisément celui du langage ordinaire ?
En somme comment définir le langage ordinaire sans constituer un nouveau mythe, précisément celui du langage ordinaire ?
Commentaires
Cela rejoint votre réflexion sur le mythe de la pureté dans un de nos posts récents qui concernaient plutôt les mots de la religion.
La position n'est-elle pas difficile à tenir pour la raison suivante ? Alors que le recours à l'ordinaire nous dirige vers une source immanente à l'homme de l'humain, de l'éthique, le recours à quelque chose qui va vers le haut semble réintroduire la transcendance et ceci dans un cadre délibérément non-métaphysique. Est-ce cohérent ?
Les usages ne sont pas intemporels et anhistoriques, ils sont des constructions sociales. La morale (voir l'engueulade entre Wittgenstein, avec un timonier, et Popper à ce sujet, p.ex.) est une construction sociale historiquement située.
Je ratifie cette distinction entre langage ordinaire et langage des gens ordinaires, mais reste tout de même la tâche difficile (voire impossible) de sa détermination. J'avais l'idée que les restes des délires philosophiques comme vous dites font partie du langage simple. Qui l'a donc jamais parlé ce langage-là ? On peut cependant le voir aussi bien comme le nom donné à l'idéal régulateur dans le cadre d'une dissolution des énigmes philosophiques. Il est bien possible alors que la présence dans une phrase usuelle d'un concept philosophique n'enlève alors rien à sa dimension ordinaire tant que la phrase utilisée dans un contexte donné a un sens limpide (analogiquement, dire "si Dieu le veut" ne présuppose pas une thèse théologico-métaphysique mais est l'expression d'une certaine impuissance humaine et d'une espérance humaine). J'aimerais bien vous lire un peu sur ce point, si vous avez le loisir ! Mais je n'ai peut-être pas été assez clair...
Quant aux propos que je prête à Laugier, ils se limitent à la référence à la philosophie:
Par contre, quelqu'un qui tenterait d'expliquer que Dieu non seulement existe mais qu'il a en plus une volonté, et que explique ce qui arrive, sortirait du langage ordinaire.
Concernant la manière dont Wittgenstein sauve, si on peut dire, les croyances religieuses de l'attaque sceptique en les vidant de toute portée gnoséologique, de tout contenu ontologique, leur gardant juste une sorte d'efficacité morale, ne trouvez-vous pas qu'une telle défense est en contradiction avec ce qui soude les communautés religieuses réelles, précisément un engagement ontologique, certes injustifiable rationnellement - sauf à croire à la validité des preuves de l'existence de Dieu - mais néanmoins donnant accès à un niveau transcendant de réalité ? D'où, à mes yeux, un isolement de ce défenseur-là des croyances religieuses. Il ne parle pas comme les athées mais ne fait que semblant de parler comme les croyants. Inadmissible révision à la hausse des croyances en question du point de vue de l'athée et sacrilège révision à la baisse du point de vue des croyants.
Il me semble qu’il faut préciser que l’athée est un croyant, il croit que dieu n’existe pas. Et il est aussi « bousculé » par W.
J’ai tendance à voir dans le second W un agnostique, mais c’est possible que je tire l’interprétation vers mes propres convictions à ce propos.
§108. "But is there then no objective truth ? Isn't it true, or false, that someone has been on the moon?" If we are thinking within our system, then it is certain that no one has ever been on the moon. Not merely is nothing of the sort ever seriously reported to us by reasonable people, but our whole system of physics forbids us to believe it. For this demands answers to the questions "How did he overcome the force of gravity?" "How could he live without an atmosphere.?" and a thousand others which could not be answered. But suppose that instead of all these answers we met the reply: "We don't know how one gets to the moon, but those who get there know at once that they are there; and even you can't explain everything." We should feel ourselves intellectually very distant from someone who said this.
§171. A principal ground for Moore to assume that he never was on the moon is that no one ever was on the moon or could come there; and this we believe on grounds of what we learn.
They have always learnt from experience; and we can see from their actions that they believe certain things definitely, whether they express this belief or not. By this I naturally do not want to say that men should behave like this, but only that they do behave like this.
Il me fait réagir sur plusieurs points. Je suivrai votre ordre.
1) Concernant les croyances de l'athée, il va de soi qu'il en a si on définit croire par tenir pour vrai. Mais qui n'en a pas alors ? Si on entend par croire tenir pour vrai sans justification, on doit se demander si la condition de la rationalité de la proposition "Dieu n'existe pas" vient de ce qu'on est rationnellement obligé d'y croire ou de ce qu'on n'est pas rationnellement obligé de ne pas y croire. Dans le premier cas, j'accorde que la croyance de l'athée n'est pas rationnelle (à la différence de la croyance dans la vérité du théorème de Pythagore) ; mais dans le second, elle l'est car rien ne m'oblige à croire que "Dieu n'existe pas" est une proposition fausse.
2) Concernant le mysticisme, je ne peux pas le sauver sans un engagement ontologique reconnaissant la réalité d'un être transcendant auquel le mystique s'unit (et non pas croit s'unir). Adoptant ce que je juge pour l'instant être la perspective wittgensteinienne sur ces questions, je peux identifier le discours mystique à des phrases pourvues d'une fonction expressive mais dépourvues de toute référence (je ne parlerai donc de dénuement ontologique - l'expression est heureuse - que dans le cadre d'expressions faisant ordinairement référence à des entités non situables dans l'espace / temps comme Dieu mais révisées à la baisse quant à leur portée ontologique ).
3) Je vous serais très reconnaissant si vous pouviez me donner la référence du texte d'Ortega. Merci.
4) Je vous donne raison concernant la distinction que vous faites entre "les hommes ne sont jamais allés sur la lune" et "je n'y suis jamais allé". Une remarque cependant concernant 171 : Wittgenstein a éprouvé le besoin de souligner "konnte" traduit par "could"et "pourrait". Cela suggère qu'il y a vu une impossibilité empirique absolue, mais dans la mesure où la proposition est explicable sur la base d'un savoir , c'est incontestable qu'elle ne peut pas prétendre au titre de "certitudes primitives".
5) Pourriez-vous expliciter votre raccourci "Hadot (et les marxiens)" ?
6) Peut-on parler de certitudes primitives quand on se réfère à des propositions que le sujet n'a conscience d'avoir que quand il rencontre un philosophe sceptique ("je ne suis pas sûr que mes parents soient bel et bien mes parents mais je suis absolument certain que j'ai des parents !") ? La pratique est-elle une mise en acte de certitudes primitives ? Cela suggère comme une antériorité psycho-chronologique des certitudes par rapport à la pratique alors que ces "certitudes primitives" naissent après la pratique et ne l'expliquent pas (elle est expliquée par la pratique elle-même, l'imitation, le dressage, le training et des certitudes non-primitives). Il ne faut pas que les certitudes primitives se substituent aux règles dans le compte-rendu qu'on fait de la régularité des pratiques. Mais je pense qu'au fond vous êtes d'accord là-dessus.
7) Je ne lis pas 284 comme vous. À mes yeux le passage porte sur les connaissances induites et non sur les certitudes primitives. Il établit aussi une relation entre ces connaissances induites et une forme de vie (d'où la contingence de ces connaissances qui ne sont nécessaires que relativement à la forme de vie de ces chasseurs, ce qui ne revient pas à dire que la réalité à laquelle se réfèrent ces connaissances n'existe que pour eux - c'est un point que j'aimerais clarifier : dans quelle mesure on peut défendre un engagement réaliste dans le cadre de la seconde philosophie de Wittgenstein ?-). La certitude de l'induction ne se dit pas mais se montre dans la pratique.
Je vous remercie également de prendre le temps de la discussion.
C’est vrai que mis comme ça entre ( ), c’était assez énigmatique (et ça mériterait discussion et comparaison de textes pour clarifier et asseoir ce que j’avance…).
La « première » certitude basique que l’on a c’est que « je vis ». Et que je vis dans une réalité, et que ce vivre est pratique, des relations avec des choses, et que ces choses sont différentes de moi… Difficile de donner un statut à ces certitudes, W a des passages où il les rapproche de quelque chose de l’ordre de l’instinctif, mais en même temps elles sont d’ordre logiques. Des exégètes parlent d’anthropo-logique, ça me semble assez bien vue (Laugier doit d’ailleurs faire partie de ces exégètes si je ne m’abuse). Vivre génère un certain nombre de certitudes primitives qui règlent ce vivre.
Il y a ensuite des certitudes acquises, mais jamais par la raison, toujours dans une pratique, un dressage aux règles (ou training, imitation…). Et tant que ces règles non pas été incorporées par le sujet, il n’a pas un comportement adéquat, selon les critères de sa communauté. Mais ceci n’explique pas les règles, cela les impose.
Question épineuse où les exégètes ne sont pas d’accord et elle mérite(rait) un travail précis pour donner une réponse argumentée. Je ne peux pas le faire et je vais être plus lapidaire…
1) Si on demande à l'athée comment il justifie sa croyance que Dieu n'existe pas, il peut répondre que son inexistence est déductible de principes de base indiscutables (il est rationnellement obligé d'y croire, la perspective est fondationnaliste). Il peut aussi défendre que rien de ce qui est de l'ordre du savoir ne l'oblige à croire que Dieu existe ; il n'est pas agnostique, il juge seulement que la croyance dans l'athéisme, n'étant pas clairement interdite, est permise (elle est rationnelle parce que son irrationalité n'est pas mise en évidence). Certes on n'exclut pas qu'elle puisse l'être, d'où peut-être votre objection.
2) Il y a au moins deux interprétations de la référence au mysticisme dans le Tractatus. Selon l'interprétation "austère" du non-sens récemment reprise à Cora Diamond par Sandra Laugier dans Les sens de l'usage, les phrases qui sont des non-sens ne peuvent pas "indiquer quelque chose de ce qui ne peut être dit" (p.51). "Il n'y a pas d'intermédiaire entre la pensée et le galimatias" (p.49), position commune à W. et à Frege. "Il faut noter aussi que le montrer et le voir (...) s'ils ne sont pas de l'ordre de la connaissance (scientifique), n'ont rien à voir avec une révélation ou une intuition, malgré la séduction des discours sur le Mystique. Il s'agit d'éveiller une capacité à voir ce qui est sous nos yeux, pas hors du monde." (p.57). À cette conception "austère" du non-sens s'oppose une conception positive, "substantielle" du non-sens qui identifie un certain non-sens à "un non-sens intéressant, utile", qui pourrait "indiquer quelque chose de ce qui ne peut être dit". Interpréter le non-sens des énoncés du Tractatus de cette manière conduit à ne pas prendre au sérieux "la radicalité antimétaphysique" (p.63) de W. dès le Tractatus. D'après ce que vous écrivez, vous semblez - et Badiou aussi - adopter interprétation substantielle du non-sens. Or, sur ce point, je doute.
3) Merci pour la référence à Ortega y Gasset.
4) Réflexion faite, je crois qu'il ne vaut mieux pas qualifier certitude de primitive d'abord parce que sauf à me tromper - je n'ai pas systématiquement vérifié - W. n'emploie pas le mot (primitive Gewissheit ?) dans Über Gewissheit, la référence au Grund, au Fundament, elle ne manquant pas (fondement qu'il faut cependant définir dans une perspective non fondationnaliste bien sûr) -, ensuite parce que l'adjectif donne une homogénéité à un ensemble de certitudes dont W.explore et interroge la diversité. Ceci dit, si on veut un adjectif, "fondamental" me paraît plus conforme à la lettre du texte (cf par exemple 512)
5) Concernant la pratique, Marx et W., je suis spontané porté à dire que W. enracine plus que Marx la pratique dans le biologique (on devrait pouvoir mobiliser sur ce point l'évolutionnisme pour rendre compte de la nature humaine à laquelle W. se réfère). Certes W. est attentif aux usages mais dans le prolongement de la nature (la nature humaine limite les usages possibles).
6) Je suis à peu près d'accord avec ce que vous écrivez ici ; dans ma remarque je voulais prendre au sérieux la référence à Goethe "au commencement était l'action" et écarter clairement toute identification de la certitude (fondamentale) à un axiome mathématique (même si les axiomes doivent bien reposer sur des certitudes de ce type). Concernant la transmission sociale des pratiques, les fameuses certitudes ne sont pas dites (le prof de piano ne dit pas à l'élève "commençons par le commencement : ces deux choses sont mes mains etc").
7) sur 284, vous me faites douter. Pour clarifier le point, il faudrait clarifier la relation entre l'expérience (die Erfahrung) et la certitude fondamentale. En effet 284 se référe à qqch qui est appris de l'expérience ("aus der Erfahrung gelernt").
8) Merci pour cette clarification. C'est clair qu'on ne peut pas attendre de lui une thèse métaphysique (réaliste ou non). Dans De la certitude, on trouve des expressions clairement réalistes comme par exemple en 552:
" Même s'il est vrai qu'on ne le dit pas, n'en est-il pas moins ainsi ?"
Ce n'est pas anodin car W. a souligné est (ist).
J'interprète dans le même sens 594 et 595 :
"594. Mon nom est "L.W.". Et si quelqu'un contestait cela, je le relierais aussitôt à d'innombrables choses qui le rendent certain.
595 "Toutefois je peux m'imaginer quelqu'un qui fait tous les ces liens sans pour cela qu'ils ne correspondent à la réalité. Pourquoi ne serais-je pas dans un cas similaire ?"
Lorsque je m'imagine une telle personne, je m'imagine également une réalité (eine Realität), un monde (eine Welt) qui l'entoure ; et la manière dont lui, pense (et parle) en contradiction avec ce monde (dieser Welt zuwider) ."
À noter que la dernière expression s'engage en faveur d'un accord entre ce qui est dit et le monde (ce n'est pas une thèse métaphysique mais une expression ordinaire dont on ne peut sans doute pas se défaire même si on ne soutient pas la thèse de la vérité-correspondance).
En revanche 609-610-611 sont "anti-réalistes" et encouragent une interprétation relativiste. Ceci dit on peut bien dire que dans certaines situations la réalité départage, dans d'autres non.
Dans ce que je ne comprends pas dans l’interprétation d’un seul W anti-métaphysique radical, il y a notamment comment cette interprétation se dépatouille des points du Tractatus où W dit que, non seulement la logique est transcendantale (ce qui me semble déjà une thèse métaphysique, un discours sur la nature du rapport entre langage et réalité), mais aussi – cela concerne plus précisément notre propos sur ce point – que l’éthique et l’esthétique sont transcendantales.
6.421 It is clear that ethics cannot be put into words. Ethics is transcendental. (Ethics and aesthetics are one and the same.)
4.461 Propositions show what they say; tautologies and contradictions
show that they say nothing. A tautology has no truth-conditions, since
it is unconditionally true: and a contradiction is true on no condition.
Tautologies and contradictions lack sense. (Like a point from which two
arrows go out in opposite directions to one another.) (For example, I
know nothing about the weather when I know that it is either raining or
not raining.)
4.462 Tautologies and contradictions are not pictures of reality. They
do not represent any possible situations. For the former admit all
possible situations, and latter none. In a tautology the conditions of
agreement with the world--the representational relations--cancel one
another, so that it does not stand in any representational relation to
reality.
6.13 Logic is not a body of doctrine, but a mirror-image of the world.
Logic is transcendental.
5.633 Where in the world is a metaphysical subject to be found? You will
say that this is exactly like the case of the eye and the visual field.
But really you do not see the eye. And nothing in the visual field
allows you to infer that it is seen by an eye.
5.641 Thus there really is a sense in which philosophy can talk
about the self in a non-psychological way. What brings the self into
philosophy is the fact that 'the world is my world'. The philosophical
self is not the human being, not the human body, or the human soul, with
which psychology deals, but rather the metaphysical subject, the limit
of the world--not a part of it.
6.522 There are, indeed, things that cannot be put into words. They make
themselves manifest. They are what is mystical.
De l’autre coté, et même si je « milite » contre les lectures purement matérialistes de Marx, il ne met pas la part de matérialité physique hors-jeu de l’existence. P.ex. sur la question de la praxis de l’exploitation, il montre que le travail abstrait est la forme fétichisée, à travers ou par la grammaire de l’économie, du travail concret, qui est, sans s’y réduire, une dépense d’énergie du corps au travail. Et de manière (très, trop?) lapidaire, c’est là que, pour Marx, se situe une source des contradictions propres au capitalisme : l’irréductibilité de ce donné, qui a des aspects notamment physiques ou biologiques, que tente d’arraisonner la logique du capital (p.ex. le taux d’exploitation bute sur des limites physiques en terme de temps – extension en heures de l’exploitation – et en terme de force – intensification de la productivité du travail -, au-delà desquelles le travailleur ne résiste pas physiologiquement (et psychologiquement comme le montre le taux de dépression liées au travail).).
Pour aller plus loin sur la question il faudrait mobiliser un gros travail que je ne puis faire là...