" Que se passait-il dans le cerveau du Nº1 ? Il (il s'agit de Roubachof, le personnage principal) se représentait une coupe de ce cerveau, soigneusement peinte en gris à l'aquarelle sur une feuille de papier fixée avec des punaises sur une planche à dessin. Les circonvolutions de la matière grise s'enflaient comme des entrailles, s'enroulaient les unes sur les autres comme des serpents musculeux, s'estompaient comme la spirale des nébuleuses sur des cartes astronomiques...Que se passait-il dans les renflements de ces grises circonvolutions ? On savait tout des lointaines nébuleuses, mais sur elles on ne savait rien. Telle était sans doute la raison pour laquelle l'Histoire était un oracle plutôt qu'une science. Plus tard, peut-être, beaucoup plus tard, on l'enseignerait au moyen de tables statistiques auxquelles s'ajouteraient de pareilles coupes anatomiques. Le professeur dessinerait au tableau une formule algébrique représentant les conditions de vie des masses d'un pays donné à une époque donnée : "Citoyens, voici les facteurs objectifs qui ont conditionné ce processus historique." Et, montrant de sa règle un paysage brumeux et grisâtre entre le second et le troisième lobe du cerveau du Nº1 : "Et maintenant, voici l'image subjective de ces facteurs. C'est elle qui pendant le second quart du XXe siècle a conduit au triomphe du principe totalitaire." Tant qu'on n'en serait pas là, la politique ne serait jamais qu'un dilettantisme sanglant, que pure superstition et magie noire..." (Arthur Koestler Le zéro et l'infini 1945 trad. Jérôme Jenatton)
C'est un rêve réductionniste : l'histoire est réduite à la psychologie qui est réduite à la neurologie, plus exactement à une sorte de neuro-économie (pas au sens où on l'entend aujourd'hui - étude des conditionnements neurologiques de l'économie - mais au sens d'étude des conditionnements économiques de la neurologie).
Le matérialisme expliquera alors les méfaits du communisme réel.
Marx distinguait l'histoire de la préhistoire ("La préhistoire de l'homme s'achève" Contribution à la critique de l'économie politique 1859)
La même opposition est reprise ici mais contre certains de ceux qui ont prétendu l'incarner politiquement.
Le matérialisme expliquera alors les méfaits du communisme réel.
Marx distinguait l'histoire de la préhistoire ("La préhistoire de l'homme s'achève" Contribution à la critique de l'économie politique 1859)
La même opposition est reprise ici mais contre certains de ceux qui ont prétendu l'incarner politiquement.
Commentaires
Quatre remarques : d'abord il n'y a pas que les sociétés totalitaires qui recherchent des ennemis cachés et espionnent, non ? On est peut-être bien aussi en plein dedans.
Ensuite je crois qu'on peut être déterministe et juger les hommes largement imprévisibles. L'imprévisibilité est causée non par l'indétermination alors mais par l'impuissance de la connaissance à connaître le déterminisme (en ce sens le temps est largement imprévisible à moyen terme).
J'ajoute que les régimes communistes s'appuyaient sur une philosophie de l'histoire tout à fait déterministe et que c'est cette référence qui justifiait l'existence d'un sens de l'histoire en mesure de cautionner n'importe quelle décision politique.
Pour terminer on peut être indéterministe et juger les hommes prévisibles (cf Sartre, quand il cherche à rendre compte en termes indéterministes des comportements de classe ou de masse ou grégaires).
Comment ne pas vous donner raison ? S'il fallait cesser de tenir pour réelles les personnes et leurs intentions, non seulement les rapports humains deviendraient incompréhensibles et difficiles à vivre mais il faudrait renoncer à prendre au sérieux l'histoire, ses explications et plus généralement toutes les sciences humaines (socio-ethnologie, psychologie etc). Je crois donc que s'il existe des réductionnistes du type de ceux évoqués par ce passage de Koestler, ils ne peuvent pas vivre en accord avec ce qu'ils disent croire. Ils sont poussés à prendre au sérieux les personnes, les désirs et leurs croyances, ne serait-ce que pour publier les livres où ils défendraient un tel réductionnisme !
En effet on peut englober le déterminisme dans un cadre métaphysique où le concept de Dieu est central. Ça peut se faire philosophiquement (dans la pensée de Spinoza par exemple) ou religieusement.
Ceci dit, je ne comprends pas bien votre dernier paragraphe. Croire en Dieu en effet ne change rien dans le sens où la pratique de la délibération et du choix s'impose encore (je crois que c'est ce que veut dire Sartre quand il écrit à la fin de la conférence de 1945 "L'existentialisme est un humanisme" que "même si Dieu existait, ça ne changerait rien"). Mais dans ces conditions la contemplation de Dieu ne se confond pas avec l'exercice de la liberté; certes on peut choisir de contempler Dieu mais au moment même où on le contemple, on ne choisit pas (on a choisi). J'imagine que c'est votre pensée.
J'ajoute quand même que passer du déterminisme à Dieu ne peut tout de même être pensé comme une déduction, au sens où le déterminisme, avec laquelle toute pratique scientifique est familière, n'implique pas Dieu (c'est une autre question de savoir si Dieu implique le déterminisme).