mercredi 21 septembre 2005

Anaxagore : juste les pieds sur terre.

A ses proches qui lui font grief de ne pas s'occuper du riche patrimoine qu'il possède, Anaxagore, auditeur d'Anaximène, leur jette à la figure ses biens en guise de réponse:
"Pourquoi, dit-il, n'en prenez-vous pas soin vous mêmes ?" (II, 6)
On dit à juste titre que le don oblige, d'où le contre-don. Mais ici rien de tel: Anaxagore a inventé le don-offense en offrant du vide à des têtes creuses. Vous qui ne valez rien, prenez donc ces riens ! C'est, si je ne me trompe, Platon dans l' Hippias Majeur qui le premier se réfère à l'incurie anaxagoréenne. Socrate en fait une arme au service de la critique qu'il adresse aux sophistes et précisément à Hippias, qui, lui, ne perd pas une occasion de gagner de l'argent:
" A Anaxagore, dit-on, il advint tout le contraire de ce qui vous arrive à vous: ayant en effet hérité de grands biens, il ne s'en serait pas occupé, et il aurait tout laissé perdre; tant l' "intelligence" faisait défaut à son savoir." (283 a)
L'Anaxagore platonicien n'a pas le panache que lui donnera Diogène Laërce. Son indifférence par rapport aux propriétés ne se manifeste pas à travers le simulacre de la générosité mais plus passivement dans le laisser-aller. Plutarque, traduit par Amyot, est dans la veine platonicienne. Certes ce n'est plus à Hippias qu'il l' oppose mais à un certain Evangelos, serviteur de Périclès et " fort habile homme et très bien entendu au fait du gouvernement d'une grande maison ":
"Ces choses étaient bien différentes de la sapience d'Anaxagore, attendu qu'il abandonna sa maison, et laissa ses terres venir en friches et en pâturages, par un mépris des choses terriennes, et un ravissement de l'amour des célestes." (Vie de Périclès, 16)
En effet les hommes et ce qu'ils font sur la terre ne l'intéressent pas:
"A la fin il s'en alla, et se cantonnait dans l'observation des réalités naturelles, sans s'inquiéter des affaires de la cité." (II, 7)
Je pense à Epicure mais l'apolitisme anaxagoréen est solitaire (aucune source ne parle d'amis) et n'est pas inspiré par la prudence. Il ne s'agit pas pour lui de ne pas mettre le doigt dans un engrenage dangereux; s'il se détourne, ce n'est pas par crainte des hommes mais par amour de la nature. On verra pourtant que la cité l'attend au tournant. Entre temps, on lui reproche son absence de civisme:
" C'est alors que, à celui qui lui disait. "N'as-tu aucun souci de ta patrie ?", il répondit: "Tais-toi ! Car moi, de ma patrie, j'ai souci, et grandement", et il montrait le ciel." (ibid.)
En toute rigueur, il est cosmopolite, mais pas à la manière des stoïciens qu'on crédite de l'invention de l'attitude. A vrai dire, les stoïciens, je les trouve plutôt géopolites, si on me passe ce néologisme. Ils veulent dire que leur patrie est planétaire et que donc tout homme est leur concitoyen. Ils prendront d'ailleurs fort au sérieux la politique, même à l'échelle de leur cité. Anaxagore procède, lui, à un rejet de la planète au bénéfice de l'univers. Exit la politique, même mondiale. Foin des hommes ! On lui a demandé un jour " à quelle fin il avait été engendré". J'imagine un stoïcien répondre quelque chose du genre "pour accomplir raisonnablement mon devoir d'homme parmi les hommes". Anaxagore marque la différence:
" Pour observer le soleil, la lune et le ciel "
La Terre : pas l' objet de l'observation, juste sa condition.

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