Etrange Pythagore ! D’un côté, il éprouve ses disciples, les condamnant pendant 5 ans et à ne pas le voir et à ne pas parler ; d’un autre, il lui suffit pour lier amitié avec un quidam que ce dernier ait adopté ses symboles (VIII 16). Pour préserver la cohérence de sa conduite, force est donc ou de ne pas identifier l’ami au disciple, même s’il devient difficile de concevoir l’amitié sans le partage des connaissances ésotériques ou de supposer que quiconque adopte les symboles en question est nécessairement un ex-disciple.
Mais que veut dire exactement « adopter les symboles de Pythagore » ? C’est reprendre à son compte des impératifs, des normes, des principes qui font référence à des choses concrètes de la vie ordinaire (le couteau, la marmite, les couvertures etc) mais qui doivent être généralement interprétés dans un sens éthique; j’imagine donc que leur adoption revient à:
1) se les dire pour 2) agir conformément à leur sens littéral et 3) agir conformément à leur sens figuré.
Faire l’économie de 2 reviendrait à ne plus adhérer à la dimension ésotérico-élitiste de la secte, ces actions ayant valeur de mot de passe. Se dispenser de 3 équivaudrait, semble-t-il, à se contenter de se faire passer pour pythagoricien.
Mais combien y avait-il donc de signes de reconnaissance ? Diogène Laërce en cite 17 mais n’en explique que 5. Commençons par eux :
« Il voulait dire par « ne pas tisonner le feu avec le couteau » ne pas provoquer l’irritation et le gonflement de colère des puissants ; « ne pas passer par-dessus la balance » veut dire ne pas passer par-dessus l’égal et le juste ; « ne pas s’asseoir sur le boisseau » équivaut à voir également le souci du futur, car le boisseau, c’est la ration quotidienne ; par « ne pas manger le cœur », il indiquait de ne pas consumer son cœur en chagrins et en afflictions ; par « quand on part en voyage, ne pas se retourner », il enjoignait ceux qui quittent la vie de ne pas se montrer pleins du désir de vivre, et de ne pas se laisser mener par les plaisirs d’ici (comment ne pas penser ici à ce passage d’Epictète : « Si le pilote fait retentir son appel, cours vers le navire en laissant toutes ces choses, sans te retourner en arrière. Et si tu es vieux, ne t’éloigne pas un moment loin du navire, de peur qu’il arrive que tu manques à l’appel » Manuel 1-7 ?) (18)
Plus loin Laërce en élucide quelques autres :
« Il prescrit de ne pas ramasser ce qui est tombé (de table) pour signifier : s’habituer à ne pas manger de façon immodérée, ou parce que ce qui est tombé évoque la mort de quelqu’un. (…) Il prescrit de ne manger aucun des poissons qui sont sacrés. En effet, il ne faut pas attribuer les mêmes choses aux dieux et aux hommes, pas plus qu’aux hommes libres et aux esclaves. (…) Il prescrit de ne pas rompre le pain, parce que dans le passé les amis avaient l’habitude de se réunir autour d’un seul pain, comme le font aujourd’hui encore les barbares ; il faut éviter de diviser le pain qui réunit les amis. » (35)
Cette ultime référence au pain brisé est l’occasion pour Laërce de souligner indirectement l’ambiguïté de ces signes :
« Certains rapportent cette interdiction au jugement (des morts) dans l’Hadès, d’autres expliquent que ce geste rend lâche au combat, d’autres enfin disent que c’est de l’un que l’univers tire son principe. »
Ce dernier dissensus met en évidence la diversité des principes d’interprétation :
a) l’interprétation mythologique
b) l’interprétation prophétique
c) l’interprétation métaphysique.
On notera ici l'absence de l'interprétation éthique qui dans les autres cas semble vraiment requise.
Androcyde (dont on sait seulement qu’il vivait entre le 3ème siècle et le 1er avant JC) aurait consacré tout un ouvrage à discuter des interprétations des symboles pythagoriciens.
Malheureusement le livre étant perdu, qui veut bien m’aider à interpréter les 12 symboles du sens desquels Laërce ne dit mot ?
1) « aider à déposer le fardeau et non pas à le charger » (Jean-François Ballaudé dit traduire exactement le manuscrit mais pense que la bonne version se trouve en effet chez Jamblique : « ne pas aider à déposer le fardeau, mais à la charger »)
2) « avoir ses couvertures toujours liées ensemble »
3) « ne pas faire circuler une image de dieu gravée sur sa bague »
4) « effacer la trace de la marmite dans la cendre »
5) « ne pas s’essuyer aux latrines à la lumière d’une torche »
6) « ne pas pisser tourné vers le soleil »
7) « ne pas marcher hors la grand-route »
8) « ne pas tendre trop facilement la main droite »
9) « ne pas avoir d’hirondelles sous le même toit que soi »
10) « ne pas élever d’oiseau de proie »
11) « ne pas uriner ni se placer sur des rognures d’ongles et de cheveux coupés »
12) « détourner le couteau tranchant »
Merci d’avance à ceux qui mettent leur talent interprétatif à contribution !