vendredi 23 mars 2007

Les animaux héraclitéens (3)

5) Les chiens:
“Les chiens aboient après ceux qu’ils ne connaissent pas” (Plutarque Si l’homme d’âge doit se mêler des affaires publiques 7 787 c)
En note, J.P. Dumont ajoute : « les commentateurs avouent que cette sorte de proverbe est incompréhensible. »
Je pense aux chiens cyniques qui, eux, ont un comportement inverse, aboyant, pour les avoir percés à jour, après ceux qu’ils connaissent.
Plutarque place la citation dans un contexte politique qui lui donne un sens clair, les chiens valant pour les hommes envieux. Il y argumente en faveur de la participation des hommes âgés à la vie politique (je reproduis le texte, dans la traduction d’ Amyot -1575-, en respectant l’orthographe de l’époque) :
« Le mal qui est le plus à craindre, et le plus fascheux en telles administrations, c’est à sçavoir l’envie, s’attache beaucoup moins à la vieillesse qu’à nul autre aage : Car, comme soulait dire Heraclitus, les chiens mesmes abbayent ceux qu’ils ne cognoissent point, aussi l’envie combat alencontre de celuy qui commence à venir au gouvernement, à l’entrée de la tribune et du siege presidial, et tasche de lui en empescher le passage ; mais depuis qu’elle accoustume la gloire d’un homme, et qu’elle esté nourrie avec elle, elle la porte doucement, et ne s’en fasche ny ne s’en tourmente plus. C’est pourquoy quelques uns comparent l’envie à la fumée, car elle fort grosse et espesse du comancement que le feu commence à prendre, mais apres qu’il est tout allumé et clair, elle s’en va. » (Œuvres morales Traité XXIII)
Montaigne ,à ma connaissance, ne reprend pas dans les Essais cette citation d’Héraclite mais humanise aussi les chiens en leur attribuant une imagination que l'homme croit à tort avoir en propre :
« Les chiens de garde, que nous voyons souvent gronder en songeant, et puis japper tout à faict, et s'esveiller en sursaut, comme s'ils appercevoient quelque estranger arriver ; cet estranger que leur ame void, c'est un homme spirituel, et imperceptible, sans dimension, sans couleur, et sans estre :
Consueta domi catulorum blanda propago
Degere, sæpe levem ex oculis volucrémque soporem
Discutere, et corpus de terra corripere instant,
Proinde quasi ignotas facies atque ora tueantur. » (Livre II Chapitre XII La Pléiade p.461)
En note,Maurice Rat donne, de ces vers de Lucrèce (IV 999-1002) la traduction suivante :
« Voyez ces gentils chiens de maison s’agiter,
Secouer de leurs yeux un peu de somnolence,
Et se lever d’un bond croyant apercevoir
Des visages nouveaux, des inconnus suspects »
Bernard Pautrat, en alexandrins non rimés (2002), traduit ainsi (le deuxième vers n’est pas dans le texte établi par Baylet et Ernout) :
« Pour leur part, les câlins petits chiens domestiques
ne cessent de bouger, de se lever de terre,
comme s’ils avaient vu des têtes inconnues. »
Henri Clouard, lui, traduisait :
« Et l’espèce caressante des petits chiens de maison en fait autant, ils secouent un instant leur sommeil léger, se dressent hâtivement sur leurs pattes, comme à l’apparition de visages inconnus. »
Il y a tout de même une différence entre le grondeur chien de garde de Montaigne et les chiots (catulus : le petit chien) charmants de Lucrèce. Mais c’est au premier qu’il faut penser pour comprendre l’usage que les Bambara faisaient du mot chien pour désigner la verge. Selon Dominique Zahan dans son article sur Les couleurs chez les Bambara du Soudan français paru dans le cinquantième numéro des Notes Africaines (Dakar avril 1951), « l’association proviendrait de l’analogie qu’ils établissaient entre la colère de la verge – l’érection- devant la vulve, et l’aboiement du chien devant l’étranger ; elle proviendrait aussi de « la gloutonnerie sexuelle de l’homme, dont l’avidité dans ce domaine n’a d’équivalent que la faim canine (ibid.70) » » (Chevalier et Gheerbrant Dictionnaire des symboles TII Seghers 1973)

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