jeudi 19 avril 2007

Xénophane, le héros poppérien...

Karl Popper dans une conférence prononcée en 1981 à l’université de Tübingen et intitulée Tolérance et responsabilité intellectuelle fait de Xénophane le fondateur de la tradition sceptique. Cette identification est loin d’aller de soi mais ce qui est encore plus surprenant, c’est que Popper attribue au présocratique deux thèses franchement ... popériennes :
« (Il) présenta une théorie de la vérité reliant l’idée de la vérité objective à celle de la faillibilité humaine principielle. » (trad. Folcher et Howlet Lire les philosophes Chomienne p.520)
Plus explicitement , « la vérité est l’accord de ce que j’énonce avec les faits, que je sache ou non en quoi consiste cet accord » (p.522) et « il comprit que ce qu’il avait découvert à propos de sa propre théorie – qu’elle n’était malgré sa force de persuasion intuitive qu’une supposition – devait valoir pour toutes les théories humaines : tout n’est que supposition. » (ibidem).
Dans d’autres textes, Popper a expliqué comment dégager de toutes les théories la meilleure : cette dernière fait des prédictions d'abord qui courent plus que d'autres le risque d’être démenties par l’expérience et ensuite qui passent le cap de cette épreuve. Il a qualifié de falsifiable une supposition ayant cette qualité et l'a distinguée nettement des jugements infalsifiables toujours confirmés eux par l’expérience, pour la seule raison qu’ils sont formulés de manière à ne jamais courir le risque d’être démentis.
Les prédictions astrologiques (« vous ferez sous peu une rencontre décisive mais il se peut que vous n’en preniez pas conscience »), certaines considérations sur l’homme (« tous les hommes sont méchants mais, étant hypocrites, certains font semblant d’être bons. »), certains énoncés religieux (« Dieu est bon mais l’intelligence humaine est trop limitée pour comprendre comment elle s’exerce ») peuvent servir d’exemples pour comprendre ce que sont des énoncés infalsifiables.
Or, il se trouve que je peux mettre au crédit de son héros Xénophane un bel exemple d’énoncé de ce type :
« Empédocle lui ayant dit que le sage était introuvable, il lui répondit : « C’est normal : car il faut être sage pour pouvoir reconnaître le sage » (IX 20)
Soutenir qu’il existe des sages se prêterait à l’objection de ceux qui, malgré leurs recherches , n’en identifient aucun mais défendre que les sages sont invisibles pour les non-sages assure qu’on ne sera jamais démenti. En effet si un non-sage ne trouve aucun sage, c’est qu’il ne les a pas repérés ; si un non-sage identifie un sage, il est en fait lui-même sage (prime narcissique pour l’interlocuteur qui au moment où il s’apprête à démentir la vérité la ratifie) ; si un sage identifie un autre sage, la confirmation est directe ; si un sage ne découvre aucun sage, l’énoncé xénophanien continue d’être vérifié puisqu’existe au moins un sage, celui qui, malgré sa sagesse, n’en voit pas d’autres.
Ceci mis à part, cette certitude xénophanienne sur l’existence des sages n’est guère compatible avec la volonté poppérienne d’en faire le premier défenseur de l’idée que, si on peut savoir qu’on est dans le faux, on ne peut en revanche jamais être sûr d’être dans le vrai

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