Les dernières lignes de la première lettre adressée par Sénèque à Lucilius propose une définition psychologique – et non plus économique - de la pauvreté : c’est l’incapacité de se contenter de ce qu’on a. On peut voir cette ultime précision comme le deus ex machina sauvant la situation de celui qui désespère de ne pas posséder grand-chose (qu’il s’agisse de temps ou de quoi que ce soit d’autre).
Il est difficile d’affirmer que Sénèque s’identifie à cette situation mais les lignes antérieures ne l’interdisent pas. Il a en tout cas conscience du pis-aller que représente cette interprétation psychologique de la pauvreté :
« Pour toi, je préfère que tu ménages ton avoir. Et tu commenceras en temps utile. Ainsi en jugeaient nos pères : « Tardive épargne quand le vin touche à la lie. » Ce qui séjourne au fond du vase, c’est très peu de chose et c’est le pire » (trad. Noblot)
Il ne faut pas prêter attention à cette référence au vin, c’est une fantaisie d’Henri Noblot qu’Antoinette Novarra n’a pas jugée digne de retouche. En réalité Sénèque écrit : « sera parsimonia in fundo est ». C’est très elliptique et pas du tout métaphorique, on pourrait le rendre sèchement par quelque chose comme « il est tard pour épargner quand on est au fond ». Même Félix Gaffiot dans son dictionnaire enjolive (« il n’est plus temps d’économiser quand on est à fond de cale »).
Quoiqu’il en soit, cet avertissement pourrait servir à distinguer deux types de conversions à la vie philosophique : l’une fondée sur une réserve de temps appréciable, l’autre in extremis en somme. Il n’est pas dit que la deuxième échoue. Il est juste suggéré ici que la transformation de soi est loin d’être instantanée.
En tout cas la définition psychologique de la pauvreté revenant à dire que le pauvre est celui qui ne se considère pas riche prend tout de même des allures de cache-misère.