Dans la préface (2004) que Pierre Hadot écrit en vue de présenter ses articles sur Wittgenstein, on lit:
" L'analyse, on peut dire révolutionnaire, du langage, qui est développée dans les Investigations philosophiques, a provoqué alors, je dois dire, un bouleversement dans mes réflexions philosophiques. Toutes sortes de perspectives nouvelles s'ouvraient aussi à moi dans mon travail d'historien de la philosophie. Je découvris brusquement cette idée capitale de Wittgenstein, qui me semble indiscutable et a des conséquences immenses : le langage n'a pas pour unique tâche de nommer ou de désigner des objets ou de traduire des pensées, et l'acte de comprendre une phrase est beaucoup plus proche que l'on ne croit de ce que l'on appelle habituellement: comprendre un thème musical. Exactement, il n'y avait donc pas "le" langage, mais des "jeux de langage", se situant toujours, disait Wittgenstein, dans la perspective d'une activité déterminée, d'une situation concrète ou d'une forme de vie. Cette idée m'a aidé à résoudre le problème qui se posait à moi, et d'ailleurs à beaucoup de mes collègues, celui de l'incohérence apparente des auteurs philosophiques de l' Antiquité. Il m'est apparu alors que la principale préoccupation de ces auteurs n'était pas d'informer leurs lecteurs sur un agencement de concepts, mais de les former: même les "manuels" (comme celui d'Épictète) étaient des recueils d'exercices. il fallait donc replacer les discours philosophiques, dans leur jeu de langage, dans la forme de vie qui les avait engendrés, donc dans la situation concrète personnelle ou sociale, dans la praxis qui les conditionnaient ou par rapport à l'effet qu'ils voulaient produire. C'est dans cette optique que j'ai commencé à parler d'exercice spirituel, expression qui n'est peut-être pas heureuse, mais qui me servait à désigner, en tout cas, une activité, presque toujours d'ordre discursif, qu'elle soit rationnelle ou imaginative, visant à modifier, en soi ou chez les autres, la manière de vivre et de voir le monde." (p.11 Vrin)
Cette dissociation entre agencer des concepts et former peut être questionnée: peut-on former quelqu'un sans la cohérence conceptuelle comme condition nécessaire ? L'apprentissage de l'agencement cohérent des concepts n'a-t-il pas une dimension formatrice (par exemple au sens où il faut exercer des qualités intellectuelles et morales pour mener à bien un tel agencement) ?